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Mali : « Si la France se retire, l’insécurité se développera dans la région »

[Interview] Face à la pression de la junte, au pouvoir depuis l’été 2021, la France considère désormais le retrait de ses troupes au Mali comme inévitable. Yohann Michel, chercheur à l’Institut international pour les études stratégiques, décrypte les conséquences des tensions diplomatiques.

Déployée depuis janvier 2013, l’opération Serval, devenue Barkhane, pourchasse les djihadistes d’al-Qaida dans la péninsule arabique (Aqmi) et du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, lié à l’État islamique) dans l’ensemble du Sahel. La situation politique a basculé lundi 31 janvier, lorsque le ministre des Affaires étrangères malien a réclamé le départ de l’ambassadeur de France. Pour Yohann Michel, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies (IISS) (Institut international d’études stratégiques, ou IIES, en français), le retrait de la France va contribuer à renforcer l’instabilité dans la région.

Le ministre malien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale Abdoulaye Diop répète que « l’attitude des autorités françaises doit changer ». Le gouvernement français manque-t-il de respect envers les Maliens ?

Envers les Maliens, probablement pas, mais les dernières déclarations de Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères français, peuvent être perçues comme insultantes par les partenaires maliens. La France ne considère pas ce pouvoir comme légitime et Paris veut montrer que l’on ne traite pas de la même manière un pouvoir légitime et un pouvoir illégitime.

Est-il possible d’agir au Mali sans l’accord de la junte au pouvoir ?

Il va être difficile pour la France de maintenir la stratégie qui était la sienne si elle a d’aussi mauvaises relations avec les dirigeants du Mali. Depuis des mois, la France essaie de faire pression sur les élites maliennes pour qu’elles poursuivent les réformes de l’appareil d’État et de l’appareil militaire, de manière à pouvoir se retirer. C’est le plan depuis le départ : permettre le renforcement de l’État malien et lui rendre les clés.

Difficile d’atteindre cet objectif sans coopération de ceux qui dirigent le Mali. Mais la junte ne peut pas se passer de la France non plus : c’est Paris qui a mobilisé la plupart des bailleurs de fonds pour les financements à destination de Bamako.

Si la France décidait de se retirer du Mali, quelles seraient les conséquences ?

L’insécurité se développerait dans la région, entrainant probablement d’importantes vagues de migration. Vers l’Europe, mais aussi vers les pays voisins qui risqueraient d’être déstabilisés à leur tour. Or plusieurs autres pays de la région, contrairement au Mali, sont des partenaires commerciaux importants de la France : le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou encore le Nigéria, où les intérêts français sont conséquents. À cela s’ajoute le sentiment d’humiliation pour la France, quasiment chassée de ce pays.

Sur le plan militaire, la France pourrait-elle poursuivre le combat contre les djihadistes sans être présente au Mali ?

La France a des bases dans d’autres pays voisins, dont le Niger et le Tchad, où elle peut se replier pour poursuivre son action antiterroriste. Est-ce suffisant pour atteindre les objectifs ? On peut en douter.

Un tel retrait pose également un défi logistique qui dépend de la façon dont l’armée française doit plier bagage. Si cela doit se faire rapidement, il faudra peut-être abandonner une partie du matériel…

La France dispose aussi d’une présence au Burkina Faso, où le gouvernement a également été renversé par un coup d’État le 23 janvier. Ce pays est-il important dans l’effort contre les djihadistes ?

Le Burkina Faso est l’endroit où se trouve la Task Force Sabre, un contingent de forces spéciales françaises présent depuis 2008. Cette force était présente avant le début de l’opération Serval/Barkhane. C’est un pôle important de la lutte contre le terrorisme dans la région. Le Burkina Faso est déjà un partenaire fragile, avec une situation sécuritaire faible. Un retrait français, ici aussi, aggraverait encore le climat.

Au-delà de la France, quels sont les acteurs concernés par l’attitude de la junte malienne ?

Les premiers concernés sont les Danois, qui ont dû se retirer à la demande du gouvernement malien. C’étaient des partenaires considérés comme fiables par les Français, qui attendaient de leur part des moyens matériels, notamment des hélicoptères. Les Suédois devaient aussi apporter leur appui, mais ils ont déclaré qu’ils n’allaient probablement pas pouvoir le faire. Les Britanniques et les Allemands risquent de se poser la même question assez vite. Si la France se retirait, tous ces acteurs devraient probablement faire de même.

La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies (Minusma), l’opération des casques bleus au Mali, pourrait-elle rester ?

S’ils devaient rester seuls, cela réduirait encore plus leur efficacité déjà limitée. La Minusma est actuellement la mission la plus dangereuse des Nations unies. Sans les Français, la situation ne peut que se dégrader. Fatalement, la Minusma se retrouvera à gérer cela seule et elle n’est pas équipée pour le faire.

Démarrée en janvier 2013, l’intervention française au Mali a-t-elle permis d’obtenir des résultats ?

Pour certains chercheurs, la présence de la France est perçue comme contre-productive. Ils estiment qu’une partie des élites de la région a l’impression qu’elle peut se permettre de ne pas réformer les institutions parce qu’elle bénéficie de la garantie de sécurité apportée par l’armée française. Inutile de s’asseoir autour d’une table pour discuter avec des adversaires afin de chercher une solution, puisque ceux-ci ne peuvent pas triompher.

Tout cela, et notamment le sacrifice de 53 soldats français tués sur ce théâtre de conflits, n’aura donc servi à rien ?

Je pense que la France fait beaucoup avec le peu de moyens qu’elle a dans la région. Son retrait risque de le démontrer, même si j’espère avoir tort. Elle réduit réellement la menace qui pèse sur les autorités maliennes.

Les groupes armés se sont développés et, par certains aspects, sont mieux positionnés qu’il y a plusieurs années, mais malgré tout, ils ne sont pas capables d’atteindre une taille suffisante pour prendre le pouvoir. Ils n’ont pas les moyens de défaire l’armée française. Mais si elle s’en va, de grandes villes pourraient tomber en leur pouvoir.

Faudrait-il craindre dès lors des menaces sur l’Europe ?

Il y a toujours un risque. Aujourd’hui, ces groupes armés ont quand même du mal à survivre face aux forces françaises. La France est capable de leur infliger des dommages régulièrement. Leurs journées sont donc d’abord occupées par leur propre survie. Si la France et les Européens ne sont plus présents dans la région et qu’il n’y a plus de pression sur eux, certains de ces acteurs finiront sans doute par planifier des actions ailleurs.

Les Russes sont de plus en plus présents au Mali, principalement à travers le déploiement de mercenaires de l’entreprise Wagner. Moscou ne peut-elle pas prendre le relai de la France et des Européens ?

Wagner permet au régime de se maintenir au pouvoir mais ses mercenaires ne règlent pas le problème. Sauf qu’eux n’exercent aucune pression pour rechercher des réformes. Malgré ses insuffisances, la diplomatie française a toujours essayé de pousser à ces réformes politiques au Mali, dans les limites de ce qu’elle peut faire sans passer pour une puissance coloniale.

Les forces de Wagner sont, de plus, trop peu nombreuses pour remplacer la France sur le terrain de quelque manière que ce soit. Dans d’autres régions du monde et en Afrique, notamment en République centrafricaine, Wagner a contribué à dégrader encore plus la situation sécuritaire en multipliant les exactions : assassinats de civils, accaparement des richesses, viols…

Source: lavie.fr

 

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