Un hippopotame a été tué pour avoir bu le lait que devait sacrifier un prince du Khasso pour accéder au trône. Pendant qu’il se lavait, l’animal a renversé le reste du lait dans l’eau et a bénéficié, du coup, des bienfaits de cette offrande, en devenant le génie protecteur de la contrée.
Si, Kayes, Kayesba Diabaté ou la Cité des rails, invite les visiteurs, à travers le chant emblématique de « Kayi sigui kadi (Il fait bon vivre à Kayes)», Bafoulabé vend sa destination à travers la célèbre chanson « Mali Sadio » qui magnifie des vertus dont l’amitié et la solidarité entre humains et animaux, le respect du serment. Derrière « Mali Sadio », titre phare d’une chanson populaire mandingue de la Région de Kayes, se cache une histoire très fascinante et pleine de leçons de vie. Cette célèbre chanson est dédiée à la mémoire d’un hippopotame qui était considéré comme le génie protecteur de Bafoulabé durant les 6e et 7e siècles. Elle symbolise la cohabitation pacifique entre les êtres humains et les animaux sauvages. Un monument a même été érigé pour immortaliser cette histoire, au rond-point, en face de la résidence du préfet.
Mali Sadio aurait été enterré sous un arbre appelé « Baro » dont le lieu est jalousement tenu secret par les descendants de la famille royale du Khasso. Au pied de cet arbre vénéré par les populations, on trouve des objets, parmi lesquels une pierre et d’autres pièces, posés sur un petit monticule de terre rouge qui s’apparente au « tounwo (en langue Malinké)» des objets mystérieux, servant de dernière demeure à Mali Sadio.
Le grand public n’a accès qu’à « la tombe » qui a été, récemment, aménagée au bord du fleuve que lors d’une visite du président Amadou Toumani Touré, non loin du monument et de la résidence du préfet. En quittant Bafoulabé pour l’autre rive du fleuve par le bac, le visiteur peut voir, à sa droite, une tombe rectangulaire faite de briques en ciment. Sur le côté est du petit mur, sur l’épitaphe, ils est écrit : « Ici, repose Mali Sadio ». L’endroit ressemble à une petite forêt à la végétation luxuriante d’herbes et d’arbres. C’est le monument le plus fréquenté par les populations. Les nouveaux mariés s’y rendent pour prendre des photos pour leur album de mariage.
Bafoulabé doit sa réputation à ce chant (Mali Sadio) qui fait vibrer les populations de la Région de Kayes, notamment les Khassonkés et les Malinkés, sur les places publiques ou dans les foyers lors de grands événements (mariage, baptême ou autres réjouissances populaires). Au clair de lune, quand le feu de bois, alimenté, en partie, par de la paille de vieilles toitures de cases, sert à éclairer la scène et à réchauffer les tams-tams (doundouwo en langues locales Malinké et Khassonké), tambour (tamandinwo) et tabalé « danyé ou tantanwo ».
Qu’elle soit racontée par les griots, dépositaires de la tradition orale, des artistes et des personnes ressources, l’unanimité s’est faite sur la véracité de cette histoire qui est loin d’être une légende. Cependant, les récits diffèrent selon les interlocuteurs, chacun essayant d’y apporter sa propre touche au profit de sa communauté.
Pour en savoir d’avantage, notre équipe de reportage a rencontré, à Bafoulabé, un grand traditionnaliste, en l’occurrence le griot El hadji Mamadou Sakho, l’une des mémoires vivantes de la 1ère Région administrative du pays.
« C’est le plus sacré de tous les événements de ce cercle. C’est un animal qui parlait, qui dansait avec les gens sur la place publique située en face de la famille royale. Il était habillé comme une femme du village. Les griots du Khasso ne tarissent pas d’éloges sur cet hippopotame qui protège les populations de la ville contre le mauvais sort et la noyade », commente ce fonctionnaire à la retraite et membre de la coordination régionale de la Croix-Rouge malienne de Kayes.
Notre interlocuteur assure que l’animal traditionnel de Bafoulabé est l’hippopotame, communément appelé « Mali Sadio ou Mali Cadio ». Il vivait au confluent du Bafing, avant de contribuer à donner une réputation à Bafoulabé, en Afrique de l’Ouest. Cet hippopotame « sacré » doit son surnom de « Mali Thiatio » à la couleur rayée de son teint : le pachyderme se différenciait des autres à travers une tache blanche verticale sur son front.
El hadji Mamadou Sakho, intarrisable sur le sujet, raconte que le roi de Séro Diadioumbera, Yéli Diallo, a contacté un marabout de Macina (Région de Mopti, dans le Centre du Mali) qui lui a demandé de faire une offrande de lait afin qu’il puisse garder la royauté au Khasso. Il s’agit d’un royaume qui couvre l’actuel Cercle de Kayes et une partie du Cercle de Bafoulabé.
En suivant les recommandations de son marabout, il a mis le lait du sacrifice dans une calebasse parfumée, puis s’est dirigé vers les trois trous sacrés du Bafing et du Bakoye (affluents du fleuve Sénégal) à Dioubedinda ou Dioubebada pour accomplir le rituel. « C’est là où le roi devait se baigner, selon les instructions de son marabout. Au moment où il se déshabillait pour accomplir le rituel, un hippopotame sort du trou de Kountourou et aperçoit la fameuse calebasse. L’animal s’est dirigé vers le récipient pour boire le contenu », narre El hadji Sakho.
Pour le malheur du roi, non seulement le lait a été versé dans l’eau mais, aussi, l’hippopotame l’a bu avant lui, devenant ainsi célèbre. « De ce fait, l’animal est devenu le roi, au détriment de Yéli Diallo qui a perdu sa chance de monter sur le trône », poursuit le « conteur » qui ajoute que cet animal « fut donc cruellement abattu dans le bassin par un chasseur guinéen, Amadou Belco Diallo, qui était de passage à Bafoulabé ». Selon Sakho, le chasseur ne savait pas que l’animal qu’il venait de tuer était le protecteur de la contrée.
Une autre version rapporte que l’animal aurait été tué par le capitaine Sauvage (1890-1893), le 2è administrateur français qui a dirigé Bafoulabé, d’une main de fer, de 1890 à 1893. Les populations de cette contrée contestaient son autorité et pour se venger de lui, ils l’ont accusé à tort d’être l’assassin de l’hippopotame sacré, dans le dessein, selon notre l’interlocuteur, de le discréditer. A travers cette accusation, les autochtones ont voulu sauver le chasseur guinéen et sa descendance qui auraient été menacés de représailles, voire de mauvais sort. Par conséquent, ils se sont arrangés à l’éloigner de leur contrée pour camoufler son crime.
D’autres sources soutiennent que le pachyderme a été abattu par un habitant du village qui était amoureux de la jeune femme. « Mali Sadio s’est beaucoup rapproché d’une fille qu’on appellerait Sadio. Ce nom reste à vérifier, car, aujourd’hui, on ne peut même pas vous montrer une descendance de cette fille dans la ville. Même si certains savent qu’elle en a, ils préfèrent garder le silence pour des raisons qui leur sont propres », estime le préfet de Bafoulabé, Falaye Sy.
Les organisateurs du Festival Dansa Diawoura tenu en 2005, ont consacré une journée à cette légende. À la suite de cette journée, Doumbi Fakoly a écrit un livre afin de tenter d’unifier les versions.
D’après certains contes, il y a très longtemps, un jour, une femme enceinte se rendit au fleuve pour faire la lessive. Toute à sa tâche, elle ne vit pas l’hippopotame sortir de l’eau et l’interpeler, en ces termes : « O toi, femme enceinte ! Moi, hippopotame des eaux de ce fleuve, je me lie d’amitié avec l’enfant que tu portes en toi. Quel que soit le sexe de cet enfant, qu’il soit un garçon ou une fille, je fais le serment de me lier d’amitié avec lui « .
La femme retourna à Bafoulabé et donna naissance, quelques temps après, à une fille qui sera baptisée Sadio. Quelques années après sa naissance, Sadio se rendit un jour au fleuve. Il y avait une grande animation sur les berges du fleuve, quand un hippopotame sortit de l’eau et marcha vers la rive. Ce fut le branle-bas. Tout le monde s’enfuya, sauf Sadio qui resta imperturbable.
L’hippopotame vint se coucher tranquillement à côté de Sadio. Après sa lessive, Sadio se rendit en ville, accompagnée de l’animal vénéré qui la suivit jusque dans sa famille. Ces deux êtres sont devenus amis jusqu’au moment où la belle Sadio a atteint l’âge de se marier.
Ses prétendants se demandaient comment épouser une fille qui entretenait de bonnes relations avec l’hippopotame ? « Si vous le tuez, je me suiciderais », répondait Sadio aux habitants de cette contrée, une manière pour elle de respecter la parole donnée. Et le pachyderme est resté fidèle toute sa vie au serment d’amour avec une jeune fille qu’il sauva de la noyade, en la déposant sur la terre ferme.
Il n’apparaissait qu’une fois, par an, à une période de son choix, pour recevoir des sacrifices par la population. Des fois, les femmes et les enfants s’organisaient, face à l’eau, comme dans un recueillement pour chanter sa louange.
Alors, on le voyait venir à toute vitesse par des grosses poussées de vagues, esquissant des danses dorsales. Comme pour dire « bonjour les humains. J’ai été très sensible à votre appel, me voici ».
AMAP-Kayes
Source : L’ESSOR