Achat du vote des électeurs, doutes quant à la fiabilité du fichier électoral, perturbations du scrutin électoral, irrégularités procédurales, bourrage d’urnes spectaculaires, utilisation illégale de procurations, opacité dans la phase de recensement des voix : les accusations d’une grande partie de l’opposition malienne sont graves à l’endroit des autorités et de l’alliance Ensemble pour le Mali qui soutient la candidature du président sortant Ibrahim Boubacar Keïta.
Alors que la phase de centralisation et de compilation des différents résultats provenant de tout le pays est en cours et en attendant la proclamation du vainqueur, les tensions déjà vives se sont accrues entre le camp du candidat sortant Ibrahim Boubacar Keïta et celui de son principal concurrent, Soumaïla Cissé, depuis l’affaire du fichier électoral toujours jugé peu fiable par le camp du chef de file de l’opposition. Au lendemain du 1er tour, le camp présidentiel annonçait une large victoire du président candidat, tandis que dans le camp de Soumaïla Cissé, on faisait savoir que « les Maliens et les Maliennes avaient exprimé un désaveu clair à l’égard du pouvoir du président sortant » et qu’il y aurait un second tour entre Soumaïla Cissé et Ibrahim Boubacar Keïta.
Guerre des estimations
Sur les réseaux sociaux, différents résultats donnant le président IBK largement gagnant face à son adversaire ont envahi la Toile. Cécile Kyenge, chef de la Mission d’observation électorale de l’UE (MOE UE), lors d’une conférence de presse mardi 31 juillet où a été fait la synthèse des observations de la Mission sur l’ensemble du processus électoral, a estimé que le scrutin présidentiel du 29 juillet a été marqué « par d’importants défis organisationnels et sécuritaires » et a appelé les candidats « à faire preuve de mesure en évitant d’annoncer leurs propres estimations avant publication des résultats provisoires par l’administration électorale, et à régler les contestations éventuelles de manière pacifique en privilégiant la seule voie des recours judiciaires »
Le déroulé des événements
Vingt-quatre heures plus tard, mercredi 1er août, à Bamako, une autre conférence de presse rassemblait autour de Soumaïla Cissé 14 candidats à la présidentielle ou leur représentant : Mohamed Ali Bathily, Aliou Diallo, Mamadou Igor Diarra, Dramane Dembélé, Housseiny Amion Guindo, Modibo Kadjoké, Modibo Koné, Choguel Kokalla Maïga, Oumar Mariko, Kalfa Sanogo, Mamadou O. Sidibé, Modibo Sidibé, Mountaga Tall et Hamadou Touré, qui dans une salle bondée et surchauffée, mélangeant journalistes, militants et curieux, ont dénoncé des faits graves qu’ils ont constatés lors du scrutin du 29 juillet dernier, parmi lesquels des « accusations de corruption formulées contre la Cour constitutionnelle qui n’ont fait l’objet d’aucun démenti », « l’utilisation abusive des moyens de l’État par le président de la République sortant », « le retrait massif de cartes d’électeur par des personnes non titulaires et non habilitées », des « bourrages d’urnes et attribution de résultats fantaisistes à des candidats », « l’utilisation frauduleuse de certaines cartes d’électeur non retirées ». En vertu de quoi ces 15 candidats ont annoncé ne pas accepter « des résultats affectés par les irrégularités », et ont appelé « les observateurs nationaux et internationaux à examiner et à analyser avec la plus grande neutralité les observations et les critiques » constatées par ces différents candidats.
Imbroglio parmi les opposants
Peu de temps après cette annonce, le candidat Cheick Modibo Diarra, de la coalition CMD 2018, possible 3e homme de ce premier tour des présidentielles, préalablement annoncé comme participant à cette conférence de presse, a publié un communiqué affirmant ne pas se reconnaître dans les déclarations des ces 15 candidats et que, « par conséquent, rien ne les engage par rapport à la conférence de presse de ce mercredi 1er août ».
À ce stade, seule la proclamation des chiffres du 1er tour avant la date butoir du 3 août permettra d’éclaircir une situation de jour en jour plus confuse, même si ces résultats semblent d’ores et déjà sujets à caution pour les partisans de ces 15 candidats opposés au président IBK.
Le camp d’IBK réplique
En tout cas, la réplique du camp d’IBK n’a pas tardé. Tard dans la nuit, l’alliance Ensemble pour le Mali (EPM), qui soutient la candidature d’Ibrahim Boubacar Keïta, s’est fendu d’un communiqué où elle « dénonce ces procédés graves qui visent à discréditer un processus électoral transparent et salué comme tel par l’ensemble des acteurs internationaux et nationaux indépendants ». Et d’ajouter qu’elle s’« insurge » contre les propos tenus à son endroit et à celui de son candidat IBK qui ont « scrupuleusement respecté la loi électorale ». « En aucun cas, précise-t-elle, les biens de l’État n’ont été mis à contribution dans le cadre de cette campagne. » Elle appelle les opposants accusateurs à faire « preuve de responsabilité et de se soumettre aux rigueurs de la loi en acceptant les résultats qui seront proclamés par les autorités tout en présentant les recours qu’ils souhaitent devant les juridictions compétentes ». Et de poursuivre que l’alliance Ensemble pour le Mali « en fera de même » en cas de besoin. Après avoir lancé un appel aux Maliens et aux Maliennes de ne pas tomber dans le « piège tendu par ceux qui espèrent accéder au pouvoir par d’autres voies que celles des urnes », elle a conclu en disant que « le Mali n’a pas besoin d’une nouvelle crise ». « La stabilité n’a pas de prix », a conclu l’alliance Ensemble pour le Mali.
À la lumière de telles déclarations autant des uns que des autres, les lendemains de résultats de premier tour présidentiel promettent d’être plus houleux qu’on ne l’aurait imaginé.
PAR OLIVIER DUBOIS, À BAMAKO
Le Point Afrique