Kidal est un bled, en plein désert, perdu à 1.500 kilomètres de Bamako. Et pourtant, tout commence toujours à Kidal, les soulèvements, la révolte, les grandes envolées des Touaregs en colère, la répression armée d’un état absent, le renversement des alliances, les débuts de solution et l’inévitable fracas des savants montages politiques. Tout achoppe à Kidal.
Nos deux confrères de RFI sont morts, enlevés devant le domicile d’un notable, responsable du MNLA, le mouvement national de libération de l’Azawad, un groupe né à Kidal, maître un temps de la ville avant d’en être chassé par les islamistes, un mouvement exilé et revenu à la faveur de l’opération Serval.
On ne sait pas pourquoi Ghislaine Dupont et Claude Verlon sont morts. Ils n’ont pas été “criblés de balles”, mais assassinés de sang-froid, l’une de deux balles, l’autre de trois, à 12 kilomètres du centre-ville, de l’endroit où un petit commando les a pris. C’est une exécution. Ou un enlèvement qui a mal tourné. C’étaient des professionnels qui connaissaient parfaitement l’Afrique et la région. Ils n’ont pas fait d’erreur, n’ont pas exploré un coin risqué, pas voulu rencontrer des gens d’Aqmi. Ils étaient à Kidal, sortaient d’une maison connue, après un entretien classique et se déplaçaient en plein jour… inutile de chercher l’erreur.
La guerre a fait tout exploser
Sauf que Kidal est un chaudron. Avant, c’est à dire avant l’insurrection, la ville était sous l’autorité d’Iyad Ag Ghaly, un rebelle historique de la tribu des Ifoghas. Iyad, c’était la noblesse d’épée. À ses côtés, des dignitaires, des chefs de tribus, des hommes respectés et Algabass Ag Intallah, fils du grand Intallah, l’autorité spirituelle suprême des Touaregs, la noblesse de robe.
La guerre a fait tout exploser. Iyad Ag Ghaly, gagné par la folie islamiste et le démon du pouvoir, a lancé son peuple dans une folle aventure. On connaît la suite. La plus grande partie des chefs touaregs de Kidal l’ont vite abandonné pour créer un autre mouvement, le MIA. Trop tard. Le mal était fait. Les grandes familles, celles qui tenaient ensemble le corps des Touaregs et assuraient l’ordre ont été discréditées aux yeux du monde extérieur. Le MNLA a pris le relais, animé par d’autres chefs, plus jeunes, en équilibre entre la volonté de défendre la cause touarègue, le souci de prouver sa bonne volonté aux Français et son opposition résolue aux islamistes armés.
Mais Kidal fait partie du Mali et Bamako a réclamé avec force le retour de l’autorité de l’État. Une partie de l’armée, honnie des Touaregs, est revenue. Mais aussi l’armée française, basée à l’aéroport, en dehors de la ville. Et aussi la Minusma, la force africaine de l’ONU. Et aussi, avec le temps et la fin des grandes opérations militaires, les islamistes d’Aqmi qui cherchent à s’infiltrer, à déstabiliser la région et ont attaqué, il y a dix jours à peine, les soldats de la Minusma.
Assassiner deux journalistes désarmés, c’est lâchement facile
Cela fait beaucoup de monde et peu d’ordre. Et plus personne ne s’y retrouve. “Tu ne connais plus personne à Kidal”, a dit Algabass Ag Intallah. Ce que confirme un anthropologue français : “Plus personne ne contrôle Kidal, c’est l’anarchie.”
Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été victimes de ce chaos. Deux reporters enlevés et tués à deux pas des soldats de la Minusma, des forces françaises et des Touaregs du MNLA, le choc est énorme. D’abord parce que RFI, même et surtout en plein désert, est une voix écoutée et respectée. Et parce que leur assassinat révèle, peut-être plus fort encore qu’une énième voiture piégée ou un kamikaze, que rien n’est réglé à Kidal, donc chez les Touaregs.
Voilà des mois, des années, que les spécialistes répètent que le Nord-Mali restera explosif tant que le problème touareg ne fera pas l’objet d’un accord politique de toutes les parties. Aujourd’hui, Bamako tempête et exige, sans en avoir les moyens, le retour de l’autorité suprême de l’État. Le MNLA voudrait qu’on le reconnaisse de plein droit. Les soldats de la Minusma essaient d’assurer un semblant de sécurité. Et les militaires français savent qu’ils ne peuvent pas partir et sont condamnés à intervenir régulièrement pour empêcher les islamistes armés d’Aqmi, d’Iyad ou du Mujao de re-pousser leur corne dans le massif des Ifoghas.
Faire sauter une voiture piégée dans la ville, c’est relativement facile ; se faire sauter en criant “Allah Akbar” face à un barrage, c’est tragiquement facile ; assassiner deux journalistes désarmés, c’est lâchement facile. Kidal n’est qu’un bled perdu du Mali, un morceau de désert du bout du monde, la dernière étape avant les frontières de l’Algérie et de la Libye, mais c’est aussi le symbole de l’instabilité qui risque de s’installer durablement dans la région, un chaudron, alimenté par tous les vents mauvais.