Les Assises de la décentralisation, visant à apaiser les tensions avec les Touaregs, ressemble déjà à un marché de dupes.
Les travaux des assises nationales sur la décentralisation qui viennent de s’ouvrir au Mali sont bien partis pour tenir toutes leurs promesses en matière de suspense et de retournements de situations. En effet, ces assises qui sont censées apporter des solutions à la crise que vit le Mali, présentent, à peine ouvertes, leurs limites, et cela à telle enseigne qu’il y a lieu de commencer à se poser des questions quant à l’issue des résultats de cette rencontre nationale.
Dialogue de sourds
Alors qu’à Bamako, le gouvernement d’IBK s’emploie à démontrer sa bonne foi et sa volonté réelle «d’apporter des réponses définitives aux frustrations» des populations du Nord, les responsables du MAA (Mouvement arabe de l’Azawad) sont réunis à Ouagadougou pour peaufiner leurs revendications. Pendant ce temps, le MNLA qui a donné son accord de principe, n’envoie aucun de ses responsables assister à la cérémonie d’ouverture des travaux de ces états généraux.
Ce sont autant de signes qui font peser une menace sérieuse sur les conclusions de ces états généraux. Mais ce sont aussi des signes qui, somme toute, ne surprennent pas certains analystes de la situation politique malienne, surtout depuis le déclenchement de la crise dans le Nord.
Leurs analyses se fondent sur certains détails dont la non prise en compte ne pouvait qu’être préjudiciable à cette recherche de la paix que l’ensemble des Maliens appelle de tous ses vœux.
Il s’agit premièrement de l’intitulé même de la rencontre; à l’origine il s’agissait plutôt «des assises nationales sur le Nord». Sous cette formulation, les assises devaient être consacrées essentiellement aux préoccupations des populations du Nord, en l’occurrence les Touaregs. Mais par subtil calcul politicien ou par mauvaise foi inavouée, ces assises se sont ouvertes sous la formulation d’«Etats généraux de la décentralisation». Dès lors, c’est l’ensemble du Mali qui est concerné et non plus exclusivement le Nord du Mali.
Pourtant IBK l’a bien relevé à l’ouverture:
«Il nous faut apporter des réponses définitives aux frustrations de nos frères touaregs.»
Pourquoi alors ce revirement à 90°? De quoi ont donc peur les autorités de Bamako? Quoi qu’il en soit, cette pirouette ne peut qu’exacerber la frustration de ceux qui se plaignaient déjà d’être les mal-aimés de la patrie, au point de vouloir s’en séparer.
Marché de dupes
La seconde raison, non moins importante, est liée au contenu même des débats pendant ces assises; dans la mesure où l’intitulé de la rencontre a changé, il va sans dire que le contenu de la rencontre a suivi la même courbe.
Ainsi, au moment où Bamako parle de problèmes d’organisation et de gestion administrative et d’investissement, les groupes du Nord voudraient plutôt entendre parler de solutions politiques, institutionnelles, juridiques. Comme l’a finalement lâché un représentant du Nord:
«Ce sont des revendications d’autonomie […] et pour cela, la décentralisation n’est pas une solution.»
Quelle solution peut-il alors sortir de ce langage de sourds? A ces deux raisons, il faut ajouter l’absence manifeste de préparation de ces assises. Conséquence, on se retrouve dans la salle sans un minimum de consensus sur les points à débattre et sur les lignes rouges à ne pas franchir.
En fin de compte, c’est à un marché de dupes qu’on assiste avec des adversaires qui sont disposés à se parler, mais pas à s’écouter. Une fois de plus, pour n’avoir pas levé ces préalables, ces assises risquent fort de ne point répondre aux attentes des Maliens.
Double jeu
Il faut dire cependant que dans ce capharnaüm, se dégage quelque chose d’apparemment encore plus pernicieux. C’est le jeu trouble des groupes armés du Nord qui, si on n’y prête attention, risque de surprendre tout le monde.
A quoi rime cette discorde apparente au sein du MNLA? Pourquoi certains de ses membres sont d’accord pour ces assises alors que d’autres y sont carrément opposés? Pourquoi le MNLA, alors qu’il reconnaît officiellement l’intégrité du Mali, alors qu’il semble avoir abandonné ses revendications indépendantistes, ses responsables et ceux du HCUA (Haut conseil pour l’unité de l’Azawad) préparent-ils en même temps une rencontre tripartite avec des groupes comme le MAA, qui prône purement et simplement l’indépendance de l’Azawad?
Ce double jeu des Touaregs ne présage rien de bon, et si IBK ne trouve pas rapidement les bonnes réponses à ces questions, il peut être sûr de ne pas avoir le sommeil avant bien longtemps. En attendant, souhaitons que les uns et les autres gardent à l’esprit l’intérêt supérieur de la nation malienne, et que le désir de vivre ensemble soit plus fort que l’instinct de discorde.
Dieudonné Makieni (Le Pays)