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Mali : la mise en œuvre de l’accord d’Alger peut-elle affaiblir les groupes terroristes ?

Pour la première fois, une réunion du Comité de suivi de l’accord d’Alger de 2015 a eu lieu à Kidal, ville du Nord du Mali tenue par des ex-rebelles indépendantistes. Un symbole qui témoigne de la difficulté à mettre en œuvre cet accord de paix, dans un pays où la majorité de la population le rejette par méconnaissance alors que les violences terroristes n’ont guère cessé. Entretien avec Boubacar Salif Traoré, directeur d’Afriglob Conseil, expert en sécurité et développement dans le Sahel.

TV5MONDE : Plus de 5 ans après la signature de l’accord d’Alger, le Comité de suivi de l’accord (CSA) s’est réuni pour la première fois à Kidal, ville symbole du nord toujours aux mains du CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad), c’est plutôt une réussite ou un échec ?

Boubacar Salif Traoré, directeur d’Afriglob Conseil : L’accord de paix a été signé en 2015 à l’issue du processus d’Alger et depuis il y a eu très peu d’avancée. En 2019, lors du dialogue national inclusif, la question de l’accord figurait parmi les points les plus importants. Une majorité de la population déclarait qu’il fallait une relecture de cet accord, parce que le point d’achoppement était le manque d’inclusivité. Beaucoup de Maliens ne se sentaient pas concernés par l’accord, cela a bloqué les choses.
Côté officiel, ils ont réussi à mettre en œuvre le Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC) qui est à la base de la future armée qui va se déployer dans cette zone, notamment des brigades mixtes entre l’armée malienne et les forces rebelles. On s’attendait à ce que les choses aillent mieux dans la partie nord du Mali. Or on remarque que les groupes terroristes continuent à être actifs dans la zone.

Pour répondre concrètement à votre question, cette première réunion du Comité de suivi de l’accord avec bon nombre de participants notamment des ministres du gouvernement malien de transition, les représentants de la plupart des puissances occidentales, et ceux de l’ONU est un bon signe dans la mesure où on a pu permettre que cette première réunion puisse déboucher sur des actions concrètes.

TV5MONDE : Pourquoi une tentative de réunion du Comité de suivi de l’accord à Kidal a échoué en 2019 ? Pourquoi se réunit-il seulement maintenant ?

Boubacar Salif Traoré : Entre-temps, il a fallu discuter avec les différents acteurs. On a remarqué ces derniers temps des signes d’apaisement, même s’il y a quelquefois des tensions qui peuvent apparaître : par exemple la délimitation d’une zone de défense notamment dans certaines parties du nord qui avaient été déclarées par la CMA, d’où la réaction du gouvernement malien. Avec l’entrée au gouvernement, au ministère de la Jeunesse et des Sports d’un cadre de la CMA, les choses ont commencé à s’apaiser. Il a fallu beaucoup de temps pour dialoguer. Le comité de suivi n’a pas arrêté le processus, malgré le coup d’Etat du 18 août 2020 [et la chute du président Ibrahim Boubacar Keïta, ndlr], il n’y a pas eu de rupture. Ce dialogue a continué et porte ses fruits aujourd’hui.

TV5MONDE : Quel impact de l’arrivée du pouvoir de transition sur la mise en œuvre de l’accord d’Alger ?

Boubacar Salif Traoré : Quand les membres de la transition ont pris le pouvoir, ils ont tout de suite tenu à montrer qu’ils étaient pour la mise en œuvre de l’accord. Un ministère de la Réconciliation nationale a été créé et il a immédiatement fourni un tableau de mise en œuvre progressive de différentes dispositions de l’accord. Cela a été un premier signal fort pour montrer à l’ensemble de la population malienne que le pouvoir de transition s’inscrivait dans cette logique. Il ne faut pas oublier l’action de la communauté internationale présente au Mali, partante pour cette mise en œuvre de l’accord. Le pouvoir de transition s’inscrit dans ce processus.

Il y a eu un empressement du pouvoir de transition pour dire “nous nous sommes totalement engagés dans la mise en œuvre de l’accord et pour l’instant rien ne changera”. Mais les vraies décisions appartiendront au futur président.
TV5MONDE : Quelle est la position du pouvoir de transition sur deux aspects majeurs de l’accord d’Alger à savoir la régionalisation et l’armée reconstituée ?

Boubacar Salif Traoré : Pour l’instant il n’y a pas eu de remise en cause de ce qui est écrit dans l’accord. Dans ce processus de régionalisation, il faut reconnaître que la transition est prévue pour durer 18 mois. Nous sommes à 4 mois depuis la prise de fonction du président de la transition, il reste 14 mois, donc il va falloir faire des choix très clairs. La transition semble plus se concentrer, au niveau du ministère de l’Administration territoriale et celui de la Décentralisation, sur l’organisation des élections. Je pense qu’il appartiendra au pouvoir élu de trancher cette question liée à la décentralisation et la régionalisation.

Concernant l’armée, on a le vice-président Assimi Goïta qui est chargé des questions de défense et de sécurité, tout comme les ministres de la Défense et de la Sécurité. On le voit aller sur le terrain au chevet des troupes. Mais concrètement il n’y a pas eu de position claire : ni de remise en cause de l’accord ni de prise de position allant vers une mise en œuvre rapide. Cela appartiendra au prochain président.

TV5MONDE : Qui a la charge de veiller à l’application de l’accord côté pouvoir à Bamako ? Le président Bah Ndaw, le premier ministre Moctar Ouane, le vice-président Assimi Goïta ? Ces trois-là partagent-ils la même position à ce sujet ?

Boubacar Salif Traoré : Officiellement, c’est le président qui est en charge de la mise en œuvre de l’accord assisté par le vice-président et le premier ministre, mais les décisions viennent du président Bah Ndaw.

TV5MONDE : L’accord d’Alger est signé par le gouvernement malien et deux coalitions de groupes armés du Nord, la Plateforme (alliée de Bamako) et la CMA (Coalition des mouvements de l’Azawad). Le rapport de forces a-t-il évolué depuis entre Plateforme et CMA ?

Boubacar Salif Traoré : Il n’y a pas eu d’évolution majeure. Ce qu’il faut saluer, c’est que l’accord d’Alger a permis l’arrêt des hostilités entre la Plateforme, la CMA et les FAMa [les Forces armées maliennes]. Mais au-delà de ça, chacun a gardé sa position. On a vu un petit détachement de l’armée malienne qui avait été déployé à Kidal, mais c’était symbolique pour dire que l’armée était en cours de déploiement. Il y a des petits signes de ce type qui se déroulent pour montrer que les choses ne sont pas totalement figées. Mais pour bon nombre de Maliens, on est resté au stade initial.

(Re)lire >>> Mali : “L’arrivée de l’armée à Kidal est acceptée et négociée depuis des mois”

TV5MONDE : Comment la population malienne perçoit-elle l’accord d’Alger ? Est-ce que c’est un avis différent en fonction des régions du pays ?

Boubacar Salif Traoré : Le problème de cet accord c’est le manque d’inclusivité. La population ne se sent pas concernée par cet accord. La majorité des personnes qui ont été interrogées disent clairement qu’elles sont contre son application car il ferait, selon elles, la part belle à la zone de Kidal. A cet égard, on peut pointer du doigt le gouvernement précédent : cet accord a été signé aux niveaux présidentiel et ministériel, mais personne ne l’a porté jusqu’au niveau de la population pour qu’elle se sente concernée. Une majorité de la population malienne ne comprend pas l’accord et refuse totalement son application.

TV5MONDE : Lors de la contestation du président IBK, il y avait des slogans critiques contre l’accord d’Alger. Le pouvoir de transition arrivé après n’est-il pas lié à ces critiques et revendications sur l’accord d’Alger ?

Boubacar Salif Traoré : Beaucoup s’attendaient à ce que le pouvoir de transition remette en cause l’accord d’Alger. D’ailleurs, il y a eu des pressions de certaines associations qui attendaient que le gouvernement dise “nous allons renégocier l’accord”, mais cela n’a pas été possible. Au contraire, il y a eu un empressement du pouvoir de transition pour dire “nous nous sommes totalement engagés dans la mise en œuvre de l’accord et pour l’instant rien ne changera”. Mais les vraies décisions appartiendront au futur président selon moi.

TV5MONDE : Quelle influence a la présence militaire internationale sur la mise en œuvre de l’accord ? Je pense bien sûr à Barkhane et à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma).

Boubacar Salif Traoré : C’est très difficile à dire. Ces missions-là sont déployées pour différentes tâches : l’opération Barkhane est là pour une mission particulière, la Minusma aussi, les deux soutiennent les FAMa, dans le but d’une part de contenir les groupes terroristes et d’autre part de protéger la population. Dans une partie du pays, ces missions sont bien comprises. Mais dans l’autre partie du pays, notamment à partir du centre jusqu’au sud, il y a souvent des accusations contre la France et contre la Minusma qui sont qualifiées de soutien aux groupes armés et à la déstabilisation du Mali. Il y a une certaine incompréhension du fait que depuis un certain temps les attaques ne se sont pas arrêtées et que certains groupes terroristes sont montés en puissance. Il y a un mélange et une absence totale de compréhension des enjeux : la population locale ne fait pas la différence entre ceux qui ont signé l’accord et ceux qui attaquent, pour elle c’est la même chose.

D’où le fait que ces populations considèrent que l’accord n’a servi à rien et que la présence de ces troupes ne fait que renforcer la situation d’instabilité. Donc, cela varie d’une partie à l’autre du pays, dans une partie il y a un sentiment anti-français, mais quand on arrive dans les régions du nord du pays, on se rend compte que sans l’opération Barkhane et sans la Minusma ce serait une tout autre histoire. Ils ne sont donc pas dans cette posture contre la politique française.

Il appartient au gouvernement d’expliquer que l’objectif de l’accord est d’aller vers la réconciliation et la paix sur toute l’étendue du territoire malien. C’est cet exercice qui manque.
TV5MONDE : Comment pourrait-on combler ce fossé dans la perception des réalités sur l’accord d’Alger et sa mise en œuvre entre les populations du nord et celles du sud ?

Boubacar Salif Traoré : Avant même 2015, l’accord préliminaire de Ouagadougou de 2013 avait prévu la signature d’un accord 60 jours après la mise en place du gouvernement du président élu, en l’occurrence celui de M. Ibrahim Boubacar Keïta. Or cela n’a pas été le cas. Il fallait mettre à profit la signature rapide d’un accord pour pouvoir expliquer aux populations ce qu’il prévoit réellement. Tant que cette pédagogie ne sera pas faite, il sera très difficile à la population de comprendre le mécanisme de cet accord. Chacun y va de son interprétation. Quand on aborde les questions de sécurité et de défense, dans la tête de beaucoup de Maliens, cela veut dire que le nord, Kidal plus précisément, va avoir sa milice privée, ses militaires privés, sa police privée, que Kidal va avoir toutes les aides et les autres seront laissés pour compte. Il appartient au gouvernement d’expliquer que l’objectif de l’accord est d’aller vers la réconciliation et la paix sur toute l’étendue du territoire malien. C’est cet exercice qui manque.

TV5MONDE : ​Comment s’articule la mise en œuvre de l’accord face à la lutte contre les groupes terroristes ? S’agit-il de deux dossiers distincts ou corollaires ?

Boubacar Salif Traoré : Une chose est sûre, si on arrive à favoriser la mise en œuvre de l’accord car c’est de cela dont il est question on estime qu’il y aura un renforcement des forces de défense et de sécurité maliennes et c’est un atout très important parce qu’avec la mise en place des brigades mixtes, d’un certain nombre de projets de développement, cela peut avoir automatiquement une influence sur les groupes terroristes qui pourraient être affaiblis. Aujourd’hui, il y a un manque de lisibilité de la situation.

Source : TV5MONDE

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