La communauté internationale a pris acte du nouveau coup d’Etat au Mali, sans infliger de sanctions, afin de préserver la lutte contre le jihadisme dans la région et d’éviter que le pays ne sombre dans le chaos.
Mêmes acteurs, autres temps: lors du coup d’Etat d’août 2020, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) avait fermé ses frontières et stoppé ses échanges financiers et commerciaux avec le Mali pour contraindre la junte à une transition civilo-militaire, limitée dans le temps.
Huit mois plus tard, devant le même colonel Assimi Goïta, qui s’est fait déclarer cette fois président après avoir évincé le duo civil à la tête de l’exécutif, la Cédéao a juste suspendu le Mali de ses instances, demandant la nomination “immédiate” d’un nouveau Premier ministre civil et le maintien des élections au début 2022.
“Là on n’est pas dans un rapport de forces.Ce sont des condamnations de papier essentiellement”, résume Jean-Hervé Jezequel, spécialiste du Sahel à l’International Crisis Group.
L’Union africaine et la France, partenaire clé dans la lutte antiterroriste avec sa force Barkhane (5.100 hommes), se sont alignées sur la Cédéao.Le 26 mai, le Conseil de sécurité de l’ONU avait déjà planté le décor, avec une condamnation “ferme” mais pas de sanctions.
“Il était attendu de la communauté internationale, en particulier la Cédéao, qu’elle se montre ferme face à la junte.Cette dernière s’en sort très renforcée, et on peut se demander si elle a désormais des limites”, pointe Boubacar Haidara, chercheur au centre d’études Les Afriques dans le Monde (LAM) à l’Institut de Sciences Politiques de Bordeaux.
De nouvelles sanctions risquaient de faire vaciller un peu plus le Mali, pays crucial pour la stabilité régionale mais éreinté par la déliquescence de l’Etat, la pauvreté et la montée inexorable du jihadisme depuis dix ans.
– Le “précédent tchadien” –
“La population est déjà épuisée par des années de conflit”, souligne Caroline Roussy à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris.Les partenaires du Mali ont eu à coeur “qu’elle ne soit pas mise plus encore en difficulté et que ce ne soit pas finalement une aubaine pour les terroristes”, esquisse-t-elle.
Les Maliens ont aussi peu réagi au “coup d’Etat dans le coup d’Etat”.”Sans mobilisation populaire, c’était la Cédéao contre la junte et les Maliens.Ce n’est pas une position tenable”, considère Jean-Hervé Jezequel.
Pour tous les experts interrogés, le “précédent tchadien” a aussi joué un rôle.Après la mort brutale du président tchadien Idriss Déby Itno en avril, l’Union africaine et la France ont validé l’installation d’une junte militaire, emmenée par le fils du président défunt, au nom de la sécurité régionale.
“La communauté internationale n’a pas du tout su peser sur la situation, elle a perdu la main (..) Dans ce contexte il paraissait compliqué qu’elle puisse avoir une position assez tranchée sur le Mali”, relève Bokar Sangaré, chercheur et rédacteur en chef du site d’informations malien Benbere.
Dans les deux cas, une même obsession domine : consolider la digue antijihadiste alors que la menace, partie du Mali, s’étend dans les pays voisins et que le Tchad, un des rares pays de la région doté d’une armée robuste, apparaît comme un acteur majeur sur l’échiquier sécuritaire.
– “Equilibre instable” –
“Qu’est-ce qui est le plus important, aux yeux des partenaires du Mali, une transition conduite par des civils ou un gouvernement qui permette de continuer la lutte contre les jihadistes ?”, s’interroge Jean-Hervé Jezequel.
“Il y a de fortes hésitations à faire trop pression sur la junte dont on considère par ailleurs qu’elle a plutôt bien collaboré d’un point de vue sécuritaire jusqu’ici”, observe-t-il.
Dans ce contexte, le colonel Goïta apparaît comme le garant d’un “équilibre instable”, renchérit Caroline Roussy.
Le président français Emmanuel Macron a certes menacé de retirer ses troupes du Mali s’il n’y avait “plus de légitimité démocratique ni de transition” dans ce pays et si Bamako allait “dans le sens” d’un islamisme radical.
Mais pour la chercheuse de l’Iris, cette menace marque surtout “une volonté de peser dans la composition du nouveau gouvernement” malien afin que des acteurs proches des jihadistes n’y soient pas nommés.
Au vu des derniers soubresauts, la communauté internationale paraît avoir peu de prises toutefois sur la situation politique au Mali.
“Les leçons du coup d’État précédent montrent qu’une solution durable doit être négociée entre les acteurs maliens”, suggère l’Institute for Security Studies (ISS) à Pretoria.”C’est aux Maliens eux-mêmes de le faire”, insiste Jean-Hervé Jezequel.
AFP