Dernier bilan de l’attaque d’un camp militaire, le 17 mars, dans le centre du Mali : 23 soldats tués, toujours pas de revendication. A Bamako, le chercheur Ibrahim Maïga, de l’Institut d’études de sécurité, constate une recrudescence des attaques terroristes au Mali. RFI : La région de Dioura-Ténenkou est-elle marquée par une faible présence de l’Etat et par une forte présence jihadiste ? Ibrahim Maïga : On sait que c’est une zone compliquée, où l’accroissement de l’activité de ces groupes, donc des groupes jihadistes ou qualifiés comme tels, a coïncidé avec le recul de l’Etat malien.
C’est aussi une zone proche de la frontière mauritanienne, où on a cette forêt de Wagadou, qui sert de refuge à certains de ces groupes. Depuis l’année dernière, l’Etat est également dans une posture de reconquête territoriale à travers plusieurs initiatives comme le PSIRC, le Plan de sécurisation intégré des régions du centre, qui repose essentiellement sur les composantes de sécurité, de gouvernance et de développement socio-économique.
A côté de ça ou en plus de ce PSIRC, qui est en œuvre depuis 2018, vous avez aussi, au cours de ces dernières semaines, de ces derniers mois, une multiplication des visites du Premier ministre. Ces visites visent d’ailleurs à affirmer la présence de l’Etat dans cette zone et aussi à encourager un retour des services de l’Etat. Justement, pourquoi cette stratégie du Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga ne parvient pas à enrayer les attaques jihadistes ? Il faut comprendre qu’on a pris quand même un temps de retard dans le traitement de la problématique sécuritaire dans le centre du Mali, pendant les premières attaques qui remontent déjà à 2015.
C’est en 2017 qu’on a vu le Plan de sécurisation intégré des régions du centre. Ce n’est qu’en 2018 d’ailleurs que ce plan a commencé à être mis en œuvre. Il ne faut pas non plus penser qu’en l’espace de quelques mois ou d’une année, tous les problèmes vont être réglés. Alors vous dites que l’Etat est en train de se réinstaller dans cette région Centre, est-ce à dire que cette attaque de Dioura, ce serait une sorte de baroud d’honneur des jihadistes ? On se rend compte qu’à chaque fois que l’Etat tente de se réinstaller dans une zone, ils mènent des attaques sporadiques pour montrer leur présence, pour marquer leur présence dans ces espaces, mais aussi surtout pour casser la dynamique de retour de l’Etat.
Ce camp qui a été attaqué, ce n’est pas le premier camp qui fait l’objet d’attaques dans cette zone. Si on prend le cercle de Ténenkou, et si plus largement on prend la région de Mopti, et aussi la région de Tombouctou. Cela s’inscrit dans un cycle d’attaques, mais qui repose surtout sur l’exploitation de failles dans le dispositif sécuritaire. Cette région de Dioura-Ténenkou est-elle une zone de conflits entre Peuls semi-nomades et agriculteurs bambaras ou dogons ? C’est une zone où, historiquement, il y a eu des tensions et parfois des conflits entre catégories socio-professionnelles, notamment les éleveurs et les agriculteurs. Mais ce qui a changé aujourd’hui, c’est surtout l’instrumentalisation de ces tensions par des groupes armés qualifiés de jihadistes.
On a cru un moment que le prédicateur peul, Amadou Koufa, était mort. En fait, il semble bien vivant. Peut-il être impliqué dans l’attaque de ce week-end ? C’est une zone reconnue comme étant une zone d’activités de la Katiba Macina, entre autres. Et au regard de cette réalité, mais surtout des connexions entre les différents groupes dans la région, il n’est pas à exclure qu’Amadou Koufa ou que les hommes d’Amadou Koufa soient intervenus ou soient impliqués dans cette attaque terroriste. Et la présence supposée de Ba Ag Moussa dans l’attaque, veut-elle dire que des Touaregs y ont participé ? Alors depuis mars 2017, il y a cette alliance de plusieurs groupes terroristes, je veux parler du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. On sait qu’il y a des individus de toutes les communautés au sein de ces groupes.
Ce ne serait pas surprenant qu’on retrouve des éléments de cette communauté comme d’autres, puisque les liens existent entre les différents groupes au sein de cette alliance du GSIM. Quelques 237 attaques terroristes ont été recensées l’année dernière au Mali. Est-on aujourd’hui sur une courbe ascendante ou descendante ? Il est important de ne pas seulement se focaliser sur le quantitatif, mais aussi d’apprécier la fréquence à laquelle ces attaques interviennent, et surtout là où elles interviennent. Donc, il est aussi important de regarder de plus près le qualitatif autant que le quantitatif. Ce qu’on observe depuis un certain temps, c’est que les groupes se sont multipliés ces dernières années, que leur zone d’opérations et d’activités s’est considérablement accrue. Je fais référence non seulement à l’attaque de Koulikoro [24 février 2019], mais aussi aux attaques perpétrées dans la région de l’Est, près du Burkina.
Et un élément important également, on constate depuis plusieurs années une sorte d’endogénéisation de la menace. Ce sont des groupes qui sont constitués de locaux, de nationaux de ces différents pays-là. Donc il est important aussi de le souligner en plus de l’aspect quantitatif. Effectivement on assiste à une recrudescence parmi les attaques depuis le début de l’année 2019. Apparemment, la Mission de l’ONU au Mali (Minusma) et le G5 Sahel [Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad] sont totalement désarmés face à cela ? C’est peut-être illusoire de penser que la Minusma et le G5 Sahel, à eux seuls, parviendront à éliminer ou à freiner cette menace, puisqu’il y a le caractère multidimensionnel de la réponse.
On a le sentiment en regardant un petit peu ces acteurs que parfois la tentation de privilégier l’outil sécuritaire, l’outil militaire, est grande, trop grande malheureusement, et cela se fait au détriment des autres aspects qui sont importants, y compris ne pas négliger la négociation avec certains individus qui ont rejoint ce groupe, qui ne sont pas dans une logique de rejet total de l’Etat, mais qui peuvent être récupérés. Donc, il est important de combiner les actions pour arriver à une solution qui puisse réduire l’activité terroriste dans cette région.
Par Christophe Boisbouvier
Source : Maliactu.info