Vit-on aujourd’hui dans un État policier au Mali? La question peut paraître étrange dans une démocratie où personne n’est emprisonné pour ses convictions. Mais les derniers événements (la répression par la police de la marche des femmes des travailleurs compressés de l’Huilerie cotonnière du Mali (Huicoma) le jeudi 4 janvier, le tabassage et l’arrestation d’activistes et de journalistes par les forces de l’ordre lors de la manif avortée devant l’Ambassade de France le 10 janvier, la répression de la manifestation des femmes, qui exigent la fin des violences conjugales, devant l’Assemblée Nationale le 12 janvier…), sont les manifestations, selon des activistes maliens, d’un Etat policier que le pouvoir actuel est en train d’instaurer au Mali.
Coups de matraques, jets de gaz lacrymogène, arrestations etc., les manifestants supportent de plus en plus mal la « répression » policière lors des récentes manifestations dans la capitale malienne. Un climat de défiance s’est installé.
Malgré l’état d’urgence au Mali, en vigueur presque sans interruption depuis l’attentat terroriste contre l’hôtel Radisson Blu en 2015, les manifestations continuent de plus belle. Les citoyens maliens, profondément marqués par la crise qui secoue le pays depuis 2012 et qui peine à connaitre son épilogue, descendent très régulièrement dans les rues pour réclamer leurs droits. Ces différentes manifestations dont certaines ont enregistré des centaines de milliers de personnes (marches de la Plateforme An tè A Banna !), se déroulaient jusqu’à présent sans grand incident et sans anicroche entre les manifestants et les forces de l’ordre.
Mais depuis le début du nouvel an, les manifestants font l’objet d’une violence inouïe de la part des forces de l’ordre. La marche des femmes des travailleurs compressés de l’huilerie cotonnière du Mali (Huicoma) a été ainsi réprimée le jeudi 4 janvier par les forces de l’ordre. Elles marchaient en direction de Koulouba, le palais présidentiel afin d’exiger le payement du plan social, qui s’élève à huit milliards de FCFA, suite à la privatisation de l’Huicoma en 2003. Le mercredi 10 janvier, une manifestation contre la « partialité » de la France dans la crise malienne a été violemment empêchée par les forces de l’ordre à Bamako. Les manifestants qui voulaient se réunir devant l’ambassade de France ont été dispersés par la police.
Certains, et des journalistes qui étaient là pour la couverture de l’événement, ont été agressés physiquement par les forces de l’ordre. «J’étais ce 10 janvier devant l’ambassade de France à Bamako pour couvrir la marche de la jeunesse malienne qui dénonce le comportement “ambiguë ” de la France dans le dossier KIDAL. Quand je suis arrivée devant l’ambassade, les jeunes étaient dispersés par le gaz lacrymogène. J’ai donc voulu prendre des images et les policiers sont venus me crier dessus et certains sont allés jusqu’a me taper en disant que je suis partout, je suis dans toutes les activités avec ma caméra », explique, dans un témoignage qui a fait le tour des réseaux sociaux, la journaliste Halima Ben Touré, violentée par les forces de l’ordre.
« Indignée, je me demande si cette instruction vient du ministère de la Sécurité intérieure dirigée par SALIF TRAORE. Sinon comment comprendre qu’un policier frappe une journaliste juste parce qu’elle fait son travail? J’en suis indignée et foncièrement touchée. J’interpelle donc la direction nationale de la police et le ministère de la Sécurité intérieure pour que plus jamais la presse ne soit victime de ce genre de barbarie. Que ça cesse! »
Parmi les journalistes qui ont passé un très sale quart temps lors de cette manif figure Hamidou Keita, journaliste à l’hebdomadaire « Le Témoin » et correspondant de « La voix du Balanzan ». Il a été embarqué manu militari au premier arrondissement en plein exercice de sa fonction, puis relâché après avoir passé deux heures de temps à la police.
« Des actes de barbarie d’un autre âge »
La tension est encore montée d’un cran le vendredi 12 janvier lors de la manifestation des femmes contre les violences conjugales devant l’Assemblée Nationale suite à la mort de Fanta Sekou Fofana tuée par son mari dans le palais présidentiel. Les forces de l’ordre ont tiré des gaz lacrymogènes pour empêcher le rassemblement des manifestantes. Plusieurs manifestantes furent blessées. « Ces actes de barbarie d’un autre âge doivent cesser immédiatement », selon Kadidia Fofana, la présidente du collectif des « amazones », l’une des initiatrices de la manifestation devant l’Hémicycle.
« Pourquoi toutes ces répressions maintenant ? Nous sommes bien et bel dans un Etat policier aujourd’hui», s’indigne Amadou Bedi Daou, responsable de la Plateforme An tè A Banna ! D’après cet habitué des manifestations à Bamako, il y a forcement un rapport entre la nomination du nouveau Premier ministre Soumeylou Maïga et l’instauration de l’Etat policier au Mali. « Le nouveau Premier ministre est là pour ça ».
Amadou Beidi Daou prône l’union des activistes du Mali afin de pouvoir tenir tête à « l’Etat policier». « Une division des activistes du Mali permet ces genres de répression. Plus il y a moins de gens plus il est facile d’oppresser les manifestants… Nous disons halte à cet état policier», explique l’activiste.
Après ces différentes répressions par le pouvoir en place, le samedi 13 janvier, dans un communiqué, le Parena a dénoncé une « dérive autocratique et autoritaire du régime d’IBK et de son gouvernement. »
Selon le Parena, le président IBK et son nouveau gouvernement font planer de sérieuses menaces sur les libertés démocratiques fondamentales, notamment sur le droit de manifestation pacifique et la liberté d’expression. « C’est intolérable et inacceptable. Le président et son gouvernement sont seuls responsables du climat de violence qu’ils sont en train d’instaurer », a indiqué le parti de l’opposant Tiébilé Dramé.
Madiassa Kaba Diakité
Source: Le Républicain