En lieu et place d’une participation active aux affaires de l’État du fait de sa forte implication dans la chute de l’ex-Président Ibrahim Boubacar Keïta, le Mouvement du 5 juin est aujourd’hui condamné à traverser le désert de la transition civilo-militaire jusqu’aux élections générales de 2022. Avec la crainte d’une dislocation en cours de route.
Artisan principal de la chute de l’ancien Président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) –dont l’imam Mahmoud Dicko fut l’influent catalyseur– apparaît comme le grand perdant du processus de mise en place des organes de la transition malienne.
C’est pourtant grâce aux puissantes manifestations déroulées sous son égide et durant plusieurs semaines contre IBK que le colonel Assimi Goïta et ses hommes ont pu orchestrer avec succès le coup d’État du 18 août dernier. Aujourd’hui, il n’est pas certain qu’il reste du M5-RFP un contenu substantiel capable de gêner le régime civilo-militaire qui gouverne le Mali.
«Ce mouvement pouvait être considéré comme une vraie nouveauté politique au Mali en raison de sa composition, du contexte dans lequel il a vu le jour, des perspectives politiques dont il était porteur. Mais les dissensions en son sein et la logique de tension entretenue avec la junte à toutes les étapes de la crise née du coup d’État l’ont affaibli», constate pour Sputnik Emmanuel Dupuy, président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE).
Avec le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD), le Mouvement démocratique et populaire (MDP), Espoir Mali Koura (EMK), la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS) et plusieurs autres groupuscules du landerneau social malien, le M5-RFP a fonctionné tant bien que mal en faisant cohabiter intellectuels, libéraux, marxistes et même islamistes pour un but ultime partagé: le départ d’Ibrahim Boubacar Keïta.
«Au final, le M5-RFP n’a vu aucune de ses doléances ou exigences satisfaites par la junte. Il n’a obtenu aucun poste dans les organes de la transition approuvés par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao)», constate Emmanuel Dupuy. Élément essentiel en sus, l’imam Dicko a publiquement et très vite déclaré qu’il retournait à sa mosquée et à ses sermons car il considère que sa mission est terminée.
«Vu le poids que l’imam avait dans le mouvement, on peut douter en effet des capacités du M5-RFP à aller plus loin dans la contestation maintenant», avance le président de l’IPSE.
Après plusieurs jours de tractations entre acteurs politiques, sous l’œil vigilant de la Cedeao, un gouvernement de transition obtenu aux forceps a vu le jour le 5 octobre dernier avec 25 membres, dont quatre militaires de la junte promus à des postes stratégiques. Les colonels Sadio Camara et Modibo Koné sont à la Défense et à la Sécurité, le lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga à l’Administration territoriale et le colonel-major Ismaël Wagué atterrit au ministère de la Réconciliation nationale.
Pour Choguel Maïga, à la tête du Comité stratégique du M5-RFP, l’annonce de la nouvelle équipe est un non-événement.
«Le nouveau gouvernement, dont la composition viole la loi n°052 sur la promotion du genre, n’est porteur ni de la rupture avec le système qu’il a combattu ni du changement auquel le peuple malien aspire et pour lequel il a consenti le sacrifice ultime: le sang de ses martyrs, pour lesquels justice doit être rendue sans délai», lit-on dans sa note sortie le 6 octobre en réaction à la publication de la liste des membres du gouvernement de transition.
La loi citée par Choguel Maïga fait référence au principe de la parité homme-femme dans les nominations à certaines fonctions d’État.
Les militaires au centre du jeu, un diplomate comme PM, des portefeuilles aux figures de la contestation et aux ex-rebelles… Le gouvernement de transition est le reflet des rapports de forces politiques à Bamako.https://t.co/pQZykmlC5S
Le gouvernement de transition ne compte «que» quatre femmes, dont Kadiatou Konaré, la fille de l’ancien Président de la République Alpha Oumar Konaré. Mais pour Emmanuel Dupuy, le M5-RFP devrait dorénavant concentrer ses efforts ailleurs.
«Être sur la première ligne de pression face au gouvernement de transition, avec vigilance et responsabilité, cela me semble déjà un programme minimal pour le M5-RFP qui n’a du reste aucun intérêt à être présent dans les organes de la transition. Il peut être ainsi l’incarnation d’une opposition exigeante», analyse le politologue.
Le mouvement du 5 juin devra donc attendre son heure qui ne pourra intervenir qu’à l’issue des 18 mois de transition. À cet horizon, un scrutin présidentiel et des élections législatives qui consacreront le retour intégral des civils au pouvoir. Mais des incertitudes demeurent sur sa capacité à survivre en supportant les méandres d’une longue traversée du désert.
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