Donner à une femme un emploi rémunéré ou une activité génératrice de revenus, c’est lui procurer les moyens de subvenir à ses propres besoins et de contribuer aux dépenses du foyer. De quoi apaiser des tensions au sein du couple.
Il y a 3 ans, Fanta (c’est un nom d’emprunt) a épousé un homme sous la contrainte de ses parents. La jeune femme qui approche la trentaine a dû accepter cette union avec un mari qui se trouve être le fils d’un ami à son oncle. Un mariage arrangé en quelque sorte. Le couple vivait à Sébénicoro, un quartier de Bamako. Le calvaire de Fanta a débuté juste après un an de mariage. Son mari la battait à la moindre incartade. «Il insultait même mes parents et les traitait de misérables. Il disait que mes parents et moi dépendions de lui et que je n’avais nulle part où aller », témoigne Fanta. Son mari rechignait à lui remettre de l’argent pour ses besoins et n’hésitait pas souvent à l’enfermer toute la journée dans la chambre pour l’empêcher de sortir et aller raconter son calvaire à ses parents.
Fanta a supporté stoïquement les brimades jusqu’au jour où son mari l’a battue encore une fois avant de la jeter dehors avec ses affaires. «Ce jour-là, je me suis sentie libérée», lance Fanta qui ne s’est pas fait prier pour ramasser ses affaires et quitter son mari. Elle a trouvé refuge chez une tante qui habitait à côté de chez elle. Cette dernière lui a trouvé du travail dans une entreprise qui dispose de contrats de nettoyage avec plusieurs structures publiques et privées. Devenue technicienne de surface, Fanta perçoit aujourd’hui un bon salaire mensuel. N’ayant pas d’enfant à sa charge, elle parvient largement à subvenir à ses propres besoins et peut même mettre de l’argent de côté. Elle peut se targuer d’avoir obtenu son autonomie financière. Elle ne dépend plus de personne pour ses propres dépenses et peut même venir en aide à ses parents nécessiteux. Son épanouissement n’a pas laissé son mari indifférent. L’homme a certainement regretté d’avoir laissé partir une femme qui s’est révélée être une personne capable de se construire une vie meilleure. Il a fait des pieds et des mains pour que Fanta réintègre le foyer. Au moment où nous la rencontrions, Fanta hésitait encore sur la conduite à tenir.
Si Fanta se demande s’il faut accepter de rejoindre un mari qui l’avait maltraitée, Sitan (c’est un nom d’emprunt) continue à vivre le calvaire de la violence conjugale. Mariée depuis 2009, elle a vu son mari changer d’attitude à son égard après les premières années de leur union. Cet homme qu’elle avait épousé de son plein gré, est devenu subitement violent. Leur foyer s’est transformé en un théâtre de la violence conjugale presque quotidienne. Sitan avait fait le choix de ne pas en parler à ses proches. Quand nous l’avons rencontrée chez elle près de Kati, ville garnison située à 15 km de Bamako, ses premiers mots étaient de nous demander que son mari et ses parents ne soient pas au courant de l’entretien. Entourée de ses enfants dans une maison inachevée dont les portes sont sans battants, la peur se lisait sur son visage. Lorsque le frère de son mari a fait son apparition dans la maison, elle a brusquement changé de sujet. Nous avons dû revenir le lendemain pour achever l’entretien. «Je me suis mariée de mon propre gré il y a 8 ans. Personne ne m’a forcée», explique-t-elle, ajoutant que son mari travaille non loin de leur domicile dans une bijouterie. Sitan témoigne que son mari abuse régulièrement d’elle sexuellement. «Et à chaque fois que je résiste, il me bat », souffle celle qui est déjà mère de 5 enfants. Elle a été obligée de faire une interruption volontaire de grossesse sans informer son mari. «Les voisins se moquent de moi en disant que je suis comme une poule pondeuse», se plaint Sitan qui n’a pas non plus frappé à la porte d’une association d’aide aux femmes victimes de violences conjugales. « Je ne me suis jamais plaint auprès d’une association ni porter plainte dans un commissariat par peur qu’il me tue après», dit-elle en regrettant de ne mener aucune activité génératrice de revenus. «Cela m’aurait permis d’échapper à ces violences », estime Sitan. Son histoire recoupe les conclusions d’un article du journal «Madame le figaro.fr» publié le 14 juin 2016 : «la première raison pour laquelle les femmes victimes de violences conjugales ne peuvent pas partir est qu’elles sont dépendantes financièrement». Le sociologue Aly Tounkara est du même avis. «L’autonomisation économique demeure le soubassement de l’égalité entre l’homme et la femme», souligne notre interlocuteur pour qui dans un couple où les deux conjoints exercent un métier, on constate que les relations sont stables. Il plaide donc l’exercice d’une activité génératrice de revenus par les femmes ou l’accès à des postes de responsabilités.
Les causes de la violence conjugale sont culturelles et éducatives, estime le sociologue. Beaucoup d’hommes, explique-t-il, pensent qu’il faut user de la violence pour soumettre une femme. Aussi, ajoute-t-il, les femmes ont tendance à accepter la violence lorsqu’elles grandissent dans des milieux où le fait de frapper sa femme, est considéré comme normal. Il y a également la perception culturelle présentant la femme comme un individu immature ayant besoin d’être corrigé au besoin par la violence.
DRAMES CONJUGAUX-Le sociologue, Dr Aly Tounkara, énumère plusieurs formes de violences conjugales : les coups et blessures, la violence économique, le viol conjugal. Toutes ces violences, dit-il, concourent à réduire la possibilité qu’offre l’environnement à la femme de s’épanouir. La violence économique consiste à la propension des maris à décourager leurs épouses désireuses de se lancer dans des activités génératrices de revenus, explique notre spécialiste. Cette situation contribue à déshériter les femmes du pouvoir économique, provoquant le déséquilibre dans les rapports au sein du couple. Si le mari seul détient le pouvoir financier, les tensions ne tardent pas à apparaitre, la violence aussi. Surtout s’il n’est pas un homme riche ou un haut cadre ayant des revenus considérables. L’épouse, du fait de sa dépendance financière, voit ses besoins financiers insatisfaits. Inutile de dire qu’il est difficile pour un mari de satisfaire les besoins financiers d’une épouse qui participe à pas moins de 5 baptêmes et 2 mariages par semaine, et à chaque occasion, elle est tenue d’offrir des cadeaux plus ou moins onéreux.
Les tensions dans les couples peuvent conduire souvent à des drames. En seulement deux ans, trois femmes sont mortes sous les coups de leurs conjoints. Le 5 février 2015, Mariam Diallo, une jeune mère, a été assassinée par son époux. Le 23 janvier 2016, Kamissa Sissoko a été abattue par son mari avec un pistolet, au cours d’une dispute. Le troisième drame est survenu en 2017. Une standardiste de la présidence de la République du Mali succombait sous les coups de son mari. Selon le rapport annuel de l’ONU Femmes, en 2014, plus de 603 cas de violence conjugale ont été enregistrés par Wildaf Mali, une ONG qui lutte pour les droits des femmes. Parmi les femmes qui sont déjà en couple, 44% ont subi des violences physiques, sexuelles ou émotionnelles de la part de leurs maris.
Le rapport 2012/2013 de «Demographic Health Survey» révèle qu’un quart des femmes en couple ont déjà été physiquement blessées à la suite des violences conjugales.
Le centre d’écoute, d’orientation et d’assistance juridique et judiciaire de l’Association pour la Défense des droits de la femme (APDF) a enregistré 294 dossiers au cours de l’année 2017. Selon le classement du système de gestion et d’information sur les violences basées sur le genre, ces dossiers sont classés en deux catégories. Il y a les violences basées sur le genre (VBG) et les hors VBG. Les VBG sont de nature à causer du mal ou des souffrances aux femmes/filles que ce soit dans la vie publique ou privée. Elles sont au nombre de six : l’agression sexuelle, le viol, l’agression physique, le mariage forcé ou précoce, le déni de ressources ou d’opportunité de service et enfin les violences psychologiques.
Dr Aly Tounkara fait remarquer que l’application des lois sur le terrain se heurte parfois à la mentalité des citoyens. Il pointe les difficultés d’accès aux tribunaux pour les femmes victimes en raison notamment de la pression sociale qu’elles subissent et de la peur de la stigmatisation. «Il apparaît que dans bien des cas, une procédure de conciliation est engagée et aboutit au retour de la femme au domicile conjugal», constate-t-il.
Ce constat est partagé par Ousmane Camara, juriste à l’Association femme battue. Celui-ci déplore le fait que dans l’arsenal judiciaire du Mali, ni les violences domestiques, ni le viol conjugal ne sont incriminés en tant que tel.
«L’accès aux tribunaux pour les femmes qui en sont victimes est cependant possible par l’incrimination des coups et blessures et du viol (articles 207 et 226 du Code Pénal)», précise le juriste qui ajoute que concernant les mesures de protection de la femme, le Mali a adopté plusieurs textes et ratifié de nombreux accords internationaux. Il cite en premier lieu la Constitution du pays qui stipule que «tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs». Aussi, le protocole de Maputo relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme, recommande aux Etats de «combattre les violences faites aux femmes, en adoptant les mesures appropriées aux plans législatif, institutionnel et autres». Avancée notoire : la pression de l’opinion à travers notamment les réseaux sociaux oblige de plus en plus les autorités à plus de fermeté à l’égard des auteurs de violences conjugales.
Cette fermeté s’est traduite récemment par la condamnation à la perpétuité par la Cour d’assises de l’auteur du meurtre de Kamissa Sissoko, commis en 2016. Aussi, les jeunes gens qui ont violé une fille, filmé la scène et mis en ligne la vidéo, ont été activement recherchés par la police, arrêtés et écroués. La diligence de l’enquête policière est consécutive au tollé général à travers les réseaux sociaux.
Anne-Marie KÉITA
Source: Essor