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Mali : conflit, inondations, couvre-feu… A Mopti, se soigner est un parcours d’obstacles

Adama accompagne sa fille, Mariam, sur le point d’accoucher, au centre de santé de référence soutenu par Médecins Sans Frontières (MSF) à Douentza, dans la région de Mopti au centre du Mali, pour qu’elle puisse y donner naissance à son enfant  avec l’assistance de professionnels de la santé. Elles vivent dans la zone rurale de Douentza et la route vers la ville n’a pas été facile. «Depuis le début de la crise, on a peur des braquages en route », explique-t-elle. On a peur qu’on pille nos biens, qu’on nous agresse. De nombreuses personnes ont perdu la vie sur ces routes. Si quelqu’un se fait agresser en route par des voleurs, et qu’il n’a pas d’argent, il se fera bastonner. Cette crise a créé une restriction totale de nos libertés », explique Adama.

La crise à laquelle fait référence Adama a commencé en mars 2012, avec l’occupation du nord du Mali par des groupes armés non-étatiques en conflit avec l’Etat malien et son armée. En 2015, malgré la signature des accords de paix, la crise s’est déplacée vers le centre du pays qui demeure aujourd’hui un foyer grandissant d’insécurité et de violence.

Les activités croissantes des groupes armés non-étatiques dans la région de Mopti se combinent aujourd’hui dans certaines localités avec une détérioration voire une instrumentalisation des conflits locaux entres communautés peulhs, vivant majoritairement de l’élevage, et communautés dogons, vivant principalement de l’agriculture.

Des opérations militaires sont en cours depuis plusieurs mois avec le soutien des militaires français[1], des forces déployées sous l’égide des Nations-unies[2] et du G5 Sahel[3]. Ces opérations s’accompagnent de mesures d’ordre public décidées par les autorités militaires maliennes. Parmi les mesures imposées dans ce cadre figurent l’interdiction de la circulation des deux-roues motorisés et des véhicules de type pick-up et l’instauration de couvre-feux.

Tous ces facteurs contribuent à limiter la capacité des habitants de la région à se déplacer, et à accéder à des structures de santé lorsqu’ils ont besoin de soins médicaux.

« C’est d’autant plus compliqué que nous n’avons pas de soignants dans le village et que le centre médical le plus proche est à 15 km d’ici», explique Ousmane, rencontré à Douentza où il a amené Soumaila, son fils de cinq ans, hospitalisé pour soigner un paludisme sévère. « Nous sommes venus à l’aide d’une charrette jusqu’au centre de Douentza ».

L’insécurité et les violences ont poussé  des personnels de santé et certains acteurs humanitaires à réduire leurs interventions ou à quitter la région, en particulier les zones rurales les plus conflictuelles.

Pour assurer aux personnes les plus vulnérables dans ces zones un accès gratuit aux soins,  les  équipes MSF travaillent à Douentza depuis 2017. Au centre de santé de référence de Douentza, elles ont constaté que les patients arrivent généralement avec des problèmes déjà avancés.  « En raison notamment des contraintes liées à l’insécurité, la peur et la distance à parcourir, ce n’est que lorsque l’état de santé des malades atteint un niveau très sérieux qu’ils tentent de se rendre au centre de santé. Nous avons par conséquent souvent du mal à guérir ces patients tout simplement parce qu’ils sont arrivés très tardivement», explique Badamassi Abdrahimoune, coordinateur de projet de MSF à Douentza.

Le constat est partagé par les équipes MSF présentes au centre de santé de référence de Ténenkou.

Dans cette partie ouest de la région de Mopti et à proximité du fleuve Niger et de ses affluents, les crues régulières du fleuve durant la saison des pluies isolent plusieurs villages et rendent les trajets quasi impossibles. « Les limitations dues à l’insécurité viennent s’ajouter  aux contraintes récurrentes pendant la saison des pluies, qui s’étale généralement de juillet à décembre. Des zones entières se retrouvent encore plus isolées que d’habitude, coupées des voies d’accès à cause des inondations » rappelle Frédéric Demalvoisine, chef de mission de MSF au Mali. Face à tous ces obstacles, MSF déploie ses équipes médicales pour aller autant que possible à la rencontre des populations isolées,  bloquées, et privées de soins.

Dans le cercle de Douentza, elles ont étendu leurs activités à  trois centres de santé dans les zones rurales de Boni, Hombori et Mondoro,  où les habitants ont souvent du mal à se déplacer jusqu’à Douentza pour se faire soigner en raison des affrontements en cours. D’août 2018 à janvier 2019, plus de 21 800 consultations ont ainsi été fournies dans ces trois centres. Dans le cercle de Ténenkou, elles organisent des cliniques mobiles, pour fournir des soins primaires et organiser la référence des patients les plus sévèrement malades vers l’hôpital de Ténenkou.

Elles se rendent régulièrement à Diafarabé, au sud de Ténenkou, où des centaines de déplacés  se sont installés depuis le mois de novembre dernier fuyant l’attaque sur leur village de Mamba,  qui s’est soldée par une dizaine de morts.

Kassé Tiouté fait partie de ces déplacés, elle raconte : « Des hommes armés sont venus dans le village. Sur place, ils ont tué 11 personnes.  Beaucoup de personnes ont immédiatement pris la fuite. Nous sommes venus en courant à Diafarabé. J’étais avec mon enfant, ma belle-mère et mes sœurs. Nous sommes tous tombés malades. Même aujourd’hui, je ressens encore de la peur à cause de ce que nous avons vécu. Pendant la nuit, je revis les mêmes scènes. Je ne souhaite plus retourner dans mon village. »

Durant les prochains mois de 2019, les défis humanitaires demeurent énormes, et les équipes MSF continuent d’aller vers les populations isolées et privées de soins en raison de la dégradation du contexte sécuritaire dans le centre du pays.

Dans la zone de Mopti, MSF appuie différents services des hôpitaux des cercles de Douentza et Ténenkou et assure la référence des patients. MSF a étendu son soutien à 3 centres de santé communautaires en périphérie de Douentza et soutient le déploiement des agents de paludisme auprès des populations de Ténenkou vivant dans les zones difficilement accessibles. Des consultations en cliniques mobiles sont effectuées pour les personnes n’ayant pas ou peu d’accès aux centres de santé communautaires. En 2018, MSF a effectué plus de 53,000 consultations dans la région de Mopti,  dont 12,000 consultations lors des cliniques mobiles, assisté environ 1,200 naissances et soigné près de 400 enfants sévèrement malnutris.

Source : MSF-Mali

 Témoignages
Mopti au Mali: “Nous étions paralysés par la peur durant tout le trajet”

 Adama, Ousmane, Kassé et Aichata Bah vivent dans la région de Mopti au centre du Mali; plus précisément dans le cercle de Douentza au nord-est de Mopti pour Adama et Ousmane, et dans le cercle de Ténenkou,  à l’ouest de Mopti, pour Kassé et Aichata Bah, sur le delta du fleuve Niger dont les crues au moment de la saison des pluies isolent des villages entiers. Ces deux zones sont durement touchées par le conflit en cours au centre du Mali. Se déplacer y est à la fois difficile et dangereux, ce qui rend l’accès aux soins de santé particulièrement compliqué pour les populations qui y vivent. Adama, Ousmane, Kassé et Aichata partagent leur expérience. 
Adama Diarra

Adama Diarra (à gauche), une vendeuse de légumes de 47 ans, a parcouru les 53 kilomètres qui séparent son village de la ville de Douentza pour accompagner sa fille Mariam Tamboura (à droite) à l’hôpital. Mariam a accouché par césarienne à l’hôpital de Douentza, soutenu par MSF.
« Se faire soigner est très difficile. Pour aller au centre de santé le plus proche de notre village, il faut payer 2 000 Francs [environ 3 euros] pour payer le transport, et pour aller à l’hôpital de Douentza c’est 5 000 Francs [environ 7,60 euros], ce qui est très cher, donc c’est difficile pour nous. C’est d’autant plus compliqué que les véhicules ne circulent que les jours de marché. Les autres jours, les trajets se font à dos d’âne et cela peut prendre des heures.
Depuis le début de la crise, on se déplace moins de peur des braquages en route. On a peur qu’on pille nos biens, qu’on nous agresse. De nombreuses personnes ont perdu la vie sur ces routes. Si quelqu’un se fait agresser en route par des voleurs, et qu’il n’a pas d’argent, il se fera bastonner. Cette crise a créé une restriction totale de nos libertés.»

Ousmane Yalcouye

Ousmane Yalcouye, agriculteur de 34 ans, accompagne son fils Soumaila, âgé de cinq ans, qui est hospitalisé à Douentza après avoir contracté une forme sévère du paludisme. L’hôpital est la structure médicale la plus proche de leur village, situé à 15 km.

« Consulter un docteur est difficile car nous n’avons pas de soignants dans le village et le centre médical le plus proche est à 15 km d’ici. Notre village se situe sur une colline, nous avons donc porté Soumaila au bas de la colline et nous  sommes ensuite venus à l’aide d’une charrette jusqu’au centre de Douentza.

Beaucoup de chose ont changé depuis la crise. L´insécurité est grandissante et cela a un  impact sur nos travaux agricoles et sur l´élevage. Les personnes et les biens ne sont plus en sécurité. Il faut mettre fin à ce conflit.»

Kassé Tiouté

Kassé Tiouté est originaire de Mamba, situé à 7 kilomètres de la commune de Diafarabé où elle a trouvé refuge après que son village a été attaqué par des hommes en armes en novembre dernier. Elle a tout perdu durant l’attaque de Mamba et lorsque son enfant de deux ans a commencé à souffrir d’anémie, elle  n’avait pas les moyens de prendre en charge son traitement. Elle l’a alors amené aux consultations gratuites fournies par MSF dans le cadre des cliniques mobiles régulièrement organisées à Diafarabé. 

« Des hommes armés sont venus un jour dans le village. Sur place, ils ont tué 11 personnes.  Beaucoup de personnes ont immédiatement pris la fuite. Nous sommes venus en courant à Diafarabé. J’étais avec mon enfant, ma belle-mère et mes sœurs. J’ai couru avec mon enfant dans les bras, j’étais épuisée. A cause de ça, nous sommes tous tombés malades. Même aujourd’hui, je ressens encore de la peur à cause de ce que nous avons vécu. Pendant la nuit, je revis les mêmes scènes. Je ne souhaite plus retourner dans mon village.

Depuis que je suis ici à Diafarabé, mon fils qui est âgé de deux ans est malade. Il a du mal à dormir la nuit. Je l’ai amené aux cliniques mobiles de MSF  ce matin, et on m’a dit qu’il est malnutri et qu’il a besoin d’une transfusion sanguine. Vu son état, les docteurs m’ont dit de l’amener à l’hôpital de Ténenkou, mais je n’ai pas les moyens, nous avons tout perdu pendant l’attaque.»

Après une consultation fournie par l’équipe MSF lors de la clinique mobile, Kassé et son enfant ont été transportés par MSF à l’hôpital de Ténenkou, où l’enfant est pris en charge.

Aichata Bah

 Aichata Bah a donné naissance à des jumeaux prématurés  à son domicile, dans un village à 25km de Ténenkou. Elle a entrepris immédiatement après son accouchement un périple d’environ 24 heures pour amener ses bébés à l’aide d’une charrette à l’hôpital  de Ténenkou, soutenu par MSF, afin qu’ils bénéficient de soins spécialisés pour les nouveau-nés.

« J’ai donné la vie à des petits jumeaux, dont l’un est malade et de faible poids. J’ai décidé de les amener à l’hôpital de Ténenkou pour les faire soigner. Je suis venue à bord d’une charrette dans laquelle j’ai passé une journée entière- nous avons quitté la maison en fin de journée pour arriver à l’hôpital le soir suivant.

On avait peur de venir à l’hôpital à cause de l’insécurité, car il y a toujours sur le chemin des groupes armés qui s’en prennent aux passants, surtout pendant la nuit. Durant tout le trajet, nous étions paralysés par la peur et l’inquiétude. A cause du très mauvais état de la route, notre charrette a eu un problème en chemin : l’un des pneus a crevé. Nous étions arrêtés sur une route au milieu d’une forêt, sans personne aux alentours. Là encore, nos vies étaient en danger. La peur ne s’est dissipée que le soir où nous sommes arrivés dans la ville de Ténenkou.»

[1] Dans le cadre de l’opération Barkhane, actuellement déployée dans plusieurs pays du Sahel avec pour objectif de lutter contre le terrorisme.

[2] Dans le cadre de la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations unies pour la Stabilisation au Mali déployée dans le pays sous mandat du Conseil de Sécurité.

[3] Le G5 Sahel est un cadre de coopération créé en 2014 par cinq pays sahéliens (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) qui collaborent sur des questions de sécurité et de développement.

Source : MSF-Mali

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