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MALI-CEDEAO : 4 solutions concrètes de sortie de crise

Pour mettre définitivement fin à la crise qui l’oppose à la CEDEAO, le Mali dispose de 4 moyens concrets, à savoir : 1- Se retirer globalement et définitivement de la CEDEAO ; 2- Se retirer uniquement du protocole de 2001 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, qui condamne le coup d’Etat et impose des sanctions ; 3- Se voir exclu ou expulsé par la Conférence des Chefs d’Etat de la CEDEAO ; 4- Accepter une transition de 3ans maximum incluant les 18 mois écoulés.

En effet, il doit être clair pour tout le mondeque :

  • Le problème qui oppose le Mali à la CEDEAO est d’abord et avant tout un problème juridique, ou de droit international ;
  • Le Mali ne peut pas choisir de rester membre de la CEDEAO et continuer à violer les règles de cette organisation, même s’il est vrai que celles-ci ne sont pas toujours clairement et incontestablement identifiées ou identifiables ;
  • Si le Mali devrait continuer à violer de façon grave et persistante les règles de la CEDEAO :
  • Il ferait mieux alors d’en tirer les conséquences par et pour lui-même ;
  • Sinon il court le risque de voir la CEDEAO tirer les conséquences pour lui ;
  • Le droit international conventionnel offre toujours les moyens de régler les problèmes.
  • Première solution : le Mali peut se retirer globalement et définitivement de la CEDEAO.

Il est important de savoir ici que :

  • Le Mali est devenu membre de la CEDEAO suite à la ratification depuis le 14 juillet 1994 du traité constitutif révisé de cette organisation qui date du 24 juillet 1993 ;
  • Le Mali est ainsi devenu un ‘‘Etat partie’’ à ce traité fondateur, expression qui signifie deux choses, à savoir : primo, que le Mali a exprimé son consentement à être lié par ce traité, secundo, que ce texte est entré en vigueur à l’égard du Mali ;
  • Tout comme le Mali a librement acquis la qualité d’Etat membre de la CEDEAO, il peut librement décider de la perdre ;
  • En effet, c’est l’article 91 du traité révisé de 1993 qui donne formellement au Mali le droit de se retirer de la CEDEAO.

Ce que le Mali doit concrètement faire pour se retirer de la CEDEAO

  1. Le Mali doit prendre la décision de se retirer de la CEDEAO ;
  2. Notifier par écrit, dans un délai d’un an, sa décision au Secrétaire Exécutif de la CEDEAO qui en informe les Etats membres ;
  3. A l’expiration de ce délai, si la notification n’est pas retirée, le Mali cesse d’être membre de la CEDEAO.

Devoir du Mali durant la période de préavis d’un an

Continuer de se conformer aux dispositions du traité de la CEDEAO, et rester tenu de s’acquitter de ses obligations conventionnelles.

Conclusion : Une fois que le Mali aura régulièrement accompli cette procédure, il cessera d’être membre de la CEDEAO, et partant, d’être lié par des engagements juridiques à l’égard de celle-ci.

  • Deuxième solution : le Mali peut se retirer uniquement du Protocole de 2001 de la CEDEAO sur la Démocratie et le Bonne Gouvernance

B1 : Le Mali doit clarifier sa position doctrinale sur le coup d’Etat militaire :

De 1992 à 2022, on constate que le Mali entretient une position plutôt ambiguë sur le coup d’Etat, en considérant que d’un côté c’est la « pire des choses », tandis que de l’autre côté c’est au contraire la « meilleure des choses ». En effet, il y a d’une part l’ombre de l’encombrant article121 de la Constitution de 1992 qui érige le coup d’Etat en « crime imprescriptible contre le peuple malien », qui était censé consacrer une véritable avancée juridique, mais dont la portée réelle a été réduite à une peau de chagrin ; et d’autre part la sublimation des vertus « bienfaitrices », « régénératrices » et « refondatrices » du coup d’Etat militaire par les Assises Nationales de la Refondation.

Conclusion : Le Mali doit clarifier sa position dans la nouvelle Constitution à rédiger, soit en supprimant toute mention relative au coup d’Etat, soit en disant que le coup d’Etat est un crime imprescriptible dont la sanction est une règle impérative à laquelle aucune dérogation ne sera permise.

B2- En 2003 le Mali aurait dû se doter d’un bouclier de protection juridique face à la CEDEAO

Le Mali aurait dû être prévoyant et précautionneux, au moment de ratifier le protocole de 2001 de la CEDEAO sur la démocratie, en assortissant son acceptation de l’article 1er qui interdit le coup d’Etat, soit d’une « déclaration interprétative », soit carrément d’une « réserve », dans la mesure où le protocole n’interdit pas le recours à ces techniques.

La déclaration interprétative aurait pu consister à dire par exemple ceci : « le Mali est d’accord avec l’alinéa c) de l’article 1er qui interdit tout changement anticonstitutionnel de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ; mais le Mali tient à préciser qu’il interprète l’alinéa c) comme pouvant souffrir d’une exception lorsque la fracture sociopolitique a franchi le seuil critique de gravité, en imposant le coup d’Etat comme seule alternative ». NB : mais le Mali serait gêné ici par l’ombre de l’encombrant article 121 de sa constitution de 1992 ; Quant à la réserve, elle aurait pu consister à dire, soit que « le Mali exclut purement et simplement l’effet juridique à son égard de l’alinéa c) de l’article 1er, » soit que « le Mali en modifie l’effet juridique à son égard, en précisant dans quelle mesure ». Moralité : si tel n’est pas le cas actuellement, le Mali devrait recourir à ces techniques conventionnelles, chaque fois que cela s’avère important et nécessaire.

B3- Aujourd’hui le Mali peut se retirer du volet démocratique du droit de la CEDEAO en dénonçant le protocole de 2001

Le 30 Avril 2003 le Mali a librement décidé de ratifier le protocole de 2001 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, dont l’article 1er interdit le coup d’Etat militaire ; interdiction assortie de sanctions par l’article 45. Si le Mali en a marre de subir les sanctions de la CEDEAO, il peut librement décider de dénoncer le protocole de 2001, en cessant d’y être partie. En effet, c’est l’article 48 qui donne formellement au Mali le droit de se retirer dudit protocole

Ce que le Mali doit concrètement faire pour se retirer:

  • Un an à l’avance faire parvenir un avis écrit au Secrétaire Exécutif de la CEDEAO qui en informe les Etats membres :
  • Ne pas retirer cet avis jusqu’à la fin de la période de préavis ; en cessant ainsi d’être partie prenante au protocole.

Devoir du Mali durant la période de préavis : continuer d’observer les dispositions du protocole et d’honorer ses obligations.

Conclusion importante : En se retirant ainsi du protocole de la CEDEAO de 2001, le Mali devient libre de faire tout ce qu’il veut en matière de gouvernance politique, par exemple :

  • Le Mali pourra faire des coups d’Etat autant de fois qu’il voudra et comme il voudra, sans être nullement juridiquement inquiété par la CEDEAO ; il pourra même instaurer un régime militaire permanent si tel était son désir et si cela était compatible avec sa constitution ;
  • Le Mali pourra s’octroyer des périodes de transition sans aucune limitation de durée, par exemple 30 ans, etc.
  • Bref, le Mali n’aura plus à craindre ni subir les sanctions juridiques de la CEDEAO, car il sera définitivement délié de tout engagement à cet égard.

B4-Pour ratisser large le Mali peut même se retirer de la charte de l’UA sur la démocratie, les élections et la gouvernance :

Il faut savoir ici que :

  • Le Mali a librement ratifié cette charte le 13 août 2013 ;
  • Celle-ci interdit le coup d’Etat et impose des sanctions ;
  • Le texte de cette charte ne contient aucune disposition reconnaissant formellement le droit d’un Etat partie de la dénoncer ou de s’en retirer ;
  • Malgré ce silence, il est clair qu’en dernière analyse, le Mali peut en vertu de sa souveraineté décider de se retirer de la charte, à condition d’en informer en bonne et due forme la conférence de l’UA.

C-Troisième solution : le Mali se fait exclure ou expulser par la CEDEAO

Faute pour le Mali d’avoir pris ses responsabilités, à savoir tirer les conséquences de son comportement illégal, en prenant la décision de se retirer partiellement ou totalement de la CEDEAO, une 3ème solution de sortie de crise serait que ce soit la CEDEAO elle-même qui, face à l’effet insuffisamment dissuasif des sanctions et à la persistance de la crise, prenne la décision d’exclure ou expulser le Mali de son sein. La question qui se pose alors ici est de savoir si la CEDEAO a formellement ce droit, et si non, dans quelle mesure elle pourrait quand même le faire.

1) La CEDEAO n’a pas formellement le droit d’exclure le Mali de son sein :

En effet, on ne trouve nulle part dans le texte du traité constitutif révisé de la CEDEAO de 1993, une disposition conférant formellement un tel pouvoir à l’organisation sous régionale

2) Dans le silence  du texte fondateur de la CEDEAO, celle-ci peut-elle néanmoins s’arroger un tel pouvoir :

Ici rien n’est moins sûr, car :

  1. Si le retrait volontaire d’un Etat membre est a priori possible, y compris dans le silence des textes.
  2. On peut hésiter à reconnaitre aux autres membres d’une organisation le droit d’imposer la sortie de l’organisation à l’un d’entre eux, NB : une certaine doctrine voudrait qu’il tel droit soit reconnu même implicitement, tel n’est pas du tout notre avis. NB : il serait intéressant de connaître ici l’avis du conseiller juridique de la CEDEAO ;
  3. Notre position est claire : pour mettre la CEDEAO à l’abri du doute juridique, il faut revoir ses textes pour y consacrer expressis verbis ce droit de sanction ultime qu’est l’exclusion d’un Etat en cas de violation grave et persistante du principe démocratique. NB : même dans le cas de l’UE on n’est pas encore parvenu à ce stade –voir article7 TUE de 1992-

Remarque : on sait que dans le traité modifié de l’UEMOA du 29 Janvier 2003 -article 113- et dans le traité de l’UMOA du 20 Janvier 2007-article 3- il est prévu un régime d’exclusion d’un Etat membre, mais pour des motifs autres que le fait de commettre un coup d’Etat et de proposer une période de transition jugée trop longue.

D-Quatrième solution : le Mali doit accepter une transition de 2 ans et demi à 3 ans maximum incluant les 18 mois déjà écoulés :

  • Il n’y aucune base juridique claire et solide pour discuter la question de la transition :
  1. Ni dans le droit international coutumier général ou régional ;
  2. Ni dans le droit international conventionnel général ou régional ;
  3. Ni dans la charte de l’UA, ni dans le protocole de CEDEAO sur la démocratie, deux textes qui ne posent même pas le principe de la transition politique, ni n’en fixent à fortiori la durée et les modalités ;
  4. Ni dans une prétendue ou hypothétique pratique bien établie de la CEDEAO en matière de durée de la transition, reflétant une « véritable opinio juris institutionnelle » ;
  5. Bref, c’est le flou total, la porte ouverte à des discussions interminables dans tous les sens.
  • Il faut prendre comme base logique de calcul la durée du mandat présidentiel fixée par la Constitution :

Pour l’essentiel, il faut retenir ici que :

  1. D’un point de vue strictement technique, toute transition se définit comme la période allant de la date du coup d’Etat à la date de l’installation du nouveau président démocratiquement élu ;
  2. Cette définition est intrinsèquement indiscutable ;
  3. Par conséquent, il est clair et tout aussi indiscutable que, par nature et par définition, la seule et unique mission de tout gouvernement de transition est bel et bien d’organiser rapidement les élections pour passer le témoin au président démocratiquement élu ;
  4. Certes, on peut rétorquer qu’il s’agit la d’une vision par trop réductrice de la complexité, de la gravité et de la nature structurelle des problèmes en jeu ;
  5. S’agissant de l’argument selon lequel il faut d’abord éradiquer totalement le terrorisme et l’insécurité avant de pouvoir organiser les élections, il est fort discutable dans ses postulats de base : est-ce qu’il s’agit d’un phénomène réellement complètement tarissable à la source ; est-ce qu’il ne s’agit pas plutôt d’un mal incurable avec lequel les Etats doivent vivre en permanence ; est-ce qu’il ne faut pas dès lors changer de mode de raisonnement : i) en mettant plutôt l’accent sur la recherche du « niveau maximum de sécurité effectivement atteignable » ; ii) en privilégiant le principe selon lequel « à défaut d’avoir les moyens de sa politique, il faut faire la politique de ses moyens » ; iii) en procédant donc à une réflexion d’ensemble sur les voies et moyens permettant d’organiser les élections de la meilleure façon possible dans un contexte d’insécurité structurelle ; iv) s’agissant du critère du seuil de légitimité démocratique, en avoir une conception non pas absolue mais relative, en termes d’évaluation de l’assiette territoriale et du format de l’électorat ; v) et pour ce faire, tout en sachant que comparaison n’est pas raison -le type d’exercice et les enjeux politiques n’étant pas forcément les mêmes-, en tirant les enseignements pratiques du « test grandeur nature » des assises nationales de la refondation, aux fins de confirmer ou d’infirmer la « relativité de la faisabilité » des élections dans le contexte actuel.

Comment calculer la durée de la Transition : à notre avis, il faut appliquer les principes suivants :

1ère principe : prendre comme base de calcul, la durée du mandat présidentiel fixée par la constitution malienne de 1992 c’est-à-dire 5 ans

2ème principe : admettre sans détour que la durée de toute transition doit être obligatoirement inférieure à 5 ans

3ème principe : dans l’hypothèse où le temps qui s’écoule entre la date du coup d’Etat et la date de fin du mandat du président déchu vaut au moins un an, aligner la durée de la transition sur ce laps de temps,

4ème principe : si cette hypothèse n’est pas remplie, il faut diviser la poire en 2, c’est-à-dire  la durée constitutionnelle du mandat présidentiel de 5 ans en 2, soit une transition de 2 ans et demi,

5ème principe : accepter éventuellement d’aller jusqu’à 3ans, en considérant que c’est la durée maximale de toute transition ;

6ème Principe : considérer que toute transition de 5 ans n’est pas une transition et doit être qualifiée autrement sur le plan juridique : peut-on parler ici d’usurpation de mandat présidentiel constitutionnel ou d’exercice de facto de ce mandat etc. NB : nous laissons ici le soin à nos collègues spécialistes du droit constitutionnel de nous éclairer sur ce point !

7ème principe : considérer que toute transition allant au-delà de 5 ans est franchement tout sauf une transition, et doit être purement et simplement rejetée.

Conclusion finale :

  • Le gouvernement malien connait maintenant les voies juridiques par lesquelles il peut ou doit passer pour sortir le Mali de cette grave crise qui l’oppose à la CEDEAO, et qui n’en finit pas ;
  • C’est au gouvernement malien d’en apprécier l’opportunité et la faisabilité politiques ;
  • Puisse cette contribution, d’un expert-technicien avéré du droit international, inspirer le gouvernement malien dans le bon sens !

Par Dr Salifou FOMBA

Professeur de droit international à la retraite, Ancien membre et vice-président de la commission du droit international de l’ONU à Genève, Ancien membre et rapporteur de la commission d’enquête du conseil de sécurité de l’ONU sur le génocide au Rwanda, Ancien conseiller technique au ministère des affaires étrangères.

Source : L’Aube

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