Poursuivi par la justice malienne, l’ancien Premier ministre vit désormais hors de son pays, mais n’a pas renoncé à un avenir politique. Très critique vis-à-vis de la junte d’Assimi Goïta, il clame son innocence.
Les démêlés judiciaires n’auront pas tardé à pleuvoir. Dès le lendemain du coup d’État qui a renversé Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), dont il était le dernier Premier ministre. é ’ éé « û », ’ é « ».
Si la procédure a finalement été annulée par la Cour d’appel de Bamako, les affaires se sont enchaînées, et l’ancien chef du gouvernement déchu n’est pas réapparu dans son pays. En exil au Niger, où vit sa famille, Boubou Cissé dénonce « une épée de Damoclès judiciaire que les autorités de la transition ont placé au-dessus de la tête des hommes politiques ».
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Celle qui plane au-dessus de sa tête s’incarne à travers plusieurs affaires. La plus récente a éclaté en juillet 2022, avec la publication d’un communiqué du procureur général de la Cour suprême de Bamako. Le document confirmait qu’une demande de mandat d’arrêt international avait été émise à l’encontre de l’ancien Premier ministre et de trois autres personnalités dans le cadre de l’affaire dite
« ». Ce dossier, exhumé par les magistrats qui soupçonnent des cas de « faux et usage de faux » et « d’atteinte aux biens publics », remonte à 2015. Cette année-là, l’État malien signe un contrat pour la livraison d’une quarantaine de blindés avec la société d’Ivor Ichikowitz, Paramount, et décaisse un premier versement de 30 millions d’euros. Seuls 10 véhicules seront obtenus par IBK.
Boubou Cissé, qui fût ministre de l’Économie et des Finances de 2016 à 2019, se défend de toute infraction. L’homme politique de 48 ans affirme n’avoir pas connaissance des faits précis qui lui sont reprochés, et n’avoir d’ailleurs « jamais reçu de convocation du pôle économique et financier pour être entendu sur ce sujet ». Il déplore par ailleurs que ses avocats « n’aient pas accès à l’instruction ».
Surtout, se défend-il, les faits évoqués « sont antérieurs à [son] arrivée au ministère ». « J’ai hérité du ministère de l’Économie et des Finances en janvier 2016, alors que le contrat mis en cause a été signé en octobre 2015. À mon arrivée, j’ai réalisé que le matériel prévu, en l’occurrence des véhicules blindés, n’avait pas été livré, malgré un premier paiement. J’ai constaté des faiblesses dans le contrat, qui n’était à è, ’ éé », justifie l’intéressé.
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Pour cet économiste de formation, cette nouvelle affaire est une « émanation du politique, plus que du judiciaire ». « Je reste convaincu que la justice a été instrumentalisée, car je ne suis en aucune manière tenu pour responsable de ce contrat. Je n’en étais ni signataire, ni payeur », cingle-t-il sans nommer son prédécesseur au ministère : Mamadou Igor Diarra, poursuivi dans la même affaire.
Cette « instrumentalisation systématisée de la justice » selon l’ancien Premier ministre expliquerait en partie « l’effacement de la classe politique traditionnelle, devenue aphone ». « À mon sens, cela témoigne de la mainmise grandissante de la junte militaire sur l’espace politique. » Signe de la fin de l’impunité ou justice aux ordres ? Les poursuites se multiplient en tout cas à l’encontre des caciques de la politique malienne, jugés présidentiables. Outre Boubou Cissé et , Tiéman Hubert Coulibaly, Oumar Mariko sont dans le viseur de la justice, comme le fut è ï, éè é .
« La transition aurait pu se passer dans un climat moins délétère. Elle pouvait être l’occasion de réformer la classe politique malienne, mais ce n’est pas le cas », juge Boubou Cissé qui reconnaît « une forme de discrédit de la classe politique auprès d’une partie de la population ».
« Cette perte de confiance est l’une des explications du coup d’État de 2020. Ceux qui ont été au pouvoir avant cela portent une part de responsabilité. Et je ne m’en exclus pas, même si je suis arrivé tard dans l’arène politique », assume-t-il tout en dépeignant un bilan calamiteux pour la transition.
Situation sécuritaire, tissu économique, société, éducation : « Tout s’est dégradé, tance-t-il, estimant qu’ « aucun des maux qui ont été avancés pour justifier le putsch de 2020 ne semble connaître ne serait-ce qu’un début de solution ».
Le regard qu’il porte sur la diplomatie malienne n’est pas moins sévère. « Évidemment, le Mali doit parler aux autres nations d’égal à égal Mais cela ne peut pas passer par l’invective permanente », juge-t-il.
Celui qui fut étudiant dans le sud de la France évoque ainsi les relations glaciales entre Paris et Bamako, mais aussi les attaques régulières à ’ ’É é . Sans oublier ’ é , qui défraie la chronique depuis bientôt quatre mois.
Rapidement, le nom de Boubou Cissé y a été associé. Non pour quelque implication supposée, mais parce que l’extradition de l’ancien Premier ministre et d’autres personnalités serait une condition posée par Bamako pour libérer les soldats encore détenus.
« J’entends que mon nom est mêlé à cette affaire, mais je ne sais pas si je suis concerné directement. Quoi qu’il en soit, que je le sois ou non demander ce genre de troc à un pays ami relève du chantage. C’est moralement choquant, contraire au droit et à toutes les règles diplomatiques », s’insurge-t-il. S’il ne réside pas en Côte d’Ivoire, Boubou Cissé se rend régulièrement à Abidjan. Pour ses affaires, mais aussi sans doute pour rendre visite à Alassane Ouattara, dont on le dit proche.
Une proximité au sujet de laquelle le Malien est peu dissert. Surtout depuis que, le 11 février,’ ’ ’ ê é é . On y entend des voix similaires à celles de Boubou Cissé et du président ivoirien tenir des propos très critiques à l’égard des autorités transitoires de Bamako.
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Interrogé sur l’authenticité de cet audio, l’ancien chef du gouvernement malien botte en touche : « Alassane Ouattara a dit tout ce qu’il y avait à en dire ». Bien peu de choses, donc, puisque lorsqu’il était interrogé sur le sujet par France 24, le chef de l’État ivoirien s’était content d’un lapidaire : « à ».
Reste que cette affaire pourrait constituer une entrave judiciaire de plus au retour de Boubou Cissé, la justice malienne ayant ouvert une enquête pour « atteinte ou tentative d’atteinte et complicité à la sûreté intérieure et extérieure du Mali ». Pas de quoi inquiéter l’ancien Premier ministre quant à son avenir politique, assure celui qui nie fermement les rumeurs selon lesquelles son aventure avec l’Union pour la république et la démocratie (URD) aurait tourné court. Se disant prêt à participer de nouveau à des primaires si telle était la décision du parti en vue du scrutin présidentiel censé se tenir en 2024, Boubou Cissé assure ne se projeter dans aucune autre formation.
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« Je suis en contact permanent avec les dirigeants de l’URD et les relations n’ont jamais été aussi bonnes. J’y ai été accueilli avec bienveillance, c’est une famille politique au sein de laquelle je me suis beaucoup investi », lance-t-il. é ? « C’est un débat sain et démocratique comme il en existe dans tous les partis. »
Son avenir politique reste suspendu aux dossiers judiciaires qui le visent et qui l’enverraient très certainement en détention provisoire en cas de retour au Mali. En attendant leur dénouement, cet ancien de la Banque mondiale a troqué l’habit d’homme politique pour celui d’homme d’affaires. « Je voyage beaucoup en Afrique et dans le monde, afin de rencontrer des décideurs politiques et économiques dans le cadre de grands projets d’infrastructures notamment. Je fais également du conseil auprès de certains États », résume-t-il.
Il n’en dira pas plus. Il lâche seulement qu’il s’est attelé à écrire une autobiographie : « Le récit s’ouvre sur le coup d’État de 2020 et remonte jusqu’à mon enfance. J’y raconte mon parcours mais j’y précise également mes idées politiques », explique Boubou Cissé au sujet de son livre qui, déjà, revêt des allures d’outil électoral.
: Jeune Afrique