Les deux bâtiments hébergeant les bureaux et la résidence des spécialistes du déminage de l’UNMAS (Service de l’action antimines des Nations unies) sont soufflés par l’explosion, et l’onde de choc fait s’écrouler des maisons environnantes. Du côté des démineurs, visés par l’attaque, on ne déplore que quatre étrangers blessés, car la plupart de ces experts étaient en vacances, évitant un attentat dont le bilan officiel fait état de 3 morts et 32 blessés, majoritairement maliens, parmi eux, des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants.
L’attaque a été revendiquée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans
Une fois de plus, Gao, la capitale malienne du Nord, a renoué avec l’horreur, un peu plus de cinq mois après un autre attentat à la voiture piégée qui avait visé une patrouille conjointe de la force française Barkhane et des forces armées maliennes : 4 morts, une vingtaine de blessés. En janvier 2017, c’est le camp du Mécanisme opérationnel de coordination – un organisme prévu par l’accord de paix d’Alger pour sécuriser les autorités intérimaires – qui essuyait l’attaque d’un véhicule kamikaze. Le pire attentat que le pays ait connu. Dans ce camp rassemblant 600 combattants de la plateforme, de la CMA et des forces armées maliennes, au matin, l’explosion de ce véhicule kamikaze, piégé par la katiba Al Mourabitoune, avait fait pas moins d’une soixantaine de victimes et plus d’une centaine de blessés.
Depuis cinq ans, ces « ennemis de la paix au Mali », par la récurrence de leurs attaques, n’en finissent pas de faire parler d’eux. « Depuis 2016, cinq attentats kamikazes ont endeuillé la ville de Gao. Depuis 2013, pas moins de treize attaques et tentatives d’attaques-suicides ont frappé la région. Ce dernier attentat à Gao, qui est le deuxième qui cible l’UNMAS après l’attaque du 31 mai 2016, porte à 36 le nombre d’attaques ou de tentative d’attaque-suicide sur l’étendue du territoire malien », énumère Héni Nsaibia, chercheur à l’ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project), un projet de collecte, d’analyse et de cartographie des crises et des conflits, qui travaille notamment sur l’Afrique de l’Ouest.
Quelques heures après l’attentat, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) – la coalition terroriste du tristement célèbre chef djihadiste Iyah Ag Ghaly – revendiquait sur les réseaux sociaux cet attentat visant ce site stratégique où résidaient des « envahisseurs croisés » travaillant pour un sous-traitant de l’ONU spécialisé dans le déminage. Son auteur, Oussama Al-Ansari, nom de guerre de ce jeune Malien qui a emporté quatre morts avec lui et en a blessé plus d’une trentaine, a incarné pour cet attentat l’arme la plus puissante des djihadistes : l’attaque-suicide, qui, au-delà des lourdes pertes humaines et des dégâts matériels significatifs, provoque un effet psychologique important qui s’installe dans la durée. « De leur point de vue, il s’agit d’une guerre d’usure, combiner les diverses tactiques de leur guerre asymétrique pour épuiser leurs adversaires. Le GSIM démontre qu’il est actif à un rythme opérationnel élevé et qu’il dispose de capacités importantes pour lancer et réussir des attaques. Sur les récentes attaques-suicides à répétition menées par le groupe, pas une seule n’a été déjouée. Un autre signe inquiétant, c’est que le JNIM est persistant et pourrait être proche d’exécuter quelque chose de sinistre, d’une ampleur semblable à l’attentat du MOC en 2017 », analyse Héni Nsaibia.
Les attaques terroristes se multiplient à Gao
L’acte qualifié de « barbare et lâche » par le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, le général Salif Traoré, qui s’est déplacé sur les lieux au lendemain de l’attaque, a été condamné par les ministres français et allemand de la Défense lors de leur visite à Gao mardi et par la Minusma. « Il faut tirer les leçons et comprendre comment on peut empêcher cela », a déclaré le ministre Traoré en appelant la population à collaborer avec les autorités, à fournir un appui aux forces de sécurité, pour prévenir ce type d’attaque et garantir la sécurité des biens et des personnes.
Des déclarations jugées avec scepticisme par Hama : « C’est la troisième attaque de ce genre en moins de deux ans à Gao ! C’est quand même fou qu’un véhicule chargé d’explosifs puisse entrer dans une ville comme Gao où se trouvent les forces armées maliennes, les forces françaises et les forces militaires du monde ! On ne peut pas parler de sécurité des biens et des personnes quand des individus peuvent entrer en ville et faire ce genre d’acte sous le nez des forces de sécurité. Quand j’entends dire que Gao est sécurisé, vraiment, ça me fait honte ! » lâche-t-il, écœuré.
Une ville surmilitarisée et rongée par l’insécurité
Gao, plus grande ville du nord du Mali, est un point stratégique, car elle est située à quelques heures de Bamako, du Burkina, de l’Algérie et du Niger. C’est un centre commercial très important, un carrefour où circulent nombre de personnes provenant de l’intérieur du pays et des pays voisins. Le taux de criminalité est donc naturellement élevé dans cette ville où beaucoup de personnes circulent armées. « Vous avez également un mélange de groupes armés, de bandits, de djihadistes. Il ne faut pas oublier que pendant la crise, c’était un bastion du Mujao, et la région de Gao reste jusqu’à ce jour le fief d’Al-Mourabitoune, donc, c’est un mix chaotique », explique Héni Nsaibia.
Ce point névralgique situé dans le secteur est du territoire malien accueille la base arrière de la force française Barkhane, les militaires de la Minusma, dont 4 180 soldats sont déployés dans la région et plus de 600 agents des forces de sécurité maliennes (police/gendarmerie/garde nationale et protection civile). Toutefois, malgré la présence effective de ces différentes forces armées, la population se sent abandonnée, livrée à elle-même, témoin d’une situation sécuritaire qui va en se dégradant. « Même si Gao est la ville la plus militarisée du pays, ce n’est pas une forteresse, la présence militaire elle-même fait de la ville une cible privilégiée des djihadistes. Alors que la Minusma et Barkhane sont stationnés dans leur coin et effectuent leurs patrouilles régulières, les postes de contrôle des FAMa à la périphérie restent parfois sans personnel. Tout cela pris en compte, il y a suffisamment de possibilités et d’opportunités pour infiltrer un pick-up Toyota chargé d’explosifs, ou vous pouvez même préparer un véhicule piégé dans la ville », poursuit Héni Nsaibia.
Un constat partagé par ce policier de la Minusma qui déplore un certain laxisme en partie responsable de cette insécurité persistante dans la ville : « La plupart des groupes armés qui sévissent à Gao disposent de véhicules non immatriculés et souvent ils profitent d’un certain laisser-aller de la part des autorités maliennes pour se mouvoir dans la ville comme ils le veulent. Les groupes terroristes profitent aussi de la situation pour, avec les multiples entrés que possède la ville, faire entrer des véhicules bourrés d’explosifs par certains endroits », explique-t-il. « La Minusma n’a pas de mandat exécutif qui nous amène à agir à la place des Maliens, et c’est tout à fait normal, donc on a un tant soit peu essayé de conseiller les autorités administratives en passant par le gouverneur et les autorités en charge des cellules de sécurité sur ce problème, mais, bien qu’ils soient conscients que c’est un moyen pour eux de contrôle sur les véhicules, il n’y a pas vraiment eu de réaction ferme de la part de l’État sur cette question. Il y a eu des actions concrètes et ponctuelles, mais limitées et peu étalées dans le temps », décrit le policier.
« La ville est une sorte de no man’s land »
Pour cette source sécuritaire malienne très au fait de la situation sur place, le problème viendrait des forces de sécurité qui restent souvent cantonnées alors qu’elles sont censées faire régner l’ordre et ne font pas leur travail. « Les forces de sécurité se remplissent les poches avec les crédits et les per diem de Bamako, mais ne posent pas vraiment d’actes sur le terrain. La ville est une sorte de no man’s land, une ville qui a ses propres règles. Là-bas, il n’y a quasiment pas de contrôle ni de réelle application des lois. C’est aussi une plaque tournante, un axe pour tous les trafics avec des paiements de droit de passage qui alimentent les groupes armés, notamment. Donc, quand un convoi doit passer, certains censés contrôler regardent ailleurs. Les forces partenaires sont là, c’est vrai, mais, si la locomotive est en panne, les autres wagons ne peuvent pas bouger, et vouloir changer cette situation n’arrangera pas beaucoup de monde », glisse, sibyllin, notre interlocuteur.
Dans le quartier de Boulgoundié, quelques jours après l’attaque, Hama se prépare à remettre des portes et des fenêtres chez lui, à nettoyer et à réhabiter sa maison, dans cette période d’après-attentat où règne un calme relatif. La sécurité à Gao, il n’y croit plus, car « trop de complicité à l’intérieur de Gao dans la population avec les djihadistes, les groupes armés, les bandits et les multiples forces militaires ». S’il pouvait, il déménagerait de son quartier « habité par beaucoup d’expats qui travaillent pour les Nations unies, car ce sont eux qui sont visés », voire même de Gao, où il vit depuis dix ans, et qui au fil des dernières années, malgré les accords, les ententes, les pactes, n’a jamais connu ni la paix ni la sécurité.
Source: lepoint