Un manifeste qui vient à point nommé pour l’imam
Il est clair que la volonté qui a conduit à rendre public ce manifeste en ce moment précis n’est pas une volonté inspirée d’un fait anodin. Elle prend source dans une lecture reconsidérée de l’évolution du jeu politique malien. L’appel de la CEDEAO à la dissolution du CNSP ; la visite du Président Bah N’Daw en France ; la polarisation du CNT entre les « pro » et « anti » sur le départ de l’armée française du Mali ; les dissensions au sein de le CMAS ; l’insatisfaction des populations face à l’absence de résultat dans l’action des autorités de la transition sont autant de faits qui montrent que nous assistons à une redistribution nouvelle des cartes du jeu. Dans ce contexte le silence n’est pas un bon allié pour celui veut se maintenir dans le jeu politique et conserver son influence dans les interactions entre les acteurs. D’où la publication de ce manifeste dont la forme et le contenu mettent en lumière la volonté de l’imam Dicko de se positionner comme un acteur incontournable dans la vie politique malienne. Ce rôle de pivot sur la scène politique lui assure en avance une certaine prépondérance de vision sur des sujets aussi brulants que la révision de la constitution, la relecture de l’Accord d’Alger, l’organisation des prochaines élections présidentielles et législatives, et j’en passe. En plaçant la refondation de l’Etat au centre de son manifeste, l’imam Dicko contraint d’une manière intelligente et douée, l’ensemble des acteurs à se fédérer autour de ses idées et ou de sa personne.
Un style de rhétorique toujours aussi efficace
Les sorties médiatiques de l’imam Dicko ont la réputation d’être couronnées de succès à chaque fois. Ce succès auprès des populations s’explique largement par son sens élevé du timing politique. Il sait quand, où et comment il faut parler au peuple. C’est toujours au moment opportun qu’il décide de s’exprimer publiquement. Cette maitrise du timing lui permet ainsi d’avoir une audience toujours plus large. On comprend là pourquoi un manifeste appelant au rassemblement à un moment où les citoyens sont de plus en plus exaspérés contre les autorités de la transition suite à l’augmentation du prix du pain ; aux grèves des corporations socioprofessionnelles ; et au retour des tensions entre l’Etat et la CMA. Face à tous ces antagonismes sociaux, il faut des symboles communs et des valeurs partagés pour rassembler les parties. L’action qui consiste à mobiliser des valeurs partagées en vue d’une action collective est ce que l’on appelle en sociologie politique « la construction des causalités ». Tout le contenu du manifeste semble aller dans ce sens surtout quand l’imam dit : « sans réaction collective maintenant, l’Etat qui nous gouverne n’a plus de sens ». Un autre point important qui intervient au moment où tous les maliens appellent de leur vœu l’union sacrée des filles et fils de la nation, l’imam Dicko propose la construction d’un nouveau pacte républicain. Pour cette fin, il se dit prêt à s’engager personnellement pour « bâtir des passerelles entre acteurs civils et armés ». Ces causalités construites sur fond de registre émotionnel permettent à l’imam de galvaniser ses partisans. Des propos du genre « le Mali est en voie de disparition » ou « nul être n’est parfait » n’ont d’autre but que de permettre à l’imam d’agir sur la fibre patriotique et émotionnelle des citoyens.
D. Khalid, Economiste et D. Ballan, Politologue
Source: Bamakonews