Comme l’on pouvait s’y attendre, la Chine et la Russie ont opposé leur veto à la requête hexagonale, à la grande satisfaction des militaires au pouvoir à Bamako et de leurs soutiens de l’intérieur et de l’extérieur. Ces derniers, depuis lors et même bien avant, ne tarissent pas d’éloges à l’égard des dirigeants russes et chinois, qu’ils présentent, à tort ou à raison, comme les amis véritables de l’Afrique. Dans certaines capitales de l’Afrique de l’Ouest, la « Russiemania » est en train de virer, peut-on dire, à la gloire de Vladimir Poutine, le président russe.
À contrario, l’Occident en général et la France en particulier, sont traités de tous les noms d’oiseau. En tout cas, nos ancêtres les Gaulois en ont eu pour leur grade. On leur fait notamment le reproche de vouloir, via cette « fantoche de CEDEAO », maintenir leur influence et préserver leurs intérêts dans leurs anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest. La rhétorique employée à cet effet, est digne du discours développé par les insurgés de mai 68. En tout cas, les brocards stigmatisant le néo-colonialisme français, ont fleuri à Bamako. De grandes puissances comme la Russie et la Chine, pour sûr, en ont été ravies. Car, de toute évidence, le sentiment anti-français qui, au demeurant, va au-delà du seul Mali, est en train de traverser presque toute l’Afrique de l’Ouest. Et cela est une opportunité, pour de nouvelles puissances, de prendre pied véritablement en Afrique.
L’Afrique gagnerait à s’affranchir de toutes les formes de tutelles ou de parrainage
Le pré requis à cela, c’est de gagner les cœurs. Le veto que la Chine et la Russie viennent de poser au Conseil de sécurité de l’ONU contre la requête française à propos des sanctions contre le Mali, participe de cette stratégie de conquête des cœurs. Mais que personne ne se méprenne sur les intentions réelles de la Russie et de la Chine. Il ne s’agit certainement pas d’empathie pour le peuple malien ou encore de philanthropie pour le Mali. Ce qui motive ces deux pays, très souvent prompts à utiliser leur droit de veto pour bloquer certaines décisions, est lié à leurs intérêts diplomatiques ou géostratégiques, bref à leurs intérêts tout court.
C’est le même mobile qui avait poussé les puissances européennes à jeter leur dévolu sur l’Afrique, dans le cadre de la conquête coloniale. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces puissances européennes ont bâti leur prospérité en partie sur les immenses richesses dont regorge le continent noir. C’est cette logique, fondée sur les intérêts, qui a conduit une puissance comme la France à repenser son système d’exploitation de ses anciennes colonies, en mettant en place le néo-colonialisme. La Françafrique, initiée par le Général de Gaulle avec comme maître d’œuvre, le sulfureux Jacques Foccart, avait pour vocation de consolider ce système d’exploitation post colonial. Mais l’on peut faire le constat que ce système éhonté a pris un sérieux coup grâce, peut-on dire, au fait que l’Afrique, depuis le début du 21e siècle, est le théâtre d’une compétition âpre entre puissances grandes et moyennes.
En effet, outre les puissances coloniales européennes qui s’étaient partagé l’Afrique, comme un gâteau, à la Conférence de Berlin en 1885 sous l’impulsion de Bismarck, d’autres nouvelles puissances se disputent aujourd’hui l’Afrique de manière féroce. Et certaines d’entre elles ont réussi à mettre bien des pays africains pratiquement dans leur escarcelle.
Au nombre de celles-ci, l’on peut citer la Russie, l’Inde et la Chine. La première citée est en train de courtiser sérieusement le Mali. Et le contexte, marqué aujourd’hui par le péril terroriste et le sentiment anti-français qui traverse le pays, pourra pousser le Mali dans les bras du pays de Vladimir Poutine. En tout cas, sur les bords du fleuve Djoliba, on ne se cache pas pour tresser des lauriers au Tsar Poutine. Presqu’un peu partout en Afrique, on voue aux gémonies, les parrains traditionnels que sont les anciennes puissances coloniales européennes. En lieu et place, on lorgne des côtés russe, chinois, turc et l’on en oublie. Mais ce que les uns et les autres oublient, c’est que tout parrainage a sa dose d’aliénation. De ce point de vue, l’Afrique gagnerait à s’affranchir de toutes les formes de tutelles ou de parrainage, pour autant qu’elle veuille elle aussi, trouver sa voie pour se hisser vers le développement et le respect des autres. C’est seulement à ce prix qu’elle cessera d’être victime de l’histoire pour se positionner désormais comme actrice de la transformation du monde.
Jean Pierre James
Source: Nouveau Réveil