Annoncée en grande pompe et à grands renforts de battage, la croisade anti-corruption, sous le Mali-Koura, se perd dans les rétropédalages à force de jouer à convaincre, de distraire l’opinion et de vouloir substituer l’accessoire à l’essentiel. Bâtie sur une redoutable machine répressive – et se nourrissant au besoin de l’accablement d’acteurs gênants de l’arène publique -, l’entreprise pourrait s’être réduite à un banal tape-à-l’œil en s’échinant à reprendre du souffle aux moyens de procédures sélectives, de privations spectaculaires de liberté voire d’acharnement judiciaire sur fond d’exhumation de dossiers à des fins très douteuses. Il en résulte une perte de confiance criante dans l’institution judiciaire, tant les ruminations spectaculaires de procédures judiciaires sont légion et se traduisent par des remises en cause de décisions de justice ou de leur orientation par le politique.
– Une option adoubée à plus haut niveau
Par-delà l’affaire des équipements militaires attisée à coups d’arguments tirés par les cheveux, selon nombre d’observateurs, sont en train de ressusciter d’autres dossiers qu’on croyait définitivement enterrés. Y figure l’inépuisable affaire des bâtiments publics que l’Etat a fait vendre par l’Agence de cessions immobilières (ACI), dans le but initial de générer des ressources pour l’embellissement de la capitale et la construction de nouveaux services publics de l’Etat. Une mission pour l’accomplissement de laquelle l’ACI a reçu, dans le cadre de son mandat, un rapport d’expertise réalisé par un expert indépendant pour évaluer les bâtiments et leur attribuer des valeurs vénales. Non sans la caution de ses mandants car il nous revient, de source bien introduite, que «les hautes autorités en ont été périodiquement saisies et associées à chaque étape de la démarche». Et notre source d’ajouter au passage que c’est précisément avec l’onction du département de tutelle que les immeubles concernés ont été soumis à l’option de vente la plus appropriée de l’avis des juristes : la location-accession. Et pour cause, ni la vente aux enchères ni la procédure du bail avec promesse de vente ne leur paraissait adaptées à la situation, à cause notamment du risque d’expulsion systématique des services étatiques qu’abritent les immeubles, en cas d’adjudication définitive.
C’est somme toute la procédure de cession retenue pour la vingtaine de bâtisses étatiques dépréciées par leur vétusté – mais dont l’acquisition par des particuliers alimente la polémique sur fond de velléités de nuisance aux responsables de l’opération. C’est dans ce sens que s’expriment, en tout cas, la salve de récriminations et de supputations en rapport avec les modalités d’exécution du mandat de l’ACI, quant à l’option de cessions desdits immeubles ainsi qu’à la moralité de la fixation de leurs prix. D’aucuns subodorent un grand bradage affairiste, tandis que nombre d’acquéreurs approchés par nos soins estiment n’avoir acheté que des bâtiments réduits à l’état de simples parcelles nues, en se fondant notamment sur leur démolition intégrale et l’érection de nouveaux chantiers sur les différents titres.
C’est dans le but d’en avoir le cœur net que l’opération avait fait l’objet d’une interpellation parlementaire précédée en son temps d’une investigation en bonne et due forme par le Vérificateur Général – dont les constats, contrairement à certaines supputations, reprochent en réalité peu de griefs à la moralité des opérations de vente. Et pour cause, les présomptions d’irrégularités n’ont pu résister à la solidité des motivations ayant prévalu au choix du mandataire de préférer à la mise aux enchères une option de vente qui permette de prolonger de deux ans l’occupation des immeubles par les services étatiques qu’ils abritaient. C’est du moins l’une des conditions des clauses passées avec les cessionnaires qui, en vertu d’une convention d’accession encadrant lesdites ventes, ne pouvaient disposer définitivement des titres de propriété achetés qu’après paiement intégral des montants dus à l’Etat.
– Des prix irréprochables
Pour ce qui est de la fixation des prix, le processus est passé par une expertise indépendante commise par le département de tutelle avec l’avantage d’avoir obtenu, pour chaque bâtiment, une valeur largement supérieure à celle de l’évaluation précédemment effectuée par les services étatiques.
Autant de paramètres ayant vraisemblablement pesé dans la balance pour que la justice décide d’un non-lieu dans le dossier, au bout d’un long défilé de responsables de l’opération devant le Pôle économique et financier. Sauf qu’il fallait sans doute plus qu’une décision de justice pour les disculper et calmer les ardeurs à l’acharnement – dont le plus haut sommet de l’Etat se fera l’écho en instruisant le département des Domaines de relancer l’action judiciaire au détour d’apparition d’éléments nouveaux.
À défaut donc d’une volte-face aventureuse dans le sens d’une périlleuse annulation des ventes, il est question de refaire le cours de la justice au goût des princes du jour en passant l’éponge sur l’issue de la procédure antérieure du Pôle, au nom de présomptions de non-reversement de la manne issue de la vente desdits bâtiments.
Sauf que l’évocation d’un tel élément nouveau, s’il en est, repose sur assez peu de choses pour ne pas déboucher sur les objectifs poursuivis, et pour cause. Informations documentées à l’appui, il nous revient que les montants générés par l’opération sont censés avoir été intégralement consommés par l’Etat, à en juger du moins par la teneur d’une correspondance en date du 10 décembre
2015 par laquelle le département de tutelle instruit la direction de l’ACI de reverser la manne concernée dans la cagnotte publique en tant que recettes domaniales.
Pour 25 immeubles aliénables, le total recouvrable à l’époque se chiffrait à 22,252 milliards sur lesquels 16 milliards devraient revenir à l’Etat, 3,086 milliards aux services des domaines pour le compte des acquéreurs et au titre de droits et taxes, 379,4 millions de charges notariales et environ 137 millions comme frais d’expertise des bâtiments.
Nos sources indiquent, par ailleurs, que les parts de l’Etat dans cette répartition correspondent en même temps au coût de réalisation des nouveaux bureaux devant reloger ses services et que le montant en question a été intégralement versé au trésor pour le compte de la Direction Nationale des Domaines et du Cadastre à sa demande, en violation des dispositions du mandat de l’ACI selon lequel des nouveaux bâtiments devraient être construits pour le services publics. Et notre source de mentionner que les traces restent indélébiles des montants existant sous forme d’inscriptions budgétaires dans toutes les lois de finances de la période sur laquelle s’étale la convention – accession passée avec les acquéreurs des immeubles.
Néanmoins, le dossier des bâtiments publics était manifestement prédestiné à rejoindre la série d’affaires emblématiques d’une lutte biaisée contre l’impunité, qui repose plus sur le besoin de fabriquer des gadgets et des boucs émissaires pour l’opinion que sur une réelle volonté d’assainissement de la vie publique.
A KEÏTA