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L’œil du reporter Le système politico-économique lucratif n’a que trop duré

Mardi dernier, six semaines après le début de l’opération Serval, Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense français, a déclaré que la guerre au Mali avait déjà coûté « un peu plus de 100 millions d’euros ». Le gouvernement français prévoyait le début d’un retrait à partir du mois de mars puisque les forces militaires africaines devaient, de leur côté, prendre le relais des opérations. Mais les Américains font pression auprès de Paris car «la stabilisation de la situation pourrait requérir une présence militaire française plus durable», a déclaré un sénateur démocrate américain en visite au Mali.

Stabilisation de la situation ou renforcement déguisé de la protection des intérêts économiques occidentaux ? C’est la question que tout le monde se pose. Et les mots Françafrique, néo-colonialisme, pré carré reviennent à l’esprit de chacun comme des boomerangs.  La décision de François Hollande d’envoyer les troupes au secours du Mali, lorsque Konna a été attaquée, fut très critiquée par certains, en Occident comme en Afrique, car «La France, sous prétexte d’aider un pays frère, allait, en fait, défendre ses intérêts au Sahel. La France allait évidemment défendre Areva au Niger, pays frontalier du septentrion malien martyrisé. La France allait d’abord protéger les mines d’uranium dont elle a tant besoin pour son énergie nucléaire». La liste de ces fameux intérêts est longue, mais de nombreuses cartes circulent, et aucune explication fondée ne peut satisfaire les plus dubitatifs. Il est certainement plus intéressant de redire pourquoi le Mali, et la majorité des pays africains, sont classés parmi les plus pauvres du monde alors que le sous-sol du continent regorge de richesses. Les conditions d’exploitation des ressources minérales du sol et du sous-sol sont déterminées, en Afrique comme ailleurs, par le code minier local. Les droits et devoirs de l’exploitant y sont listés, mais il est très difficile d’en appréhender toutes les subtilités. Disons que, le plus souvent, le code minier permet, aux entreprises transnationales de passer des contrats avec les décideurs locaux. Ces contrats assurent aux entreprises des avantages énormes, parmi lesquels, très peu ou pas d’obligations fiscales, et, quasiment aucune  obligation de transformer la ressource naturelle sur place. Les populations sont ainsi spoliées de retombées financières depuis des décennies. Elles ne connaissent ni développement économique ni progrès social alors que leurs ressources naturelles engraissent les entreprises multinationales ainsi que leurs élus et décideurs locaux.  Non seulement ces populations sont les plus pauvres du monde mais elles sont, la plupart du temps, empoisonnées par ces entreprises sans scrupules, avec la complicité de leurs propres dirigeants qui les méprisent absolument.  Qu’elles vivent près de l’or de Morila au Mali, ou de l’uranium de Arlit qu’Aréva exploite au Niger, ou du cuivre en Zambie, en passant par la bauxite au Cameroun et le coltan de la plaine du Kivu en RD Congo, ces populations souffrent et meurent des conséquences de l’exploitation de leurs propres ressources naturelles. Malgré, les codes internationaux et les chartes de bonne conduite qui sont sensés protéger les travailleurs et les résidents, les enquêtes révèlent ce que ces multinationales et leurs filiales font subir aux populations. Eau et air toxiques, maladies de peau, terre incultivable, entre autres. Le bilan est accablant. Il y a supercherie. En effet, la plupart du temps, les maisons mères de ces entreprises transnationales, signataires de ces chartes, ne sont pas pénalement responsables de ce que leurs filiales font sur place. Les gouvernements locaux qui devraient protéger leurs citoyens contre ces désastres n’en font rien la plupart du temps, car eux-mêmes tirent profit de la situation.

Il est clair que, si les Maliens, et la plupart des Africains ne bénéficient d’aucune retombée financière de la richesse du sous-sol de leur pays, c’est que leurs décideurs locaux signent, en leurs noms, des contrats juteux avec les représentants des multinationales et bénéficient d’une partie des gains. Les Maliens, comme leurs frères africains, en ont assez de voir entrer les 4 X 4 rutilants de leurs élus derrière les hauts murs de leurs belles villas quand eux-mêmes sont obligés de faire la queue pour emplir les seaux d’eau et d’allumer des bougies lorsqu’il y a délestage.  L’opération Serval a permis de stopper l’avancée des groupes armés. Si derrière cette volonté, il y a aussi celle de protéger les intérêts de la France, il faut espérer que le monde entier aura bien vu, grâce aux reportages que l’armée a laissé tourner dans les villes libérées, dans quel dénuement vivent les populations maliennes, et que le monde entier aura enfin compris. Il faut espérer que la France exigera et de ses propres entreprises exploitant les ressources du sous-sol et des futurs décideurs locaux un changement profond de politique et que dorénavant les populations bénéficieront de véritables retombées financières et d’une protection sanitaire réelle, car, ce système politico-économique lucratif n’a que trop duré. L’opération Serval pourrait aussi servir à ça, car il est temps que les élites politiques locales, trop soucieuses de leurs propres intérêts, laissent la place à ceux qui sauront faire du droit à vivre dignement des populations leur priorité.

Françoise WASSERVOGEL

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