L’enchevêtrement du politique et du religieux au Mali est de plus en plus remarquable ces dernières années. Cette montée en puissance du religieux musulman intervient dans un contexte de désagrégation de l’État. Le manque de légitimité des acteurs politiques fait apparaitre des légitimités sectorielles (religieuses) qui se positionnent désormais comme une alternative.
En effet, l’adoption du nouveau code des personnes et de la famille en 2009 a été l’un des faits marquants le début de l’occupation du champ politique et institutionnel par le religieux. L’adoption de ce code, a suscité une contestation massive au sein des associations musulmanes. Dans cette perspective, le Haut Conseil Islamique a organisé un grand rassemblement le 15 août 2009 au stade du 26 mars pour protester contre certaines dispositions controversées du code (mariage, succession etc).
À la suite de l’opposition du HCI, le gouvernement a décidé de renvoyer le code à une seconde lecture pour tenir compte des préoccupations des associations musulmanes. Dès lors, le religieux musulman s’est imposé comme un nouvel acteur sur un champ politique marqué par un rejet massif des acteurs traditionnels qui n’hésitent plus à recourir au pouvoir religieux pour se faire élire lors des échéances électorales.
L’occupation de l’espace politique par de nouveaux acteurs (religieux) est diversement appréciée. Pendant que certains acteurs politiques s’en accommodent, d’autres s’y opposent et réclament une séparation pure et simple de la religion et du politique de manière à préserver le caractère laïc et Républicain de l’État. Dès lors, il s’agit de savoir comment articuler les deux binômes (pouvoir politique et religieux) dans la perspective de construction de notre propre modèle de laïcité.
Le recours à la religion comme forme d’expression de l’échec du politique
La séparation entre religion et politique au Mali semble être difficile à réaliser dans les faits. Les acteurs politiques en manque de légitimité, font de plus en plus recours au religieux pour conquérir le pouvoir et l’exercer. Ce manque de légitimité des acteurs politiques s’explique non seulement par l’insuffisance du traitement des demandes sociales, mais également par la mauvaise gestion des affaires publiques (patrimonialisation du pouvoir, détournement de derniers publics).
La crise du politique est réelle et le recours au religieux vise à combler le déficit de légitimité né de la gestion catastrophique des affaires publiques. En effet, l’élection présidentielle de 2013 fut l’illustration parfaite de l’enchevêtrement du religieux et du politique. La mobilisation du HCI en faveur de l’élection de l’ancien Président de la République était totale. Des consignes de vote ont été données dans les mosquées et les zawiya (Lieu de culte des adeptes de la confrérie Tidjania au Mali), des leaders religieux ont même mobilisé de l’argent pour financer les campagnes de leur candidat.
Les lieux de cultes ont été transformés en quartier général de campagne pour les besoins de la cause. Cette forte mobilisation des religieux a abouti à l’élection de l’ancien Président de la République. Cette nouvelle réalité politique dominante, participe à la dynamique de recomposition du champ politique et fait des acteurs religieux, des acteurs politiques à part entière dont il faut désormais intégrer dans les analyses politiques.
La difficile séparation du pouvoir politique et religieux
Le niveau d’hybridation des deux pouvoirs est tel qu’il est extrêmement difficile de réaliser leur séparation sur un plan normatif. Toute normativité en la matière résistera difficilement à la complexité de la réalité du terrain. Il est important de repenser les relations dialectiques entre ces deux lieux de pouvoir. C’est suivant cette dynamique que Bernard Lewis affirme que « l’islam est par essence politique » (le langage politique de l’islam, Paris, Gallimard, 1988). Pour cet auteur, l’islam et politique sont intimement liés et il n’y a aucune possibilité de les séparer. C’est une conception qui fait de l’islam, une religion fondamentalement politique. En effet, dans un dialogue sur l’islam, les auteurs Souleymane Bachir DIAGNE et Remi BRAGUE font remarquer que l’élection du premier Calife, Abou Bakr, a été suivie d’une révolte de l’impôt.
Une tribu a annoncé que si elle avait accepté de payer un impôt à Mahomet, car il était prophète de Dieu, elle ne voyait pas très bien pourquoi elle devrait en verser à quelqu’un d’autres… Abou Bakr a répondu en disant : « Vous ne pouvez pas séparer l’impôt de la prière » (Souleymane Bachir DIAGNE, Rémi BRAGUE, La controverse, Dialogue sur l’islam, 2019). Ces quelques éléments tirés de la trajectoire historique de l’islam prouvent à suffisance le degré d’imbrication du politique et du religieux.
Il est clair que l’enchevêtrement des binômes politique et religion ne favorise pas l’émergence d’une bonne pratique démocratique. Au Mali, la plus mauvaise expérience en la matière fut celle de l’élection présidentielle de 2013. La consigne de vote donnée par certains leaders religieux et suivie massivement par leurs adeptes a, en partie, permis l’élection de l’ancien Président de la République dont la gestion du pouvoir a été unanimement décriée.
Les leaders religieux doivent tirer tous les enseignements nécessaires de cet précédent pour ne plus donner de consigne de vote lors des échéances électorales à venir. Une consigne de vote donnée en faveur d’un candidat au détriment des autres peut être de nature à déséquilibrer le jeu démocratique. Dès lors, il y a lieu de penser notre propre modèle de laïcité qui ne serait pas une séparation pure et simple des religions et des religieux du champ politique, mais plutôt une subordination des religions à l’État. Ce modèle de laïcité ne serait pas inspiré du modèle français consacré par la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905.
In fine, la subordination du religieux au politique se traduira par l’encadrement par l’État des activités cultuelles (activités de prêches). Il est aussi important, d’accorder le statut de médiateur aux leaders religieux musulmans et chrétiens.
Dr. Mandiou TRAORE