L’auteure de «l’histoire de la littérature négro-africaine» s’est éteinte à Paris, mercredi dernier à l’âge de 87 ans. Elle avait consacré sa vie à l’enseignement et à la recherche à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN) à Dakar et à l’écriture de la littérature et des traditions orales de nombreux pays de notre continent.
Concernant le Mali, elle a notamment écrit «Soundiata, l’enfant-lion, Une épopée du Mali» en 1968, «L’épopée Bambara de Ségou» en quatre tomes dès 1972. Avec Amadou Hampâté Bâ, elle a aussi écrit : «Une épopée peule : Silamak » ; et «Kaidara : récit initiatique peul».
«Anthologie négro-africaine… histoire et textes de 1918 à nos jours » qu’elle a publié pour la première fois en 1968, constitue l’un des livres classiques phares de la littérature négro-africaine. En effet, de la prise de conscience des intellectuels avec le merveilleux et fécond vent venu de l’Amérique noire, par des personnalités illustres et engagées comme William Du Bois et son ouvrage : «Âmes noire », jusqu’aux années 1970 et suivantes, temps des désillusions, de dérision, de vaches maigres, en passant par les péripéties et combats obligés de la négritude militante et des indépendances africaines des années 1960, Lilyan Kesteloot nous promène. Elle nous fait voyager en pays de littérature négro-africaine, un pays qu’elle connaît en profondeur pour l’avoir parcouru avec bonheur, curiosité, abnégation, rigueur, amour et humilité, d’après la préface de cette œuvre.
Cet opus, qui se veut un large panorama critique des prosateurs, poètes et dramaturges noirs du XXè siècle, illustrait, d’abord, une généreuse pensée de l’auteure envers ses étudiants du Cameroun, Mali, Côte-d’Ivoire, ex Zaïre (République démocratique du Congo) et Sénégal, à qui est dédié le livre… Ce qui, dès l’entame du texte, nous plonge dans l’éducation et la pédagogie, mamelles fondatrices de l’enseignante-chercheur qu’a été Lilyan Kesteloot. Et ce n’est pas pour rien que cette anthologie est devenue le livre de chevet de nombreuses générations d’élèves et d’étudiants du monde francophone, et au-delà, d’autres aires géolinguistiques…
Lilyan Kesteloot a vu le jour en 1931 à Bruxelles. Comme nombre de ses compatriotes, elle est une fille du Congo colonial, où elle a passé une grande partie de son enfance et de son adolescence. Elle revient en Belgique pour ses études universitaires sanctionnées par une licence, en 1955, en lettres modernes à l’Université de Louvain, avec un mémoire sur l’œuvre de Georges Bernanos. Six ans plus tard, elle acquiert à l’Université libre de Bruxelles, le grade de docteur avec une thèse : «Les écrivains noirs de langue française, naissance d’une littérature», qui fera de la Bruxelloise la passeuse la plus active de la littérature négro-africaine tant à Dakar qu’à Yaoundé et Paris.
Six décennies durant, Lilyan Kesteloot sera de tous les combats, signant articles, préfaces et ouvrages académiques à tour de bras. Sa voix claironne dans les colloques. Son visage buriné, son sourire désarmant et ses longues tresses ornent les couvertures de multiples anthologies et magazines. Si elle débute sa carrière comme professeure à l’Ecole normale supérieure de Yaoundé, où elle participe à la fondation de la revue Abbia, si elle enseigne ensuite au Mali puis en Côte d’Ivoire, c’est au Sénégal qu’elle s’installe pour travailler comme directrice de recherche à l’Institut fondamentale d’Afrique noire (IFAN), au sein de l’université Cheikh-Anta-Diop.
Amie de Senghor, de Césaire et d’Amadou Hampâté Bâ, c’est depuis Dakar que l’auteur d’Histoire de la littérature négro-africaine anime un vaste réseau mêlant créateurs, chercheurs, griots et simples amateurs, sans compter ni son temps, ni son énergie. La carrière et la vie de cette femme de cœur se confondent avec la négritude et plus généralement avec la littérature négro-africaine, dont elle a analysée avec talent les influences, les thèmes, les orientations et la réception. Au cours des dernières décennies, elle a exploré les contes, les mythes et autres sapiences de l’oralité pour mettre en évidence le dialogue constant et fertile entre les gisements traditionnels et les productions récentes, francophones le plus souvent.
En 1962, Lilyan Kesteloot publie une anthologie de textes littéraires et politiques d’Aimé Césaire suivie en 1965 par une anthologie de poésie camerounaise. Sa réflexion s’élargit avec Négritude et situation coloniale, un essai paru en 1968. Au fil des ans, à la suite de ses rencontres avec les griots dépositaires des traditions orales en Afrique de l’Ouest, elle a constitué au départ sur de nombreux enregistrements une sonothèque qui participe à la sauvegarde du patrimoine littéraire africain et est à la source de certaines recherches actuelles.
En 1975, à l’Université de Paris III, elle soutient sur un ensemble de travaux, une thèse d’état de Lettres en 11 volumes, sous le titre : Études sur la littérature africaine francophone et traditionnelle.
Youssouf DOUMBIA
Source: Essor