Les enlèvements de personnes, le plus souvent suivis de tortures physiques et morales, quelques fois d’homicides sans que les corps ne soient jamais retrouvés (on parle alors de disparitions) sont une pratique courante sous les dictatures ou qu’elles ont cours sur le globe.
Ils sont apparus au Mali durant les années sombres du ” Comité militaire de libéralisation nationale ” (1968-1978) présidé par le lieutenant devenu sans transition colonel Moussa Traoré. Véritable homme fort de ce régime d’exception pour avoir accompli la mission très risquée d’avoir ” arrêté le président Modibo Keita ” (il s’en vantait publiquement), Tiécoro Bagayoko‚ alors directeur général des services de sécurité, en était l’initiateur. Les intellectuels, les politiques, les syndicalistes, les étudiants qui s’aventuraient à dénoncer les errements du régime ou réclamaient seulement de meilleures conditions de travail et d’études étaient enlevés, soumis aux pires brutalités policières. Libérés au bout de longues périodes de détention en des lieux secrets ou de déportation dans les bagnes de l’extrême nord, certains d’entre eux ne survivront que quelques mois. D’autres ont porté toute leur existence les séquelles des sévices corporels qu’ils ont subis.
La chute des colonels survenue le 28 février 1978 et la mise en place d’un parti constitutionnel répondant au sigle de l’UDPM ne mettront pas fin à la pratique funeste des enlèvements de citoyens puisque des hautes figures de la lutte estudiantine tels que Ibrahima Thiocari et Abdoul Karim Camara dit Cabral en seront victimes respectivement en janvier et mars 1980.
Parvenu inopinément au sommet de l’Etat le 22 mars 2012, le capitaine Amadou Haya Sanogo et sa bande de déserteurs vont s’inspirer du mauvais exemple du duo Moussa Traoré-Tiécoro Bagayoko pour tenter d’asseoir leur pouvoir crapuleux. Des hommes politiques, des cadres civils et militaires, des opérateurs économiques, des journalistes (dont votre serviteur) seront enlevés sur leurs lieux de travail ou à leurs domiciles, pour certains conduits hors de Bamako et de Kati, frappés à coups de crosses de fusils et de gourdins. Ils en gardent encore les blessures physiques et, pour le restant de leur vie, les blessures morales.
Les 24 bérets rouges dont les parents, les épouses, les enfants, attendent depuis quatre ans que justice leur soit rendue afin qu’ils soient inhumés dans la dignité ont été, rappelons-nous, enlevés puis exécutés froidement avant d’être ensevelis dans une fosse commune creusée par eux-mêmes sous la contrainte.
On avait cru qu’avec l’élection d’IBK en 2013, les enlèvements de personnes, suivis ou non de leurs disparitions, appartiendraient définitivement à un passé honni. Hélas ! Il faut convenir qu’il n’en est rien.
Notre jeune confrère, Bréhima Touré, est porté disparu depuis fin janvier 2016. Un article récent du journal ” Le Sphynx “, où il a servi, révèle qu’il a été enlevé par la Sécurité d’Etat et serait mort des suites de tortures et de maltraitances dans l’un de ses lieux de détention secrets dans la périphérie de Bamako.
Le dimanche 12 aout dernier, l’informaticien de nationalité ivoirienne, Abel Konan Kouassi, travaillant pour l’agence Smart media, en charge de la communication du candidat à l’élection présidentielle, Soumaila Cissé, a été enlevé sur son lieu de travail par des individus encagoulés et armés. Ses collaborateurs resteront sans nouvelle de lui pendant 48 heures. Lorsque, au-delà de ce délai, il recouvrera la liberté aux environs de Kati, l’on apprendra qu’il avait été soumis à des tortures pour lui faire avouer le montage de vidéos truquées visant à corroborer l’accusation de fraude électorale émise par son employeur du moment.
Puis il y’a eu cet enlèvement nocturne, le dimanche 27 aout, de Paul Ismael Boro à son domicile, à Koulouba, devant femme et enfants. La médiatisation rapide du rapt de cet allié électoral de Soumaila Cissé lui a peut-être évité le pire.
On vient d’apprendre, enfin, que Moussa Kimbiri, autre partisan très actif du candidat de la plateforme ” Ensemble resterons l’espoir au Mali ” a été enlevé, lui aussi, hier mardi à 2 heures du matin, par des hommes encagoulés et armés dont tout porte à croire qu’ils sont de la police secrète du pouvoir en place.
Il est temps, assurément, que ces pratiques anachroniques, déshumanisantes et relevant du banditisme d’Etat cessent au Mali. On ne peut pas se revendiquer de la démocratie et s’accommoder d’atteintes aussi graves à la liberté, à la dignité et l’intégrité des citoyens. Les Maliens n’ont pas consenti le sacrifice suprême en mars 1991 pour subir de nouveau dans leur chair et leur esprit les violences d’un Etat policier qu’ils croyaient aboli pour toujours.
Le plus surprenant et le plus incompréhensible est que la restauration de cet Etat policier a lieu sous la conduite de Soumeylou Boubéye Maïga. Un homme qui a souffert du fléau, l’a combattu énergiquement et a été parmi les pionniers de l’avènement de la démocratie. Laquelle, c’est entendu, est indissociable de l’observance scrupuleuse des règles de l’Etat de droit.
Par Saouti Haïdara
L’Indépendant