Rfi : Est-ce que vous êtes surpris par cette décision de la France ?
Dominique Trinquand : Non, je ne suis pas très surpris, la France attendait la décision des Africains… La Cédéao, puis l’Union africaine ont pris des mesures diplomatiques, demandant un retour à la normale, après ce coup d’État de palais – c’est un coup d’État dans le coup d’État – et donc hier matin il y avait un conseil de défense et je pense que c’est lors de ce conseil de défense que la décision a été prise, qui correspond à ce que le président Macron avait déjà annoncé pendant le weekend [dans le Journal Du Dimanche]. Je crois que nous sommes à un tournant important et qu’il fallait des décisions importantes.
Deux mesures sont prises. Tout d’abord, la suspension des missions nationales de conseil au profit des forces maliennes. Il s’agit de quoi ?
Il s’agit de ce que l’on appelle plus vulgairement la coopération. Nous avons des coopérants qui sont au Mali, qui accompagnent les forces maliennes… C’est important de souligner qu’il s’agit des missions nationales, donc on ne parle pas de la mission de l’Union européenne. Vous savez qu’il y a une mission de conseil de l’Union européenne là-bas, à laquelle participe la France… La mission nationale de conseil, ce sont des officiers français qui sont au sein de l’état-major malien, au sein des écoles, et qui participent à la formation et à l’instruction des forces maliennes.
Et ces officiers, qui étaient dans l’état-major des forces maliennes, n’y sont plus alors ?
Ils n’y sont plus, exactement. Ils quittent leur bureau, ils quittent l’endroit où ils sont et ils attentent – puisque ce sont des mesures conservatoires – la décision suivante.
Ils ne sont plus également auprès des services de renseignement malien…
Oui, exactement.
La seconde mesure décidée par Paris, c’est la suspension des opérations militaires conjointes avec les forces maliennes. Ce qui veut dire qu’il n’y aura plus d’opérations franco-maliennes sur le terrain ?
Exactement. Je pense que l’ensemble de ces deux mesures, sont des mesures qui visent à faire comprendre au gouvernement malien actuel qu’il est allé trop loin et que des mesures fermes sont prises, de façon à le faire changer d’avis, comme lui a demandé la Cédéao et comme lui a demandé l’Union africaine.
Est-ce que l’armée malienne, sans la présence à ses côtés de l’armée française, sera toujours en mesure de mener des opérations ou pas ?
Elle est en mesure de mener des opérations, mais pas avec l’envergure qu’elle pouvait mener avec les forces françaises. Je veux parler en particulier de l’appui des Forces spéciales, des avions, des drones, qui évidemment n’interviendront plus au profit de l’armée malienne. Donc ils perdent une grande capacité d’intervention.
C’est-à-dire que l’armée malienne perd l’appui aérien que lui apportait Barkhane, c’est cela ?
Oui, exactement. Et le renseignement, au passage, puisque celui-ci leur est fourni également par les drones, par exemple.
Alors qu’est-ce qui va rester, maintenant, dans la lutte contre les jihadistes ?
Je pense que ce n’est pas quelque chose qui va durer. La France ne peut pas être remplacée en l’état et donc, soit le gouvernement malien s’oriente vers une négociation avec les jihadistes, auquel cas ce sera la fin de la coopération française, comme l’a dit le président Macron. Soit le Mali revient en arrière et nomme tout de suite un gouvernement civil qui va prendre la succession.
Est-ce que depuis hier soir les groupes jihadistes se frottent les mains ?
Ah bien sûr ! Il est certain que le mouvement jihadiste se dit : » Sans forces françaises, que va devenir le Mali ? Nous sommes en position de force pour négocier avec les Maliens ! » C’est certain !
Est-ce que cette suspension de la coopération militaire avec le Mali, cela veut dire aussi, à terme, un retrait de Barkhane, ou est-ce qu’au contraire, Barkhane va rester opérationnelle sur le terrain dans les semaines qui viennent ?
Dans les semaines qui viennent, je pense qu’il va falloir bien observer quelle va être la réaction du Mali lui-même. Maintenant les cartes sont entre ses mains. Je rappelle que la France n’est présente au Mali qu’à la demande du Mali. Et là, le gouvernement français signale qu’il ne peut plus travailler dans ces conditions-là. Donc il s’agit, pour le Mali, de changer de braquet. Maintenant, s’il ne change pas de braquet, effectivement, l’opération Barkhane se retirera d’abord du Mali, et ensuite, les négociations se feront avec le Burkina Faso, le Niger, le Tchad et la Mauritanie.
Voulez-vous dire que la présence de plusieurs milliers de soldats français au camp militaire de Gao, au Nord-Mali, est aujourd’hui remise en question?
Oui, mais il faut attendre la réaction du Mali. Depuis un moment, la France dit : j’interviens à la demande des pays de la région. Si les pays de la région changent d’attitude, et en particulier décident de négocier avec les jihadistes et mettent en place un gouvernement qui n’est pas démocratiquement reconnu, la France ne peut plus continuer à travailler dans ces conditions-là. Il y a eu plusieurs étapes : l’élection du président IBK d’abord, son renversement, puis un deuxième coup d’État… Ce sont des choses qui ne peuvent pas passer. On ne peut pas accepter cela longtemps.
Mais en théorie, l’armée française peut continuer de mener des opérations de façon unilatérale avec les soldats de Barkhane, non ?
La France va probablement continuer ses opérations de ciblage et de renseignement. Mais après tout, si le gouvernement malien dit : Eh bien, puisque vous ne voulez plus coopérer avec nous, vous devez partir… La force Barkane devra forcément quitter le Mali.
Oui, donc on est dans un vrai bras de fer…
C’est un bras de fer. Mais je crois que c’est un bras de fer qui est voulu, d’abord, par les Africains. La Cédéao, d’abord, et l’Union africaine. Donc la France prend une décision qui est en appui des décisions des Africains.
RFI
Source: l’Indépendant