Mali bε lonbo lanba η’a tε bᴐn. (dicton bamanan). Le bateau Mali peut tanguer mais il ne chavirera point.
À travers le temps et l’espace, nombreux sont les exemples où des Maliens/nes ont amené leurs interlocuteurs/trices à les respecter, et ce sans violence, ni verbale, ni physique. Écoutons, entre autres, Ki-Zerbo (1973 135) parlant de Mansa Moussa et citant Al Oumari:
Quelle noble allure avait ce sultan, quelle dignité, et quelle loyauté! ” avant d’ajouter lui-même : “ La dignité de Mansa Moussa impressionna beaucoup. Bien que parlant couramment l’arabe, il ne communiquait que par le truchement d’un interprète.”
Relatant cette même rencontre, cité par Morgan, Ware ajoute:
La réunion a été tendue quand [Mansa] Moussa a refusé d’embrasser les pieds du sultan et l’accalmie n’est venue qu’avec l’accord de [Mansa] Moussa pour saluer al-Nasir selon leur usage. Suite à la conversation ainsi engagée, al-Nasir a offert l’hébergement à [Mansa] Moussa et à toute sa suite, et à son tour, celui-ci a laissé en Ègypte une partie de cette fortune incommensurable.
Chronologiquement plus près de nous et selon, entre autres, Boubacar Monzon Traoré, au moment où, sous la direction éclairée, convaincue et déterminée du Président Modibo Kéita, la république naissante du Mali développait, sans complexe, sa première carte diplomatique, le premier ambassadeur plénipotenciaire du Mali auprès de la Reine Elisabeth II, Royaume uni, Son Excellence (S.E.) Gouro Sow entrait, en 1961, dans la salle en tenue traditionnelle malienne splendide pour présenter ses lettres de créances, des membres de la Cour Royale s’y opposèrent, jugeant cette tenue indigne de la présence de leur Reine. Ils laissèrent à S.E. Sow le choix entre porter une redingote des “grandes occasions” ou renoncer à la présentation des lettres de créances de son pays. Après moult discussions, ce dernier, originaire et ambassadeur du pays du danbe (dignité, honneur, yεrεdᴐn, yεrεboɲa – voir plus bas), n’a point cédé. Par contre, il a choisi de s’en référer à sa hiérarchie. Contacté, le Président Modibo Kéita, le danbe personifié, a eu, sans ambages, une réponse aussi claire que courte: “Prends le premier avion pour Bamako immédiatement. Tu y retourneras quand ils comprendront que ta tenue vestimentaire fait partie de notre danbe.”
Ainsi, la cérémonie de présentation des lettres de créances a commencé avec les autres ambassadeurs sur la liste du jour. Arrivée au tour du Mali, Son Altesse Royale a constaté un vide. Elle a alors demandé des explications à sa Cour. Ses membres lui répondirent que puisque celui du Mali avait des habits traditionnels de son pays, une tenue, selon eux, indigne de la circonstance, il ne pouvait être admis à la cérémonie. Contrairement à ses sujets, Son Altesse Royale, en personne aussi instruite qu’éduquée, connaissait la réputation multi-séculaire des Maliens/nes pour leur sens élevé de la dignité et du respect, dont le yεrεdᴐn (connaissance de soi-même) et le yεrεboɲa, le respect de soi-même, le self-respect, comme le diraient nos amis anglo-saxons. En fait, au pays du danbe, le yεrεboɲa signifie que le respect commence, d’abord, au niveau personel. Sans cela, il n’y a pas de respect du tout. Ainsi, la Reine Elizabeth II a réagi en ces mots (dans leur langue) : “ Je connais son pays. Le Mali a une culture millénaire. Les Maliens/nes ne sont pas comme les autres. Appelez-le.” Pouvons-nous oser, ici, une paraphrase: “Mieux vaut avoir à faire à la Reine qu’à sa Cour?”
Ces derniers se précipitèrent à la recherche de S..E. Sow et le trouvèrent à son l’hôtel en train de faire ses valises, conformément aux ordres de son Président. Après explications et conscient de l’importance de sa mission plénipotentiaire, il les suivit et présenta ses lettres de créances, sans changer de tenue. Après les avoir acceptées, et puisque “Noblesse oblige”, la Reine Elisabeth II l’a reçu seul, dans son bureau pour lui dire:
“Puisque votre pays a été offensé, que puis-je faire pour vous en contre partie? ”
“Mon pays vient de créer une compagnie aérienne mais nous n’avons pas d’avions”, répondit S.E.Sow.
“Je vous donne trois avions pour votre compagnie.”
Alors s’envolèrent vers le Mali trois DC 3 qui furent les premiers éléments de la flotte d’Air Mali, ainsi contribuant au désenclavement du pays.
Un exemple plus récent de l’effet du danbe: ils ont osé! En février 2022, un groupe de jeunes panafricains/nes de trois nationalités différentes se réclamant “Héritiers du panafricanisme de Modibo Kéita, Thomas Sankara et Cheick Anta Diop” (un érudit opposé, entre autres, à la notion “citoyens du Sénégal, citoyens du Mali”), selon leurs propres mots, donnèrent le départ volontaire en février 2022, en face de l’Ambassade du Mali à Dakar, d’une marche de 1360km, la distance entre Dakar, Sénégal et Bamako, Mali, au delà des frontières étatiques fermées. À leur dire, l’objectif de leur movement est de soutenir le Mali face “aux sanctions injustes” imposées par la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et l’UEMOA (Union Économique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest), entités dont le Mali est membre. Rappelons-le, ces sanctions font suite au renversement du Président de la République du Mali, Ibrahim Boubacar Kéita, IBK pour les amis, un renversersement sans changement de l’ordre constitutionnel, un ordre constitutionnel autorisant la désobéisance civile et couronné par la démission du Président IBK.
Notre Lettre ouverte No. 10 donne quelques exemples de la grandeur du Mali au delà de ses frontières actuelles, notamment au Sénégal. Le Mali n’est donc pas inconnu dans ce pays, sans oublier les multiples liens de tous genres entre ces deux voisins. La réputation du Mali est bien connue au Sénégal dont certains citoyens/nes se rappellent, avec regret, les moments panafricains de la défunte Fédération du Mali (Mali et Sénégal). Lors de l’acceuil très enthousiaste des autorités et populations de Kayes et les représentants du Comité national créé pour la circonstance, le souvenir de la Fédération du Mali a amené un membre de ce groupe panafricain à dire, entre autres: “Notre premier Président est Modibo Kéita. Nous revenons à la maison malgré les obstacles administratifs.” Cela va sans dire, au Sénégal, des Maliens sont employés par des Sénégalais et ce vice versa. En outre, personnellement, nous connaissons l’un de ces derniers qui a travaillé, à Dakar, pour un Malien avec lequel il entretient, encore, des relations très amicales. Ceci, entre autres, est un signe d’estime et de confiance réciproques, toutes tributaires du danbe.
Conclusion
L’attitude de Mansa Moussa en Egypte montre à suffisance comment il s’y est fait respecter par l’usage de sa langue maternelle en dépit de sa maîtrise de l’arabe en plus de son air impéral vis-à-vis du protocole du sultan égyptien. Celle de S.E Sow lors de la présentation de ses lettres de créances est une autre illustration de l’aptitude des Maliens/nes à respecter les interlocuteurs/trices et attendre la réciproque de leur part, fidèles en cela à leurs yεrεdᴐn et yεrεboɲa.
Certes, puisque ni le paradis ni la perfection ne sont de ce monde, ces mêmes Maliens/nes peuvent connaître des hauts et des bas à la manière du Bateau Mali mais, tout comme ce dernier et le roseau de Jean de La Fontaine qui peut plier sans rompre, ils//elles ne perdront point leur danbe. À cela le sac de piment fait écho avec sa capacité de faire tousser même étant vide (dicton malien).
La connaissance du passé du Mali a permis à la Reine Elizabeth II de sauver une situation qui aurait faussé, sinon compromis, le démarrage des relations entre son royaume et la République du Mali . Cette combinaison de, entre autres, science, sagesse, et doigté, toutes expressions contenues dans les yεrεdᴐn et yεrεboɲa maliens et collectivement synonymes du vocable ‘noblesse’, peut-elle guider notre quotidien individuel et collectif, national et international?
Sans aucun doute, le danbe a contribué à la mobilisation aussi imprévue que spontanée de jeunes panafricains/nes pour apporter, à pieds sur une distance de 1 630 km, leur soutien au peuple malien. Si non, combien de fois a-t-on vu en Afrique de l’Ouest contemporaine un groupe multinational de jeunes garçons et filles se mobiliser, spontanément, pour apporter leur appui moral et inconditionnel á État par eux-mêmes jugé en danger, et ce répétons-nous, à pieds sur une telle distance, avec pour seule arme leur conviction panafricaniste. Nul ne saurait ce faire pour un peuple faisant montre des avatars des plus exécrables, humainement et politiquement. Aussi, leur estime et leur admiration pour le Président Modibo Kéita, sont l’incarnation du danbe, et montrent une inclination certaine pour de ce même danbe.
À la noble manière de son Altesse Royale Elisabeth II, il y a une constance à considérer par toute personne qui s’intéresse à toute forme de relations avec le pays du danbe. Y faire fi ne peut qu’entraîner, à notre humble avis, des conséquences parfois contre-productrives. Sans la hauteur multi-dimensionnelle de Son Altesse Royale Eilsabeth II, cela aurait pu être le cas lors de la présentation des premières lettres de créances du Mali au Royaume uni.
Dr. Abdoul Diallo
Source : Le Républicain