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L’Etat islamique sort-il affaibli de la bataille de Kobané ?

L’Etat Islamique (EI) a été chassé de Kobané, en Syrie, mardi 27 janvier. Les djihadistes ont subi des pertes importants, mais ils ont résisté quatre mois sous les bombardements de la coalition internationale, dans une bataille ultra-médiatisée. Explications :

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  • Pourquoi l’EI avait-il attaqué Kobané ?

Kobané n’était pas un objectif stratégique de premier plan pour l’EI. C’est une région kurde, dans laquelle les arabes sunnites, sur lesquels s’appuie l’organisation, sont minoritaires. Certes, parvenir à la contrôler aurait pu donner à l’EI le contrôle d’une centaine de kilomètres de frontière entre la Syrie et la Turquie. Cela aurait facilité son trafic de pétrole, qui représente une part importante de son budget, et l’arrivée de djihadistes étrangers.

Mais l’EI tient déjà de larges pans de la frontière à l’est et à l’ouest de la ville, autour des villes syriennes de Jarablous et de Tal-Abiad. Attaquer la province de Kobané permettait surtout à l’EI de prendre le contrôle de la route au sud-ouest de Kobané, qui relie par le nord son fief de Rakka à Alep, où il combat le régime syrien. En 2013, les Kurdes de Kobané et des rebelles de l’armée syrienne libre chassés de Rakka avaient attaqué l’EI sur cette route à plusieurs reprises.

  • S’agit-il vraiment d’une défaite pour l’EI ?

L’Etat islamique a été chassé de Kobané et de quelques villages alentours, à travers lesquels les forces kurdes progressent désormais, appuyées par des frappes aériennes. Mais les djihadistes tiennent encore la province. Ils disposent de chars et d’armes lourdes pour empêcher l’avancée des Kurdes en terrain ouvert. De récentes frappes aériennes de la coalition sur cette route, où sont présentes des forces de l’Armée syrienne libre, pourraient suggérer, selon le chercheur Thomas Pierret, de l’université d’Edimbourg, « une répétition du scénario de Kobané » : des bombardements appuyant des troupes locales au sol contre l’EI.

« On ignore ce que les pertes de Kobané représentent par rapport à l’ensemble des forces de l’EI. On s’accorde à dire qu’ils ont une grande force de résilience », dit Arthur Quesnay, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient, en Irak. « Ils ont toujours énormément d’hommes dans la région. Ils continuent de recruter. Ils disposent de nombreux ex-officiers du parti Baas de Saddam Hussein. »

Pour le chercheur, il est même difficile, sur le plan symbolique, de considérer la perte de Kobané par l’EI comme une défaite : « Ils ont tenus plusieurs mois face aux bombardement et aux forces de la coalition syrienne venues d’Alep. Ils ont montré à leurs militants qu’ils étaient capables de tenir un front ultra-mediatisé. »

  • Pourquoi cette bataille a-t-elle suscité tant d’attention ?

Kobané a reçu une attention médiatique exceptionnelle au regard de sa taille (70 000 habitants avant la guerre) et de son importance relative face à d’autres villes de Syrie, comme Alep, capitale économique ravagée par les combats depuis juillet 2012. Mardi, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, demandait ainsi : « Quand il s’agit de Kobané, tout le monde se lève et apporte son aide. Des réfugiés de Kobané, 200 000, viennent chez nous. Mais quand on parle d’Alep, personne n’écoute. Il y a 1,2 million de gens là-bas, il y a l’économie, l’histoire, la culture, pourquoi ne s’y intéresse-t-on pas ? »

La presse a pu couvrir la bataille de Kobané depuis le côté turc de la frontière, à l’abri des combats, à la jumelle et au téléobjectif. A l’inverse, se rendre à Alep et dans les autres zones en guerre de Syrie est devenu presque impossible.

Lire le reportage : Dans Kobané, libérée mais détruite

Cette bataille avait aussi commencé peu après l’attaque menée par l’EI contre les Yézidis dans la région de Sinjar, en Irak, durant l’été. On avait alors craint l’extermination d’une large part de cette population kurde d’Irak, adepte d’un monothéisme hérité du zoroastrisme perse, encerclée sur la montagne qui domine Sinjar. Les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, organisation séparatiste interdite en Turquie) avaient brisé cet encerclement en août, s’affirmant comme les forces locales les plus efficaces face à l’EI. La branche syrienne du PKK avait ensuite su appeler efficacement la communauté internationale à l’aide, lorsque Kobané, qu’elle contrôle, avait été attaquée à son tour.

Le 24 septembre, la coalition internationale menée par les Etats-Unis contre l’EI commençait à bombarder des positions djihadistes à Kobané. Au fil de la bataille, la ville finira par concentrer près des trois quarts des frappes menée en Syrie : plus de 700 en quatre mois. Cette intensité s’explique en partie par la possibilité de cibler de nombreux combattants rassemblés sur le même front. La coalition avait peiné à trouver des cibles ailleurs en Irak et en Syrie, après une première vague de bombardements. Les Etats-Unis ont un temps présenté Kobané comme un exemple de l’efficacité de ces frappes, lorsqu’elles sont menées en coordination avec des combattants locaux au sol.

Enfin, la bataille a donné lieu à d’importantes tensions diplomatiques entre les Etats-Unis et la Turquie, qui a contribué depuis l’émergence de l’EI en 2013 à le renforcer, notamment en laissant sa frontière ouverte à ses trafics. La Turquie considère les djihadistes comme un moindre mal face au régime de Bachar Al-Assad et au PKK, qui a mené contre elle une guerre insurrectionnelle durant trente ans (plus de 40 000 morts). La Turquie a laissé passer des civils, et des combattants kurdes blessés, ainsi que de l’approvisionnement durant la bataille. Elle l’a fait discrètement, en multipliant les embûches. Elle a aussi laissé passer à grand bruit, fin octobre, 150 peshmergas venus de la région autonome kurde d’Irak, dont les autorités rivalisent avec le PKK.

  • Quelle est l’ampleur des pertes de l’EI ?

Le bilan le plus largement cité est celui de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), basé à Londres et qui s’appuie sur un réseau d’informateurs locaux : 1 800 morts, dont un millier de djihadistes. Les informations de l’OSDH sont peu fiables dans cette bataille, mais le chiffre d’un millier de morts côté EI est crédible, compte tenu de l’afflux continu de djihadistes dans la ville malgré les bombardements. Ces combattants, notent les autorités kurdes, ont montré une capacité impressionnante à tenir leurs positions, y compris en ruines.

Le Pentagone a estimé de son côté que les pertes de l’EI pouvaient être évaluées par un nombre « à trois chiffres ». Depuis la chute de Kobané, Washington tente de faire passer le message que cette bataille a découragé de nombreux djihadistes étrangers de rejoindre les rangs de l’EI. Le département d’Etat américain affirmait mardi que des djihadistes avaient déserté les rangs de l’organisation, refusant d’aller se battre à Kobané. Certains ont été exécutés, précise-t-il, sans apporter d’éléments de renseignement pour étayer cette thèse.

Le site Rakka is being slaughtered silently, tenu par un groupe clandestin de Syriens opposés à l’EI dans cette ville, affirmait ainsi vendredi que « des dizaines d’étrangers, des Saoudiens pour la plupart, ont quitté la ville ». L’EI, disait le site, a lancé « une alerte » et les recherchait dans les campagnes. Cette affirmation, tenue par un groupe qui tend à présenter la population de la ville comme opposée au règne de l’EI, ce qui n’est pas une évidence, était également invérifiable.

  • Que va faire l’EI désormais ?

Sur le plan militaire, la perte de Kobané répond au moins en partie à un choix stratégique : l’EI a mieux à faire à l’Est, dans la région kurde de Qamishli et sur l’axe, vital pour l’EI, qui relie la province irakienne d’Anbar à la ville syrienne de Deir ez-Zor (région riche en pétrole), suivant l’axe de l’Euphrate.

Dans la province de Qamishli, à Hassaké, des combats ont opposé récemment les forces kurdes et celles du régime, qui cohabitaient jusqu’alors en relative intelligence. L’EI y dépêche des renforts, profitant de ces divisions. Il s’agira pour lui de reprendre un maximum de terrain et d’obliger le PKK à remonter au Nord, pour dégager la voix d’accès à la ville de Mossoul.

Il s’agit d’une contre-attaque après la perte, à l’automne, de la région voisine de Sinjar, dans une offensive des Kurdes d’Irak. L’EI avait ainsi perdu un pan de frontière entre l’Irak et la Syrie, qui relie ses fiefs de Rakka et de Mossoul. Par ailleurs, l’EI a lancé mercredi une offensive contre la ville de Kirkouk, située plus loin à l’Est, en bordure du territoire contrôlé par les Kurdes d’Irak.
Source: lemonde.fr

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