Cette idée nous hante. Bientôt, demain peut-être, l’Etat russe mettra nos amis devant un choix terrible : aller à la guerre ou en prison. Ces copains que nous connaissons parfois depuis l’enfance (et dont nous avons changé les prénoms pour les protéger) vivent dans des villes différentes et exercent des métiers divers. Mais ils ont désormais en commun d’attendre que frappe à leur porte le commissaire militaire, avec dans ses mains l’ordre de mobilisation, l’invitation à la guerre de Vladimir Poutine. Comment vivent-ils cela ?

Nikolaï apparaît sur l’écran d’ordinateur, habillé en peignoir, mais coiffé d’un béret militaire. Il a 31 ans, est serrurier et vit à Voronej, non loin de la frontière ukrainienne. Il a une petite amie mais pas d’enfants. Andreï, nous le connaissons depuis toujours. Il a servi dans le détachement d’élite de reconnaissance aéroportée des parachutistes. On lui demande ce qu’il pense de la mobilisation. « A 300 kilomètres d’ici, nous avons ce qu’il faut bien appeler par son nom, une guerre. Alors, s’ils m’appellent, oui, j’irai. »

Fausse carte militaire

Et, là, sur l’écran, Nikolaï se met à imaginer un improbable dialogue avec le commissaire militaire qui viendra peut-être le chercher. « Il me demandera : “Tu vas y aller ou non ?” Je répondrai : “Camarade major de la garde, je suis un patriote, mais je ne veux pas me retrouver sur la paille. Je suis préparé à 1 000 %, je sais monter et démonter une kalach, je sais tirer, y compris avec un lance-grenades, j’ai un permis de conduire un char, je suis préparé physiquement. J’irai me battre, mais pas pour vous, mon camarade major, j’irai, mais seulement pour l’argent. S’il vous plaît, donnez-moi trois “gâteaux” [3 millions de roubles, soit 54 000 euros] et 150 000 roubles [2 700 euros] chaque mois et, d’accord, je suis prêt à y aller pour six mois ! »

A la fin de notre conversation, Nikolaï me demande si quelques-uns de nos amis veulent éviter la conscription en achetant une fausse carte militaire, qui indiquerait leur inaptitude pour raison de santé. Il peut en fournir pour 240 000 roubles (4 300 euros). Nikolaï explique que ces documents se vendent comme des petits pains.

« Soit je rentre avec un bagage d’histoires hilarantes, soit je ne reviendrai pas, mais je serai un héros. » Mikhaïl

Mikhaïl, 30 ans, fait du marketing sur les réseaux sociaux pour une grande entreprise sidérurgique. Nous avons travaillé ensemble dans la même société. Micha est un représentant de la jeunesse hipster. Il vit seul. Nous avons souvent déjeuné et fait la fête ensemble. Il nous faisait rire avec des histoires loufoques sur son service militaire. Il donne l’impression de ne pas faire la différence entre son service et la guerre.

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Source: Le Monde