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Les quatre chantiers de l’après-guerre

Le Mali paraît sorti de l’ornière, grâce à l’intervention militaire extérieure et l’élection présidentielle d’août dernier. Une tâche colossale n’en attend pas moins le nouveau président, Ibrahim Boubacar Keïta. À son gouvernement incombe la lourde responsabilité de remettre le Mali sur les rails, après une rébellion, un putsch, une guerre et une transition houleuse de dix-huit mois. De grands travaux l’attendent.

ibk et tatam ly

Extrait de La Chronique d’octobre 2013

L’armée

À l’évidence, le tout premier chantier de l’après-crise portera sur la situation sécuritaire et l’armée. Une institution profondément divisée et meurtrie par sa débandade, entre janvier et mars 2012, face à quelques centaines d’hommes, membres de groupes armés au Nord. Une mission de formation de l’Union européenne (EUTM) a déjà été engagée en juin 2013.

Au camp militaire de Koulikoro, à 60 km de Bamako, quelque 550 militaires européens entraînent à la chaîne 3 000 soldats de l’armée malienne (sur des effectifs totaux estimés à 20 000 hommes), soit quatre bataillons de 750 personnes, chacun étant formé pendant dix semaines. Au bout de la cinquième semaine, des spécialisations interviennent : infanterie, cavalerie, génie, commando ou renseignement.

Curieusement, ces entraînements intensifs, qui vont durer jusqu’en juin 2014 et coûter 12,3 millions d’euros, ne comprennent pas de volet « lutte anti-terroriste », alors que les groupes armés islamistes, qui se sont dispersés dans la nature, ont continué de commettre des attentats-suicides. « Il faut tout reprendre à zéro, avec des bases qui restent à acquérir, un minimum de discipline, comment donner des ordres et les respecter, faire des manœuvres, manier des armes », explique un porte-parole de l’EUTM. Et surtout, il s’agit de restaurer un esprit de cohésion dans une armée profondément divisée, entre bérets verts qui soutiennent la junte militaire et bérets rouges restés loyaux au président déchu Amadou Toumani Touré (ATT), entre des officiers soupçonnés d’avoir trempé dans bien des affaires de corruption et des sous-officiers qui s’estiment lésés avec leurs maigres soldes et des équipements obsolètes…

Quid de la sensibilisation aux violations des droits de l’Homme et crimes de guerre ? Réponse du porte-parole de l’EUTM : « Les formateurs vivent ensemble à Koulikoro, ils se réveillent à 6 h 30 et sont jusqu’à 18 heures avec les soldats maliens, à qui ils expliquent que l’armée est subordonnée au pouvoir politique. Ils ont aussi trois heures de cours tous les samedis matins avec le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies qui gère ça. Au bout du compte, ça fait une double formation aux bonnes pratiques ». Reste à savoir si cela sera suffisant…

Désarmement et réconciliation nationale

Le désarmement de la rébellion touarègue, la négociation d’accords de paix durables et la réconciliation nationale, vont dépendre de l’efficacité de l’armée et de sa capacité à contrôler tout le territoire national. Pour l’instant, la situation reste précaire à Kidal, la ville la plus reculée du Nord, 50 000 habitants, fief des groupes armés touaregs, où l’armée n’a repris pied qu’en juin 2013, un mois avant les élections. Alors que des voix s’élèvent, dans la société civile, pour plaider en faveur d’une solution fédérale, les clivages restent difficiles à surmonter. Pour une bonne partie de l’opinion du sud du Mali, il n’est pas question de discuter avec les Touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), considérés comme les principaux fauteurs de troubles, puisqu’ils ont rallumé une rébellion en janvier 2012.

Une Commission dialogue et réconciliation (CDR) a été nommée fin mars par les autorités de transition, mais elle peine à s’imposer. Son président, Mohamed Salia Sokona, 65 ans, ancien ministre de la Défense, ex-ambassadeur malien, est assisté par deux vice-présidents, un Touareg, Meti ag Mohamed Rissa, lieutenant-colonel des douanes, originaire de Kidal, et une femme, Traoré Oumou Touré, à la tête de la Coordination des associations féminines du Mali (Cafo). Cette dernière devrait faire porter la voix des femmes, dont les droits ont été bafoués par les islamistes pendant les neuf mois qu’aura duré leur occupation du Nord. La mission de la CDR consiste à « enregistrer les cas de violations des droits de l’Homme commis depuis janvier 2012 ». Sa portée juridique reste floue : nul ne sait si les violations constatées seront suivies par des demandes d’amnistie, comme en Afrique du Sud, ou par des procès.

Corruption

« Il faut faire comme au Sénégal, en mettre un seul en prison et en faire un exemple pour dissuader tous les autres de continuer à se servir dans les caisses de l’État », estime Cheikh Sidi Diarra, ancien Secrétaire général adjoint des Nations unies, de retour au Mali où il est pour l’instant à la retraite. La corruption représente un mal endémique, à l’origine de la crise politique qu’a traversée le pays. L’ampleur prise par le trafic de la drogue – le Mali figurant sur la route des cartels latino-américains – pour acheminer la cocaïne en Europe, s’explique en partie par le faible niveau des salaires : à peine 90 euros de solde mensuelle pour un capitaine dans l’armée, 230 euros pour un professeur à l’université. Une situation intenable, compte tenu du coût de la vie.

Éducation

Tâche cruciale, mais passée au second plan ces derniers mois, l’éducation est le point faible de la démocratie malienne. Selon bien des ténors de la société civile, c’est la raison pour laquelle les Maliens ne sont pas descendus dans la rue après le putsch de mars 2012 pour défendre leur Constitution. Seulement 43 % des enfants de Bamako, la capitale, vont à l’école primaire. La raison ? Les parents n’ont pas le certificat de naissance nécessaire à l’inscription, et ne sont pas aidés dans leurs démarches par l’administration.

« Sur les 100 000 étudiants inscrits aux universités de Bamako, un quart sont des étudiants fictifs qui cherchent surtout à avoir la bourse, 533 euros par an », estime Gakou Bandiougou, ancien recteur de la faculté de droit en 2009. Tout est possible dans les facultés, y compris s’acheter des diplômes, une maîtrise de droit coûtant quelque 600 euros… « On demande aux Maliens d’aller voter, mais quand on leur parle du métier d’avocat ou de la Cédéao, ils ne savent pas de quoi il s’agit », déplore Alioune Ifra N’Diaye. Patron du BlonBa théâtre, ce jeune entrepreneur culturel s’est fixé pour objectif d’éduquer les populations à la citoyenneté, par le biais d’une nouvelle chaîne de télévision privée, dont il est en train d’ériger le siège sur la plus haute colline de Bamako.

Sabine Cessou
Chronologie d’une crise
12 mai 2002
: dix ans après l’avènement de la démocratie, Amadou Toumani Touré est élu succédant à Alpha Oumar Konaré.
Février-mars 2003 : premier enlèvement d’une vingtaine d’otages européens au sud de l’Algérie ensuite emmenés au Mali, revendiqué par le Groupe salafiste de prédication et de combat (GSPC) – rebaptisé Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) en 2007.
20 octobre 2011 : mort de Muammar Kadhafi, le chef de l’État libyen, allié et mécène du Mali.
décembre 2011 : formation du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), la cinquième rébellion touarègue depuis l’indépendance.
24 janvier 2012 : massacre de 70 militaires maliens dans leur caserne d’Aguelhok, localité proche de Kidal. Une attaque imputée par Bamako au MNLA et à Aqmi.
12 mars 2012 : coup d’État du capitaine Amadou Sanogo.
6 avril 2012 : proclamation de l’indépendance de l’Azawad, suivie en mai par l’éviction du MNLA des villes du Nord-Mali par les islamistes.
11 janvier 2013 : début de l’opération militaire française Serval avec le soutien d’une force ouest-africaine, la Mission internationale de soutien au Mali (Misma).
1er juillet 2013 : la Mission intégrée des Nations unies de soutien au Mali (Minusma), qui prévoit 12 600 hommes, prend le relais de Serval et de la Misma.
11 août 2013 : Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), 68 ans, ancien Premier ministre, remporte la présidentielle avec 77,61 % des voix.

L’armée impunie ?

Signe fort : la toute première mesure post-électorale au Mali, avant même l’annonce des résultats provisoires du second tour de la présidentielle, a consisté à promouvoir le capitaine putschiste Amadou Sanogo au grade de général. « Honteux », ont protesté des organisations de défense des droits de l’Homme. Le capitaine Sanogo, simple instructeur qui a fait tomber le président élu Amadou Toumani Touré (« ATT »), le 22 mars 2012, n’a pas seulement mis à mal la démocratie du Mali, considérée comme exemplaire. La realpolitik l’emportera-t-elle une fois de plus ? Pour éviter un nouveau putsch, Amadou Sanogo ne sera sans doute pas inquiété de si tôt – même si la Cour pénale internationale a ouvert une enquête au Mali dès le 16 janvier 2013 sur les crimes de guerre perpétrés sur tout le territoire par les différents groupes armés, armée régulière comprise. Il faudra sans doute un lobbying intense avant de voir des officiers répondre de leurs actes devant la justice : des exactions contre des supposés islamistes ou rebelles touaregs après la libération des villes du Nord, mais aussi la disparition de 21 militaires au camp militaire de Kati, après la répression d’une tentative de contre coup d’État menée le 30 avril 2012 par des bérets rouges, les membres de la garde présidentielle restés loyaux au président déchu ATT.

S.C.
Amnesty International

Source: Amnesty International

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