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Les humeurs de Facoh : La mort d’un dinosaure de la littérature et de la recherche au Mali

J’étais absent de Bamako quand décéda des suites d’une courte maladie Moussa Sow, un ami et un collaborateur de longue date. Par un coup de fil de Mamadi Dembélé, ancien directeur adjoint de l’Institut des Sciences Humaines (ISH) dans la nuit du jeudi 19 au 20 août 2021, j’eus la triste nouvelle du décès du docteur Moussa Sow, survenu probablement le jeudi et confié à la terre le vendredi 20 août 2021.

De sa vie antérieure, je ne sais rien sinon qu’il descendait d’une famille de pasteurs peuls des environs de Nioro du Sahel. Je l’avais aperçu au Lycée de Badalabougou en 1971 quand on passait le second bac, lui en série Philo-Lettres et moi en Philo-Langues. Quelques mois plus tard après notre réussite à ce barrage quasi infranchissable à l’époque, nous nous retrouvâmes à l’université de Lyon pour des études supérieures, lui en Lettres classiques et moi en langues pour servir d’interprète mais manifestement cette vocation n’était pas la mienne puisque je dus changer d’orientation pour aller vers l’Histoire et les Lettres modernes.

Je ne sais combien de temps cela prit, mais je retiens qu’après mon départ de Lyon en fin 1972 pour Dijon en Bourgogne, nous nous retrouvions fréquemment aux congrès de la Fédération des Etudiants d’Afrique noire en France (Feanf) et de l’Association des Etudiants et Stagiaires maliens en France (AESMF) à la cité universitaire Anthony de Paris. Les débats à cette époque étaient houleux entre les défenseurs de l’URSS accusée de révisionnisme et la Chine Populaire considérée comme phare de la révolution prolétarienne annoncée par Marx et Lénine, mais Moussa à chaque fois délégué de Lyon, se montrait d’une clairvoyance lucide soulignant que dans cette bataille idéologique, il ne fallait pas oublier l’Afrique pour laquelle on débattait.

Fatigué de la vie française et des cartes de séjour de Valéry Giscard D’Estaing, je rentrai en 1980 avec un DEA en Histoire que je monnayais plus tard en thèse de doctorat à l’Institut Supérieur de Formation et de Recherche Appliquée (Isfra) de Bamako, et Moussa Sow en 1981 avec un doctorat de 3è cycle en sémiologie, terme qu’il était le seul à bien définir à cette époque.

Nous nous retrouvâmes de nouveau à l’Institut des Sciences Humaines comme chercheurs entre 1981 et 1982 et depuis cette date nos deux destins ne se quittèrent plus. Tour à tour chef du département des traditions orales, puis de la linguistique et des traditions orales de cet institut, il fit de son mieux pour tirer ce terrain vers le haut au moment où l’on le confondait avec le folklore. Puis, vu sa compétence, il devient directeur adjoint de l’ISH de 1985 à 1991. Mais après les évènements de Mars 1991, Moussa Sow fut nommé directeur de cabinet au ministère de l’Information et des Télécommunications, puis à celui du ministère de la Culture et de l’Artisanat qu’il quitta pour se consacrer pleinement à la recherche scientifique sa vocation première.

Il travailla sur beaucoup de programmes de recherche de l’ISH, mais j’eus à collaborer de près avec lui sur 2: le Sosso et les chefferies périphériques de l’Etat de Ségou aux XVIIè et XVIIIè siècles. Dans chacun de ces programmes, fidèle à lui-même, il se dévoile comme un monstre du terrain sans pitié non seulement pour lui-même, mais également pour les membres de son équipe. Cette rigueur n’était pas de la méchanceté mais plutôt une réponse à une conviction enfoncée en lui et qui lui dictait que l’argent public devait être utilisé pour des résultats tangibles et non pour des activités de villégiature. D’un rationalisme à fleur de peau, il songeait souvent à la mort mais comme Voltaire, se disait que tant qu’elle n’est pas là, il ne fallait pas y songer et faire des choses utiles à la société. J.J. Rousseau ne lui déplaisait pas mais il le décrivait comme un grand rêveur dont les idées sur la société européenne du moment seraient reconnues plus tard.

Mais quelque part, il était écrit que Moussa Sow ne mangera pas le couscous au lait frais de jeudi à vendredi 2021 qu’il aimait tant, pour raison de fin d’étoile. Ainsi que dans Batouala de René Maran, la tristesse et la résignation se lisaient sur tous les visages des gens présents à son enterrement, selon plusieurs témoignages. En lui, le Mali perd certainement l’un de ses plus brillants cerveaux des lettres et de la recherche en sciences sociales.

Facoh Donki Diarra

écrivain Konibabougouact

Source: Mali Tribune

 

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