Face aux conséquences multiples de la crise sécuritaire, le monde du tourisme a dû se réinventer. Avec l’arrivée des terroristes dans la Région, les attaques et les pillages empêchent les touristes de venir visiter Tombouctou. Guides touristiques, hôteliers et artisans ont donc vu leurs activités connaître un arrêt brutal. Pour eux, le monde s’effondre.
Mais force est de reconnaître que la capacité de résilience de nos compatriotes est énorme. L’on se relève toujours des soubresauts. C’est le cas des guides qui ont rapidement changé de métier. Certains ont vite fait de quitter Tombouctou pour la capitale. D’autres ont fait le choix de rester sur zone, auprès de leur famille, en créant de nouvelles entreprises.
Dimanche, jour férié, les ruelles de la vieille cité sont presque désertes. Pourtant, le temps est bien clément. Depuis trois jours, des nuages couvrent le ciel. Mais la pluie se fait désirer. Mohamed Aly Yattara fut l’un des guides les plus appréciés de la Cité Mystérieuse lorsque les affaires tournaient en plein régime.
«Bagna», son sobriquet, est déjà assis sous les arbres, les jambes croisées. Il supervise les travaux de finition d’un bâtiment en cours de réfection sur l’artère principale non loin du camp militaire et de la célèbre mosquée de Djingarey ber construite entre 1325 et 1327 sous le règne de l’empereur Kankou Moussa.
L’ancien guide explique qu’après l’éclatement de la crise, ce fut la débandade. «Chacun a pris son chemin», dit-il. Lui, son chemin l’a conduit au transport. «Je loue mes véhicules aux ONGs et quelques particuliers», poursuit le guide touristique reconverti en transporteur.
DIFFICILE RECONVERSION. «Au début, ce n’était pas facile. Changer ton métier pour un autre boulot, c’est loin d’être facile. On n’a pas le choix. Soit tu deviens combattant soit voleur. C’est pourquoi, j’ai opté pour la location des véhicules, pinasses et l’hébergement des délégations», explique Mohamed Ali Yattara. Ce nouveau métier lui a bien réussi. «Je gagne bien ma vie avec mes activités. Les Touaregs et les Arabes font la même chose», dit-il.
Mais tous les guides, hélas, n’ont pas eu cette chance. La crise a fini par les ruiner. «Ils ont tout vendu !», glisse à voix basse un enseignant du lycée.
Avant la crise, l’ancien guide touristique pouvait empocher jusqu’à 500.000 Fcfa par jour. En plus de ses services de guide, il louait ses véhicules. Sans compter les généreux pourboires que lui laissaient les clients en fin de séjour. «En 2010 encore, nous étions plus de 100 jeunes à pratiquer le métier de guide touristique», se souvient Mohamed qui assure que tous gagnaient dignement leur vie. «Les 90 % sont partis. Mais la plupart sont revenus en famille. Ils ne font absolument rien», regrette l’ancien guide touristique.
Il y a toujours un Dieu pour les pauvres. Les anciens collègues de Mohamed Ali sont dans la nature. Ils ont fini par se rendre à l’évidence que «les périodes fastes du tourisme à Tombouctou ne reviennent pas de sitôt».
Selon notre interlocuteur, la situation est bien pire à Mopti. «Je suis en contact avec les guides de là-bas. Ils croisent les doigts et prient toujours pour que cette situation change. Chez nous, les Touaregs qui étaient les chameliers rasent les murs parce que les chameaux ne sont plus rentables. Or, ils n’ont pas d’autres métiers», explique-t-il, la mine serrée.
Devant l’adversité, Mohamed est déterminé à livrer bataille pour garder son honneur et satisfaire les besoins de sa famille en attendant un lendemain meilleur. Nostalgique du «bon moment du tourisme», Mohamed est plutôt fataliste. «C’est entre les mains de Dieu», se console-t-il. C’est le même sentiment chez une dizaine de guides touristiques rassemblés, comme tous les soirs, devant l’hôtel Bouctou, derrière le lycée, juste avant le canal de Kadhafi.
Ils «tuent» le temps en se remémorant l’époque où les touristes venaient des quatre coins de la terre pour visiter les sites touristiques de Tombouctou, acheter des objets artisanaux, goûter sa gastronomie et monter les chameaux. «Que de petits métiers ça et là. Que Dieu nous vienne en aide. Ça galère grave !», implore l’un d’entre eux, accoudé, fumant une mèche de cigarette, la dernière du paquet. Dans tous les cas, Dieu voit chaque moineau qui tombe du ciel.
A. C
Source : L’ESSOR