« Pour agir sur l’accélérateur de l’émergence à travers l’intégration économique transfrontalière, il appartient aux africains eux-mêmes de prendre à bras-le-corps leur destin en main et non quémander avec insistance auprès de l’occident ».
Dans le contexte actuel de mondialisation entraînant une nouvelle donne internationale sous une crise de développement sans précédent en Afrique et plus particulièrement dans la zone Afrique francophone, l’intégration économique transfrontalière par le bas est l’une des conditions sine qua non pour l’atteinte de l’émergence. L’intégration économique transfrontalière par le bas consiste à créer un environnement économique propice au développement des échanges commerciaux entre les villes/cercles frontaliers dans l’optique de créer de la richesse. Elle n’est pas une fin en soi ; elle devrait plutôt être construite sur le long terme dans l’objectif d’une amélioration continue du climat des affaires et le renforcement du commerce. En effet, l’intégration économique classique vers le haut semble déjà àbout de souffle. Puisque, la fragmentation de l’Afrique fait que les pays ne commercent pas assez entre eux. Il n’y a que 13% des échanges commerciaux entre pays africains, 50% entre pays asiatiques et 80% entre pays européens. Il faut repenser la nomenclature de notre commerce afin de générer des revenus durables. Il faut une réelle prise de conscience pour inverser la tendance grâce à un plan commun de commerce africain appuyé par des investissements communs. De plus, la corruption sur les routes et la mauvaise gestion des barrières douanières freinent le bon fonctionnement du commerce transfrontalier. Par exemple, entre le Rwanda et le Congo brazaville, il y a deux heures de route mais une absence totale de produits qui traversent les frontières entre ces deux pays. Les produits locaux ne couvrent pas la totalité des besoins. Les produits finis ne génèrent pas de valeur ajoutée. Le peu qui est transformé ne compense pas les importations, àcause des coûts de production prohibitifs. L’énergie est couteuse et pèse beaucoup sur la transformation des produits. Il faut de la volontépolitique, c’est ce qui manque en Afrique. Néanmoins, il y a de bonnes initiatives dans certains pays comme le Bénin avec le projet« Songhai » qui pourrait s’étendre dans d’autres pays d’Afrique francophone. L’enjeux étant de développer la production endogène dans l’objectif de consommer sur place et de multiplier les échanges commerciaux entre territoires frontaliers, qui auront par la suite des effets d’entraînement sur les autres territoires nationaux.
Face à cette situation, l’intégration économique transfrontalière par le bas pourrait accélérer les échanges commerciaux entre territoires afin de créer une croissance durable pour l’atteinte de l’émergence à l’horizon 2035.
Placer les territoires au coeur du processus d’intégration économique transfrontalière par le bas
Depuis plusieurs années, les pays d’Afrique francophone sont engagés dans une politique d’intégration économique régionale par le haut àl’instar par exemple de l’UEMOA ou de la CEDEAO. Cependant, malgré des efforts, l’Afrique n’arrive toujours pas à foisonner une véritable intégration économique tournée vers l’émergence. Puisque, les différentes initiatives avançant dans ce sens n’ont pas apporté les résultats escomptés. Les politiques actuelles menées par les dirigeants africains pour exalter l’intégration économique par le haut tardent à se consolider. En effet, elles ne tiennent pas compte du développement des territoires. C’est pourquoi il faut la mise en place de l’intégrationéconomique transfrontalière par le bas qui tient compte des spécificités et avantages comparatifs des territoires. Dans ce contexte, comment placer les territoires au coeur du processus d’intégration économique transfrontalière par le bas ? En créant des synergies entre villes frontalières dans un contexte de décentralisation et en se focalisant sur leurs avantages comparatifs ?
L’intégration économique régionale classique par le haut a exhibé ses limites depuis plusieurs années. Il revient donc aux pays d’Afrique francophone de prendre conscience et d’intensifier leurs efforts pour la mise en place de l’intégration économique transfrontalière par le bas. Il s’agit de remettre les populations au coeur d’une dynamique économique transfrontalière. Autrement dit, concevoir et intensifier les coopérations économiques bilatérales entre les territoires transfrontaliers qui ont des spécificités culturelles et des valeurs ancestrales communes. Pour cela, chaque région doit définir sa politique économique en fonction de ses spécificités et de ses avantages comparatifs. Par exemple, « Kadiolo » qui est un cercle situé à 100 km au sud de Sikasso (3ème région du Mali), fait frontière avec la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Sa situation géographique fait de lui un village carrefour par excellence. L’économie locale est très développée. Les femmes sont dynamiques dans la transformation des produits agricoles locaux (coton, néré, karité, etc.). Dans ce cas, pour développer un environnement économique propice aux échanges commerciaux avec le voisin ivoirien «Toumoukoro » à seulement 35 km, « Kadiolo » n’a aucun intérêt de cultiver les mêmes produits que ce dernier étant spécialisé dans des cultures comme le sorgho, anacarde, cajou, soja, haricots, ignames, manioc etc. Les deux villes doivent définir leurs avantages comparatifs pour que le commerce soit source de création de surplus de richesses. Les conditions sont donc réunies pour ces deux villes pour réaliser du commerce profitable. Nous souligneronségalement que les ethnies qui vivent dans ces deux villes frontalières sont fortement attachés aux valeurs ancestrales. Pour définir les avantages comparatifs des territoires, il est nécessaire de porter l’attention sur trois étapes importantes. La première est relative à la définition et la mise en place des politiques économiques de spécialisation et de diversification de la production au niveau local. Dans cette optique, les Etats doivent jouer un rôle important afin de rendre autonome chaque région tant dans les ressources financières que humaines. La deuxième étape consiste à créer un environnement économique propice aux échanges commerciaux. Ainsi, chaque région doit mettre en place un marché territorial reconnu par tout le monde y compris le voisin transfrontalier. Sur ce marché, la production locale est mise en valeur grâce au label de la région. Enfin, la troisième étape est relative à la mise en place de la Taxe Economique Régionale (TER). Il s’agit d’une taxe partielle (temporaire ?) appliquée à l’intérieur d’un pays sur la production communale/régionale (zones rurales) en destination de la capitale nationale (ou les grandes zones urbaines). Cette taxe permettra de financer une partie des mesures prises àl’échelle régionale et de réduire les inégalités.
Cette vision nouvelle de l’intégration économique transfrontalière par le bas grâce à la promotion des territoires et des régions frontalières devrait s’inscrire dans le processus actuel de décentralisation/régionalisation lancé par les pays d’Afrique francophone. Dans cette lancée, il y a une nécessité pour les pays d’Afrique francophone de replacer le territoire au cœur de l’intégration économique frontalière par le bas. Les pays d’Afrique francophones connaissent de véritables dynamiques territoriales portées par différents acteurs frontaliers. Ces dynamiques sont de plus en plus significatives entre villes frontalières. Les populations transfrontalières ont très souvent des cultures communes, des valeurs ancestrales qui se rapprochent, des valeurs religieuses identiques etc. Cela favorise les échanges commerciaux et permet de créer un environnement économique durable. Ainsi, il faut élargir les marchés temporaires ou hebdomadaires et même de les rendre permanents. Dans les pays d’Afrique francophone, ces marchés sont communément appelé « loumo » depuis les années 1980. Ils sont donc de véritables atouts pour le développement local et la promotion de l’intégration économique transfrontalière par le bas.
Bien que la détermination des avantages comparatifs est importante, les territoires doivent aussi aviver leur coopération sur les axes communs tant au niveau des ressources naturelles, de la production ou de l’organisation du travail spécifique/ancestrale. Cela permettra de fortifier la dynamique économique régionale. Un des leviers du développement et de l’intégration est la coopération. Que chaque territoirese différencie, c’est bien, mais ils doivent aussi s’épauler mutuellement afin d’améliorer leurs productions. Ainsi, les coopérations entre villes frontalières permettront d’assurer le financement de nouvelles infrastructures routières, condition sine qua non pour le développement du commerce transfrontalier. Sur les plans nationaux, les Etats doivent consolider leur processus de décentralisation en finançant la construction des grands axes routiers entre régions frontalières. La Guinée et le Sénégal qui sont frontaliers pourraient partager les coûts d’infrastructures routières reliant deux zones géographiques profitables potentiellement au deux pays. Il faut donc de l’engagement et de la volonté pour les pays d’Afrique francophone. Le développement des infrastructures tels que les centres de santé et hôpitaux font l’objet d’une utilisation transfrontalière. Les populations traversent les frontières entre pays voisins dans l’objectif de se faire soigner dans l’hôpital le moins éloigné. Cela permet de tisser des relations entre différentes communautés. Si les liens entre communes et villes frontalières sont forts, le social transcendera les incartades politico-économiques. De plus, Il faut que les maires et les préfets des villes multiplient les efforts pour chercher les financements auprès des Etats, banques. Ils doivent avoir la capacité de réfléchir et d’élaborer des stratégies afin de trouver de nouvelles sources de financement. Par exemple, l’octroi de microcrédits aux agriculteurs sur des échéances plausibles et sans une contrepartie nébuleuse.
En somme, il faut créer un environnement économique propice aux échanges commerciaux entre différents territoires transfrontaliers sur la base de la détermination des avantages comparatifs, de la diversification de la production locale et la prise en compte des valeurs ancestrales communes fondées sur des liens sociaux et culturels. De plus, la décentralisation amorcée depuis quelques années, pourraitêtre une opportunité pour tisser de nouvelles coopérations bilatérales. L’intégration économique transfrontalière doit s’émerger par le bas et non par le haut. Si ces mesures sont effectives, les pays d’Afrique francophone feront un grand pas vers l’émergence à l’horizon 2035.
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Amadou SY
Consultant en Diagnostic Economique et Financier auprès des comités d’entreprise/comité de Groupe Européen, membre du Centre d’Etudes et de Réflexion du Mali (CERM), de l’Union des Fédéralistes Africains (UFA) et de l’Association Afrique des Idées. Amadou SY est diplômé en Finance d’Entreprise à l’Université de Tunis, en Economie à l’Université de Tours, en Contrôle de Gestion à l’Ecole Supérieure des Pays de la Loire à Angers et en Diagnostic Economique d’Entreprise à l’Université de Grenoble. Il a publié de nombreux articles sur l’Afrique en général et le Mali en particulier. Son dernier article: « Quelles pistes pour repenser le système éducatif en Afrique francophone? »
La rédaction