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Le vœu oublié de la première équipe professionnelle cycliste africaine

Douglas Ryder, son premier manager, promettait de faire monter en gamme des cyclistes africains. Depuis 2014, son équipe n’est même plus au Tour du Gabon.

Par notre envoyé spécial à Port-Gentil, Gautier Demouveaux

La sixième étape de la Tropicale, un circuit dans les rues de Port-Gentil, la capitale économique du Gabon, s’est une nouvelle fois conclue par une arrivée au sprint. Pour la seconde fois de la semaine, c’est le jeune Érythréen Biniam Hailu, professionnel dans l’équipe Nippo-Delko-Provence, qui s’impose, devant Yacine Hamza (Algérie) et Attilio Viviani (Cofidis). Le maillot jaune de leader est toujours accroché aux épaules d’un autre Érythréen, Natnael Tesfazion, qui conserve sa tunique pour une petite seconde sur le Français Jordan Levasseur (Natura4Ever-Roubaix LM). Le jeune coureur de la sélection nationale érythréenne a été recruté l’an dernier par l’équipe réserve de la formation Dimension Data (première division professionnelle), qui a pris le nom du nouveau sponsor, NTT, en 2020. Tesfazion a été rejoint cette saison par son compatriote Henok Mulueberhan. Ces deux coureurs sont bien présents sur la Tropicale Amissa Bongo, mais dans leur sélection nationale. Car leur équipe n’a jamais remis les pieds sur le Tour du Gabon depuis 2014. « Ce n’est pas faute de les inviter chaque année, avoue, dépité, Philippe Crépel, le directeur sportif de l’épreuve. Je trouve dommage qu’une équipe qui se revendique comme africaine ne participe pas à l’une des plus grandes courses du continent. Même son équipe réserve ne souhaite pas courir ici… »

Un projet ambitieux à l’origine

Pourtant, à ses débuts, l’équipe sud-africaine ne boudait pas sa participation à la Tropicale. Elle a été présente de 2008 à 2014, au moment où l’équipe était encore confidentielle, les organisateurs de l’épreuve gabonaise ayant été les premiers à lui tendre la main et à permettre ainsi à ses coureurs de se confronter à l’élite européenne. Créée en 1998 en Afrique du Sud par Douglas Ryder, coureur et à la fois propriétaire de cette petite équipe baptisée alors Lotus puis Microsoft, la formation sort de son anonymat et de ses frontières en 2007 avec l’arrivée d’un sponsor plus important : MTN, l’un des plus importants opérateurs téléphoniques en Afrique et au Moyen-Orient. Peu à peu, le manager de l’équipe commence à rêver de participer aux plus grandes courses du monde. Son idée : créer une structure professionnelle de haut niveau composée majoritairement de coureurs africains. En 2011, l’équipe s’associe à la fondation Qhubeka, une association caritative qui vient en aide aux enfants d’Afrique en leur offrant des vélos. EN 2013, MTN-Qhubeka décroche une licence continentale professionnelle (deuxième division), lui permettant d’accéder au haut niveau.

Cette année-là, l’équipe – composée en majorité de coureurs du continent, originaires notamment d’Afrique du Sud, mais aussi d’Érythrée, d’Éthiopie, du Rwanda et d’Algérie – s’était renforcée avec quelques athlètes européens. À l’époque, Douglas Ryder déclarait à nos confrères de RFI : « C’est une chose unique et 70 % des coureurs sont issus de notre continent. Nous allons courir en Europe, mais aussi en Malaisie, en Turquie, en Chine ou encore aux États-Unis. Nous allons donc pouvoir donner de la visibilité à l’Afrique. »

Un vœu oublié au fil des années

Avec cette équipe cosmopolite et unique au monde, le manager de MTN-Qhubeka avait une seule idée en tête : convaincre les organisateurs du Tour de France. En 2015, l’équipe sud-africaine crée l’événement en décrochant son invitation. Douglas Ryder promet alors à Christian Prudhomme, le directeur de la Grande Boucle, que sa formation alignera un effectif composé à 50 % d’Africains. Ce fut bien le cas la première année, mais, depuis, on est loin du compte. « J’ai l’impression que monsieur Ryder s’est un peu servi de la Tropicale pour arriver à ses fins », regrette Philippe Crépel. En effet, depuis que l’équipe MTN-Qhubeka a décroché sa place sur le Tour de France, elle n’est plus jamais revenue au Gabon. Pire, au fil des années, l’effectif a perdu cette coloration africaine. MTN a été remplacée par une autre société sud-africaine, Dimension Data, entre 2016 et 2019 ; cette dernière vient d’être rachetée par une multinationale japonaise, NTT (Nippon Telegraph and Telephone). La formation World Tour ne compte plus cette année que sept coureurs du continent sur vingt-neuf éléments (six Sud-Africains, mais un seul coureur d’Afrique subsaharienne, l’Érythréen Amanuel Gebrezgabihier. Dans l’équipe réserve, la représentativité de l’Afrique est un peu plus équilibrée, avec cinq coureurs issus du continent sur un total de onze athlètes. Mais cela ne devrait sans doute pas s’arranger, sachant que le Danois Bjarne Riis a racheté l’équipe à Douglas Ryder il y a quelques jours…

Une avancée malgré tout

À la grande époque, l’équipe Dimension Data avait recruté les meilleurs coureurs africains du moment, au premier rang desquels Daniel Teklehaimanot, premier Noir africain à participer au Tour de France. Mais aussi Natnael Berhane, Youcef Reguigui ou Mekseb Debesay, tous les trois encore professionnels et présents sur cette 15e édition de la Tropicale Amissa Bongo. Et tous le reconnaissent, l’équipe de Douglas Ryder a été bénéfique au cyclisme africain. « L’équipe MTN-Qhubeka a apporté beaucoup au continent. Jusque-là, c’était très compliqué pour un Africain de passer professionnel, raconte Youcef Reguigui. Malgré nos capacités, les contrats ne venaient pas. Maintenant, c’est un peu différent ! » Pourtant, certaines des meilleures équipes professionnelles n’ont pas attendu Douglas Ryder pour faire signer des coureurs africains. Ce fut le cas d’Orica-GreenEdge avec Daniel Teklehaimanot en 2012 ou d’Europcar avec Natnael Berhane un an plus tard. Et d’autres équipes s’y sont mises, comme Nippo-Delko-Provence, qui repère ses futures recrues sur la Tropicale. Il y a deux ans, elle avait embauché le Rwandais Joseph Areruya pour deux saisons, après sa victoire au Gabon. Cette année, c’est avec la révélation de l’an dernier, l’Érythréen Biniam Hailu, 20 ans, que l’équipe française a fait le déplacement. Et cela lui réussit plutôt bien puisque son jeune coureur a remporté ce 25 janvier sa deuxième victoire d’une saison qui ne fait que commencer.

Le Point

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