Au Mali, l’hivernage est là depuis un bon bout de temps. Si dans plusieurs parties du pays les paysans sont déjà à la tâche, ceux du Centre craignent l’insécurité, et les cultures sont en retard.
A Mopti ou à Ségou, les populations ont peur. L’insécurité a pris ces derniers mois une proportion inquiétante. Qu’ils soient peuls ou dogons, les village sont pillés, incendiés, les greniers éventrés, le bétail emporté.
Pour des raisons de sécurité, les survivants ont tous été obligés de trouver refuge dans les villes, abandonnant leurs champs. Avec l’hivernage, ces paysans souhaitent une seule chose : retourner dans leur village ou hameau de culture, mais la peur les en empêche.
« Je viens de Bankass. Si ce n’était pas la situation du pays, je serais à l’heure actuelle dans mon champ. J’ai vraiment envie de rentrer pour cultiver mais je crains pour ma vie », m’a déclaré Ali Diallo, un déplacé que j’ai rencontré à Bamako.
Retard dans les travaux champêtres
Cultiver un champ est un processus composé de plusieurs étapes. A l’approche de la saison des pluies, les villageois partent au champ pour le débroussailler. Pour avoir un champ propre à l’ensemencement, il faut en amont enlever les arbustes inutiles et tous les détritus qui s’y trouvent. Il arrive souvent à ces populations, en ce moment même, d’agrandir leur champ aux prochaines semailles. Ils le faisaient spontanément dans la quiétude et se rendaient à la maison vers le soir.
Cette étape importante dans la réussite de la saison agricole se faisait deux semaines avant les premières pluies. « Pour raison d’insécurité, cette étape cruciale n’a pas encore eu lieu. Donc, un gros retard est accusé », ajoute Ali, déçu et anxieux.
Inquiétude
Dans sa revue de mars 2019, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) estime à plus de 3 244 417 le nombre de personnes en insécurité alimentaire et nutritionnelle au Mali, dont 323 682 en phase d’urgence. Ce chiffre s’explique par la mauvaise campagne agricole et la crise sécuritaire qui sévit dans le Centre.
Cela me donne froid dans le dos, car avec l’expansion du conflit dans les cercles qui n’étaient pas encore touchés, cela saute aux yeux que la situation ne va pas s’arranger.
En effet, le Centre qui, à travers des cercles comme le mien, Bandiagara, contribuait à la sécurité alimentaire via ses terres cultivables est désormais également en situation de difficulté. Mon cercle n’avait jamais connu une saison des pluies sans culture. Malheureusement, c’est le cas cette année. Ailleurs, à Mondoro, dans le cercle de Douentza, ce sont une dizaine de personnes qui sont mortes de faim la semaine dernière.
L’Etat défaillant
Ayant comme aliment de base le mil, les populations crient à l’aide. Elles sollicitent auprès du gouvernement le retour de l’administration et avec elle la sécurité. Pour mon oncle, Tégué Kéné, l’État doit s’assumer : « Lors de la dissolution de la milice Dana-amassagou, le Premier ministre de l’époque Soumeylou Boubeye Maïga, dans une déclaration, disait que nul n’avait le droit d’avoir le contrôle du territoire national si ce n’est l’État. Avec la présence de plusieurs milices, même avec une bonne pluviométrie, il sera impossible de semer. » Dans sa voix respirait la déception.
Pour plusieurs autres chefs de famille, à l’exemple de mon oncle, il n’y a rien faire. Le spectre de la famine plane déjà. La faible présence de l’État dans les régions du Nord et du Centre en proie à l’insécurité contribue à fragiliser ces zones et à exposer les populations locales. Il urge pour l’État et ses partenaires d’engager des actions d’envergure pour venir en aide à ces populations affectées par le conflit et les violences. La distribution gratuite de vivres, qui y a eu lieu au début du mois est déjà beaucoup, mais cela ne suffit pas.