Les crises successives depuis le début de la pandémie de Covid-19 font planer une menace sur l’économie mondiale. Quelles sont les perspectives économiques mondiales, post-Covid-19 en 2023 ? Quel rôle en ce moment pour les politiques économiques (fiscale et monétaire) dans la relance économique et la stabilité financière ? Modibo Mao Makalou, économiste, ancien conseiller pour les affaires économiques et financières de la présidence du Mali, etc. répond à nos questions. Entretien.
Mali Tribune : Quelles sont les perspectives économiques mondiales, post-Covid-19 en 2023 ? Quel rôle en ce moment pour les politiques économiques (fiscale et monétaire) dans la relance économique et la stabilité financière ?
Modibo Mao Makalou : Selon ses prévisions de croissance mondiale, l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) qui regroupe les pays les plus industrialisés du monde a annoncé le vendredi 17 mars 2023 une reprise timide mais fragile suite à la baisse de l’inflation, la réouverture de la Chine, mais aussi quelques difficultés rencontrées par certaines banques. Ainsi, elle prévoit désormais une croissance mondiale de 2,6 % pour 2023 et 2,9 % pour 2024, selon ses perspectives économiques intermédiaires. Selon l’OCDE, dans les pays du G20 qui représentent quelque 85 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, la hausse des prix devrait décroître, passant de 8,1 % en 2022 à 4,5 % en 2024, prévoit une “amélioration progressive” de la situation économique générale en 2023 et en 2024. La croissance mondiale devrait aussi bénéficier de la réouverture complète de la Chine suite à la fin de la politique zéro Covid-19 dont l’activité devrait hausser en 2023 à 5,1 % selon les autorités chinoises.
Mali Tribune : Le fait que des pays et des zones économiques régionales se recentrent sur elles-mêmes ne va-t-elle pas affecter la croissance ?
M. M. M. : La fragmentation géopolitique risque d’affecter négativement le commerce mondial et le multilatéralisme. La résurgence de la Covid-19 et la guerre en Ukraine continueront à impacter l’économie mondiale en impactant l’offre mondiale de gaz, de pétrole, d’hydrocarbures, de céréales et d’intrants agricoles. Ainsi, l’inflation pourrait demeurer élevée et une hausse des taux d’intérêt pourrait renchérir le coût du crédit et détériorer les conditions financières mondiales en créant le surendettement surtout dans les pays émergents et les pays en développement. Aussi, la hausse des prix des denrées alimentaires, des transports et de l’énergie pourrait renforcer les inégalités sociales surtout dans les pays à revenu faible où une partie importante du revenu est consacrée à l’alimentation.
Mali Tribune : Est-il possible que notre zone ressente la reprise économique ?
M.M. M. : Les banques centrales continuent à relever les taux d’intérêt pour combattre l’inflation, durcissant ainsi les conditions financières surtout pour les pays non industrialisés. Les pays doivent utiliser les outils macro prudentiels à bon escient pour protéger la stabilité financière. Lorsque la flexibilité des taux de change ne suffit pas à absorber les chocs externes, les décideurs doivent être prêts à intervenir sur le marché des changes ou à prendre des mesures de gestion des flux de capitaux dans un scénario de crise. Ces difficultés surviennent à un moment où de nombreux pays ne disposent pas de marge de manœuvre budgétaire et où 60 % des pays à faible revenu présentent un risque élevé de surendettement ou sont déjà en situation de surendettement, contre 20 % environ il y a dix ans. La hausse du coût de l’emprunt, la diminution des flux de crédit, le renforcement du dollar et l’affaiblissement de la croissance mettront davantage encore de personnes en difficulté.
Mali Tribune : Quel rôle en ce moment pour les politiques économiques (fiscale et monétaire) dans la relance économique et la stabilité financière ?
M M. M. : Un soutien budgétaire ciblé peut contribuer à amortir l’effet de l’inflation sur les couches les plus vulnérables de la population et permettre aux gouvernements d’effectuer des dépenses budgétaires urgentes. Mais devant des budgets publics déjà obérés par la pandémie et la nécessité d’adopter une politique macroéconomique prudente, tout soutien budgétaire devrait être compensé par une hausse des impôts ou une baisse des dépenses publiques afin de veiller à ce que la politique budgétaire n’entrave pas le fonctionnement de la politique monétaire. Les banques centrales des Etats-Unis, de la Suisse, du Canada, d’Angleterre, du Japon et de la Banque centrale européenne (BCE) ont annoncé le dimanche 19 mars 2023 par un communiqué une action coordonnée pour améliorer l’accès aux liquidités pour rassurer les marchés en pleine crise de confiance dans le système bancaire et financier suite aux difficultés financières de la Silicon Valley Bank aux USA et Crédit Suisse. La mesure exceptionnelle intervient juste après le rachat du Crédit Suisse, la deuxième banque suisse par l’Union des banques suisses (UBS) la plus importante banque suisse. Cette acquisition a été orchestrée par le gouvernement suisse pour rétablir la confiance dans le système financier après un renflouement de Crédit Suisse par la BCE à hauteur de 50 milliards d’euros. Les institutions monétaires ont décidé de renforcer les “lignes de swap”, un dispositif qui facilite l’accès de banques centrales étrangères aux dollars.
Mali Tribune : Que faut-il pour une croissance durable ?
M.M. M. : L’économie n’est pas à l’abri d’une récession mondiale, deux ans seulement après celle causée par la pandémie sanitaire de la Covid-19. Il sera essentiel de rétablir la coopération multilatérale (commerce, investissements, changement climatique, pandémies, sécurité alimentaire et le surendettement). Alors que les défis et les troubles sont considérables, une coopération multilatérale renforcée demeure le meilleur moyen de faire face aux défis mondiaux, d’améliorer les perspectives économiques et réduire la fragmentation économique et sociale dans le monde.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane
Source : Mali Tribune