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Le Procureur de Niamey, Chaïdou Moussa : «Nous avons posé des actes historiques avec la poursuite des hautes personnalités en activité»

Chaïdou Moussa est le Procureur de la République près le Tribunal de Grande instance hors-classe de Niamey. Recevant  le mercredi 8 juin 2022, au siège de sa juridiction, un groupe de journalistes africains, le magistrat-parquetier s’est prêté volontiers aux questions relatives à la gestion de ses dossiers, l’indépendance de la justice, la lutte contre la corruption, etc. Entretien !

 

Quelle est votre vision de la publicité des dossiers judiciaires ?

C’est une question assez délicate. La justice d’une manière générale, l’instruction de façon particulière est couverte par le sceau du secret. On gère l’honneur, la dignité de personnes…. L’autre aspect qu’il faut voir est que la justice est rendue au nom du peuple, donc il a le droit de savoir ce qui se passe.

Il faut savoir naviguer entre les deux exigences. C’est la raison pour laquelle nous invitons les journalistes de la presse privée comme de l’Etat pour leur donner l’essentiel sur des dossiers sensibles sans heurter le sacro – saint principe de la présomption d’innocence, sans mettre en cause l’honneur et la dignité des gens…..

Nous communiquons chaque fois qu’il y a un dossier sensible, parce que le peuple a besoin de la vérité. En démocratie, il faut expliquer au peuple ce qui se passe… Je pense que la communication fait partie du pilier de l’accessibilité de la justice à la population.

Quels sont les éléments qui prouvent que votre justice est indépendante tant au niveau des textes que dans la pratique, c’est-à-dire votre rapport avec le pouvoir exécutif ?

Nous avons des textes qui garantissent l’indépendance des magistrats. Au-delà des textes, vous savez la question d’indépendance est une question de personne. À mon avis, quand un juge a un dossier, il doit tenir compte du contenu du dossier et l’apprécier en son âme et conscience, selon son intime conviction pour reprendre les points du code de procédure pénale.

Je suis du ministère public. Je dois avouer que le climat est réellement favorable à l’affirmation de l’indépendance de la justice… Des actes historiques ont été posés avec la poursuite de certaines personnalités en activité par la justice. Cela prouve à suffisance l’indépendance de la justice. Pour moi, nous ne subissons aucune pression, nous œuvrons seulement à ce que la justice joue véritablement son rôle dans l’édification de l’état de droit.

Que pensez-vous de l’affirmation selon laquelle la justice nigérienne est une justice molle qui ne s’intéresse pas aux dossiers emblématiques ?

La justice fait partie du renforcement de la vitalité de notre démocratie. Je souhaite que cette population aussi comprenne les conditions dans lesquelles nous travaillons. Nous travaillons sur la base des textes, sur des faits qui sont avérés. Ce n’est pas forcement ce que les gens pensent qui est dans le dossier. Le plus important pour nous est d’évoluer dans un environnement favorable à l’examen de tous les dossiers.

Il n’y a pas de tabou. Lorsque les conditions sont réunies pour que le dossier soit mis sur la table des magistrats, nous n’hésiterons pas à les traiter. La preuve : cette année un nombre important de dossiers a été introduit au niveau du Pôle économique et financier. Ces dossiers sont en train d’être instruits sans aucune pression.

Est-ce que vous avez un arsenal juridique pour lutter contre le terrorisme ?

Le Niger est fortement affecté par le terrorisme. Heureusement, nous disposons à la fois du cadre juridique et institutionnel qui nous permet de faire face de manière rigoureuse à ce crime.

Nous avons aussi des textes et des lois qui permettent de prendre en charge la question de la criminalité transnationale de manière globale et du terrorisme de manière particulière.

Nous avons des textes bien ficelés qui permettent de faire face au terrorisme. Du point de vue institutionnel, nous avons le Pôle judiciaire spécialisé animé à la fois par les magistrats du ministère public et du siège. Au niveau de la Cour d’appel, il y a un dispositif qui permet de prendre en charge la question du terrorisme. De ce point de vue je pense qu’on est bien parti, et tout le monde est d’accord que les cadres législatif et institutionnel sont mis en œuvre au Niger pour lutter contre le terrorisme. La judiciarisation de ce phénomène est bien appréciée tel que ça fonctionne au Niger.

Comment avancent les procédures concernant les personnalités sous  les verrous ?

Le dossier concernant plusieurs hauts cadres, connus sous le nom de dossier du trésor public, où il y a eu des sorties frauduleuses de sommes importantes est quasiment terminé.

Le dossier dans lequel est impliquée une haute personnalité est aussi en cours. Nous suivons de près l’évolution de l’instruction qui est ouverte à son encontre au niveau du cabinet d’instruction du Pôle économique et financier. Nous faisons en sorte que le dossier avance et soit traité dans un délai raisonnable….

C’est sur la base des faits présumés que nous avons enclenché cette procédure. Nous nous conformons rigoureusement aux textes… Il y a des indices graves et concordants voire des faits sur la base desquels nous  avons déclenché la procédure qui se déroule normalement. Pour nous, personne n’est au-dessus de la loi. Il faut bien que l’Etat de droit avance, que la moralisation soit vue de manière concrète par la population, que tout acte contraire à la bonne gouvernance soit identifié et châtié conformément aux lois de la république.

Quelle est la garantie d’une justice équitable dans le dossier des personnalités arrêtées ?

Au Niger, même les personnes de nationalité étrangère qui sont détenues sont traitées de manière juste et équitable. Les textes nous obligent à travailler dans ce cadre, nos devoirs de magistrats nous l’imposent. Les moyens de contrôle du fonctionnement de l’appareil judiciaire nous obligent aussi à faire en sorte que cette dynamique soit toujours observée. Ils ont des avocats qui suivent régulièrement les dossiers. Nous veillerons à ce que les choses se passent de manière correcte.

Ces dernières années, quelles ont été les reformes majeures pour renforcer l’arsenal judiciaire afin de garantir à l’appareil judiciaire toute son indépendance ?

C’est à l’épreuve de la pratique qu’on identifie les faiblesses pour faire des propositions mieux adaptées aux réalités actuelles. Nous avons de grands chantiers de reforme globale du Code de procédure pénale et du Code pénal.

Est-ce que le justiciable nigérien peut se défendre avec de faibles moyens ?

L’accès à la justice fait partie des priorités identifiées qui doivent être mises en œuvre dans le cas de l’amélioration du fonctionnement de l’appareil judiciaire. Nous avons un cadre institutionnel qui permet à la population d’aller facilement se défendre, d’accéder facilement au magistrat, de se faire entendre, plaider sa cause, de déposer toutes les requêtes et toutes les plaintes. Nous avons un arsenal qui permet de faire une assistance judiciaire à des populations qui n’ont pas de moyens. C’est ce qu’on appelle assistance judiciaire et juridique. On a même l’Agence nationale pour assistance judiciaire et juridique qui permet de prendre en charge les personnes en difficultés. Elle travaille avec le Barreau.

Quelle est la perception de la justice?

Ce qui est sûr : nous sommes ouverts. Nous recevons sans rendez-vous ni protocole. En s’ouvrant aux gens, on répond mieux à leurs préoccupations, à leurs aspirations…. Pour nous, la justice est essentielle dans un pays. Lorsque chacun pense qu’il a droit à la justice conformément aux règles applicables à son cas, c’est l’Etat de droit qui se renforce, c’est la paix sociale qui se renforce, c’est la confiance aux autorités qui se renforce. C’est en ce moment qu’on peut être fier de participer à l’édification d’un véritable Etat de droit. Ce qui fait partie des orientations qu’on a reçues, c’est-à-dire faire en sorte que la justice soit accessible à tout le monde, humaniser les conditions de détention dans tous les centres de détention, faire en sorte que les dossiers ne traînent pas.

Qu’est qui vous motive d’être procureur ?

Je n’ai pas choisi d’être procureur. Ça fait onze ans que je suis procureur sans discontinuité, 4 ans à Maradi, 6 ans à Zinder. J’ai toujours été heureux en exerçant cette fonction. Je reçois la population. Je la conseille parce que le procureur est là pour tout le monde. Le procureur est très proche de la population. Il est aussi informé de tout ce qui se passe dans la société. Il participe de manière active et concrète à l’œuvre d’édification de l’Etat de droit. La fonction du procureur est très passionnante lorsque vous bénéficiez d’un climat favorable.

Comment faire en sorte que le justiciable ne voit pas la justice comme un instrument de répression, mais plutôt comme un instrument qui est là pour ses droits et devoirs ? 

Nous sommes un pays assez immense avec une superficie 1 267 000 km2. Une population aussi qui augmente. Nous dépassons actuellement les 22 millions d’habitants. On tient compte de tout ça en essayant de faire en sorte que la justice couvre tout le pays. Nous avons régulièrement installé des juridictions dans chaque département, même dans ceux créés il y a deux ans de cela. Nous faisons en sorte que la justice soit la plus proche possible de la population.

Au niveau de Niamey, pour répondre à ce souci, on a créé les tribunaux communaux. On a cinq arrondissements communaux et chacun est doté d’un tribunal comprenant un Procureur, un juge d’instruction, un président de tribunal et même un substitut.

Nous faisons en sorte que la justice soit accessible. Nous renforçons en ressources humaines les juridictions qui nous semblent assez importantes compte tenu de la population.

La justice est fondamentale pour une société et pour l’Etat de droit. Nous ferons en sorte que tous les Nigériens aient accès à la justice.

Quelle place occupe la lutte contre la corruption dans votre agenda ?

La corruption, la dilapidation des fonds publics, la concussion font partie des priorités du parquet des Pôles économiques et financiers. Nous sommes dans la dynamique de faire en sorte que le caractère sacré de biens publics, la moralisation du fonctionnement des actions de la République et de l’administration de manière globale soient une réalité au Niger.

Pour cela, nous serons intransigeant et toujours fermes face à ce problème. Aucune tolérance ! Si nous avons des indices graves contre qui que ce soit, nous ferons tout pour que cette personne soit devant la justice.

Comment vous faites pour lutter contre la corruption au quotidien ?

Dans le contexte politique actuel, c’est la tolérance zéro contre tout acte de corruption, tout acte qui porte atteinte aux biens ou aux deniers publics. Il n’y a aucune entrave dans le combat que nous menons contre ce phénomène. Nous menons des actions. La société civile a le droit de dénoncer.  Tout citoyen a le droit de dénoncer auprès du procureur de la république ou d’autres autorités   compétentes.

Nous sommes bien déterminés à lutter contre ce phénomène parce que nous sommes convaincus que c’est le phénomène qui nous tire vers le bas. La corruption est contraire aux efforts de développement que nous déployons pour faire progresser notre société. Nous sommes véritablement déterminés à livrer un combat sans merci à tous ceux qui se livrent à cette pratique.

Propos transcris par

Chiaka Doumbia

Source : Le Challenger

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