Dans la salle Mandela du siège de l’Union africaine à Addis-Abeba, en Éthiopie, le discours prononcé par le Président américain Barack Obama, le 28 juillet 2015, sonne comme une forte interpellation, à la société civile africaine, et plus intensément aux leaders politiques et gouvernants africains. Les propos du Président ont été regroupés par thèmes : dignité et les droits de l’homme ; développement économique ; limitation des mandats ; corruption. Dans ses fonctions présidentielles, la relation de l’Amérique avec l’Afrique tient une place privilégiée. A lire !
Sur la dignité et les droits de l’homme
[…] La dignité, cette idée fondamentale selon laquelle par la vertu de notre humanité commune, quelle que soit notre origine ou notre apparence, nous naissons tous égaux, touchés par la grâce de Dieu ! Toute personne a une valeur. Toute personne est importante. Toute personne mérite d’être traitée avec décence et respect. Pendant une bonne partie de son histoire, l’humanité n’a pas pensé ainsi. La dignité était considérée comme un avantage réservéà ceux qui possédaient un rang et des privilèges, les rois et les anciens. Il a fallu une révolution de l’esprit, sur plusieurs siècles, pour que nos yeux s’ouvrent à la dignité de chacun. Et dans le monde entier, des générations se sont battues pour mettre cette idée en pratique à travers des lois et des institutions.
Ici aussi, en Afrique. Nous sommes dans le berceau de l’humanité et les antiques royaumes africains ont abrité de grandes bibliothèques et de grandes universités. Pourtant, le fléau de l’esclavage n’est pas seulement né à l’étranger, il a également des racines ici, sur le continent. Le colonialisme a dévoyé l’économie africaine et a volé aux populations leur capacité à se forger leur destin. Des mouvements de libération ont fini par se développer. Il y a cinquante ans, dans une immense flambée d’autodétermination, les Africains se sont réjouis de voir amenerles drapeaux étrangers tandis qu’étaient hissés vos drapeaux nationaux. Le Sud-Africain Albert Luthuli l’a déclaré à l’époque, « les fondements de la paix et de la fraternité en Afrique sont rétablis par la résurrection de la souveraineté nationale et de l’indépendance, de l’égalité et de la dignité de l’être humain ». […]
Nelson Mandela nous l’a appris, « être libre ce n’est pas simplement se libérer de ses chaînes, c’est vivre de manière à respecter et étendre la liberté d’autrui ». […]
Nous sommes tous égaux. Nous avons tous une valeur. Nous sommes tous importants. Et lorsque nous respectons la liberté des autres, indépendamment de leur couleur de peau, de leur façon de prier, de qui ils sont ou de qui ils aiment, nous sommes tous encore plus libres. Votre dignité dépend de la mienne, et ma dignité dépend de la vôtre. Imaginez que chacun ait ce sentiment dans son cœur. Imaginez que les États fonctionnent ainsi. Imaginez simplement à quoi le monde ressemblerait, l’avenir que nous pourrions léguer à ces jeunes. […]
Sur le développement économique
[…] Un demi-siècle après cette époque des indépendances, il est plus que temps de laisser de côté les vieux clichés d’une Afrique éternellement enlisée dans la pauvreté et le conflit. Le monde doit admettre les progrès extraordinaires de l’Afrique. Aujourd’hui, l’Afrique est l’une des parties du monde où la croissance est la plus rapide.
Comme l’Afrique change, j’appelle le monde à changer son regard sur le continent. Tant d’Africains m’ont dit : nous ne voulons pas d’une simple assistance, nous voulons des échanges commerciaux qui alimenteront le progrès. Nous ne voulons pas de protecteurs, nous voulons des partenaires qui nous aident à renforcer notre capacité de croissance. Nous ne voulons pas de dépendance indigne, nous voulons effectuer nous-mêmes nos choix et déterminer nous-mêmes notre avenir.
Dans mes fonctions présidentielles, je me suis attaché à transformer la relation de l’Amérique avec l’Afrique, pour que nous soyons réellement à l’écoute de nos amis africains et que nous travaillions ensemble, d’égal à égal entre partenaires. Et je suis fier des progrès réalisés. Nous avons accru les exportations américaines vers cette région, et cette part d’échanges est source d’emplois pour les Africains comme pour les Américains. Pour maintenir notre dynamique, et avec le soutien de certains éminents membres du Congrès des deux camps qui sont ici aujourd’hui – vingt d’entre eux sont présents ici aujourd’hui – j’ai récemment signé la prorogation pour dix ans de la loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (AGOA). […]
Nous avons lancé de grands projets pour améliorer la sécurité alimentaire, la santé publique et l’accès à l’électricité et pour préparer la future génération de dirigeants et de chefs d’entreprise africains, investissements qui contribueront à alimenter l’essor de l’Afrique pour les décennies à venir. L’année dernière, comme l’a indiqué Madame la présidente, j’ai reçuà Washington près de cinquante présidents et Premiers ministres africains afin que nous entamions un nouveau chapitre de coopération. Et en me rendant aujourd’hui auprès de l’Union africaine, j’entends poursuivre cet engagement.
Je crois que l’essor de l’Afrique n’est pas simplement important pour l’Afrique, il l’est pour le monde entier. Il ne nous sera pas possible de répondre aux défis de notre temps – qu’il s’agisse d’assurer la solidité de l’économie mondiale, de braver l’extrémisme violent, de combattre le changement climatique ou de mettre un terme à la faim et à l’extrême pauvreté – sans les voix et les apports du milliard d’Africains. […]
Sur la corruption
[…] Rien ne débloquera davantage le potentiel économique de l’Afrique que l’éradication du cancer de la corruption. Et vous avez raison, ce n’est pas uniquement un problème africain, c’est aussi le problème des personnes qui font des affaires avec l’Afrique. Ce n’est pas un phénomène spécifique à l’Afrique, la corruption existe dans le monde entier, y compris aux États-Unis. Mais ici, en Afrique, la corruption ponctionne des milliards de dollars à des économies qui ne peuvent se permettre de perdre des milliards de dollars – car cet argent pourrait servir à créer des emplois ou à construire des hôpitaux et des écoles. Et lorsqu’on doit verser un pot-de-vin simplement pour lancer son entreprise ou pour aller à l’école, ou encore pour qu’un responsable accomplisse la tâche qu’il est censé accomplir de toute manière, on n’agit pas « à l’africaine ». On sape la dignité du peuple qu’on représente.
Seuls les Africains peuvent mettre fin à la corruption dans leurs pays. Alors que les gouvernements africains s’engagent à prendre des mesures, les États-Unis coopéreront avec vous pour lutter contre le financement illicite et promouvoir la bonne gouvernance, la transparence et l’État de droit. Nous avons déjà instauré des lois rigoureuses qui interdisent aux entreprises américaines de pratiquer la corruption pour tenter de décrocher des contrats – ce qui n’est pas le cas de tous les pays. Et nous les appliquons et veillons à ce qu’elles soient respectées.
Par ailleurs, j’ajouterais que les réseaux criminels alimentent la corruption tout en menaçant la faune et la flore africaines si précieuses – et avec elles, le tourisme sur lequel comptent de nombreuses économies africaines. Donc l’Amérique est à vos côtés dans la lutte contre le trafic d’espèces sauvages. C’est une question qui doit être abordée.
Mais, en fin de compte, le plus puissant antidote aux anciennes pratiques est cette nouvelle génération de jeunes Africains. L’histoire nous montre que les nations qui réussissent le mieux sont celles qui investissent dans l’éducation de leur peuple. Vous voyez, en cette ère de l’information, les emplois peuvent être délocalisés n’importe où, et en règle générale ils vont là où la main-d’œuvre est instruite, très qualifiée et en ligne. Les jeunes Africains sont prêts à rivaliser. Je les ai rencontrés – ils sont avides de réussir, ils sont enthousiastes. Ils veulent travailler dur. C’est pourquoi nous devons miser sur eux. Alors que l’Afrique investit dans l’éducation, nos programmes d’entrepreneuriat aident les innovateurs à lancer de nouvelles entreprises et à créer des emplois ici même en Afrique. Et les hommes et les femmes qui participent aujourd’hui à notre Initiative en faveur des jeunes leaders africains (Young African Leaders Initiative – YALI) seront les dirigeants qui pourront demain transformer les entreprises, la société civile et le gouvernement.
Les progrès de l’Afrique dépendront du développement qui élève véritablement les pays de la pauvreté à la prospérité – parce que, partout, les populations méritent une vie digne affranchie du besoin. Un enfant né aujourd’hui en Afrique est égal à un enfant né en Asie, en Europe ou en Amérique, et il est aussi méritant. À l’occasion de la récente conférence sur le développement organisée ici à Addis, les dirigeants africains ont contribué à établir une nouvelle entente mondiale pour le financement qui alimentera le développement. En outre, sous les auspices de l’Union africaine (UA), la voix d’une Afrique unie contribuera à formuler la prochaine série d’objectifs de développement mondial, et vous poursuivez une vision de l’avenir que vous souhaitez pour l’Afrique.
Sur la limitation des mandats
Je dois ajouter que les progrès démocratiques de l’Afrique sont également menacés lorsque des dirigeants refusent de s’effacer à l’échéance de leur mandat. Et, à vrai dire, c’est quelque chose que je ne comprends pas. J’en suis à mon second mandat. Cela a été un extraordinaire privilège pour moi d’être président des États-Unis. Je ne peux imaginer plus grand honneur ni poste plus intéressant. J’adore mon travail. Mais, conformément à la Constitution, je ne peux me représenter. Je ne peux me représenter. En fait, je pense que je suis un assez bon président – je pense que si je me représentais, je pourrais gagner. Mais je ne peux pas.
Il y a beaucoup de choses que j’aimerais faire pour faire avancer l’Amérique, mais la loi est la loi. Et nul n’est au-dessus des lois. Pas même le président. Et honnêtement, je me réjouis à l’avance de ma vie après mes fonctions de président. Je ne serai plus constamment accompagné de toute une escouade de gardes du corps. Cela veut dire que je pourrai aller me promener. Je pourrai passer du temps avec ma famille. Je pourrai trouver d’autres moyens de servir mon pays. Je pourrai me rendre en Afrique plus souvent. Le fait est que je ne comprends pas pourquoi les gens veulent rester aussi longtemps. Surtout lorsqu’ils ont beaucoup d’argent.
Quand un dirigeant tente de changer les règles du jeu au cours de la partie simplement pour rester au pouvoir, il risque d’engendrer instabilité et conflits – comme nous l’avons vu au Burundi. Et ce n’est souvent qu’un premier pas sur une voie périlleuse. Parfois, on entend des dirigeants dire : en fait, je suis la seule personne capable de maintenir l’unité de ce pays. Si c’est vrai, alors ce leader n’a pas réussi à édifier véritablement une nation.
Regardez Nelson Mandela – Madiba, tout comme George Washington, a laissé un héritage durable non seulement en raison de ce qu’il a réalisé quand il était en fonction, mais parce qu’il souhaitait quitter sa charge et assurer une passation de pouvoirs pacifique. Et de même que l’Union africaine a condamné les coups d’État et les passations de pouvoirs illégitimes, de même l’autorité et la voix puissante de l’UA peuvent aider le peuple africain à faire en sorte que ses dirigeants respectent les limitations de mandat et la constitution. Personne ne doit être président à vie.
Et votre pays se portera mieux s’il a du sang neuf et de nouvelles idées. Je suis encore assez jeune, mais je sais que quelqu’un qui disposera d’une nouvelle énergie et de nouvelles perspectives sera bénéfique pour mon pays. Il sera également bénéfique pour le vôtre, dans certains cas.
Sources : Ambassade des USA à Bamako
source : Le Républicain