En 1993, à l’occasion du 33è anniversaire de l’accession du Mali à l’indépendance, le président Alpha Oumar Konaré éprouvé par un début de mandat tumultueux, s’est adressé à la nation comme il sait si bien s’y prendre. 30 ans après, son message reste plus que jamais d’actualité. Le texte intégral.
Le 22 Septembre est le lieu de notre mémoire où, chaque année comme dans une Communion rituelle, se réforme la longue chaîne des générations – passées, présentes et à venir – de notre histoire. L’indépendance que nous célébrons, avec faste ou simplicité, selon les contraintes de l’heure, fut obtenue, il faut le rappeler, au terme dune longue lutte ; depuis les premiers temps de la colonisation, de résistances mal éteintes en colères étouffées, d’exils intérieurs en bannissements cruels, d’oppositions passives en migrations volontaires, le large fleuve de notre revendication nationale s’est gonflé jusqu’au débordement.
‘’Il n’est d’indépendance sans com- bat, sans travail et sans solidarité’’
Beaucoup sont aujourd’hui partis parmi ceux qui ont écrit les plus belles pages de la résistance et de la lutte de notre peuple. Fort heureusement, nombreux restent parmi nous vivants, ceux qui étaient des combattants d’hier. Si nous les interrogeons, ils nous diront, j’en suis certain, que I’Indépendance est un combat, long et difficile.
Ils nous diront aussi qu’il n’est d’indépendance sans travail, car 1960 a été le fruit d’efforts partagés. Et C’est toujours par le travail qu’un peuple réalise l’espérance. Ils nous diront, enfin, qu’il n’est pas d’in- dépendance sans solidarité. Nous sommes comme les doigts d’une main. Et toutes les volontés, légitimes, souhaitables, nécessaires de réussite individuelle, ne doivent nous faire oublier la destinée collective et cette terre où elle s’enracine, que nous avons reçue en partage.
L’indépendance est pour un peuple une question éternelle.
Elle se joue dans sa vie quotidienne, dans l’entrelacs des stratégies individuelles, dans le tissu des décisions collectives. Aujourd’hui, il nous faut reconnaître que les échecs de notre développement ont transformé, pour beaucoup, les lendemains d’espoir en tristes déchéances, en quotidiens de douleur. Nous sommes loin de l’indépendance à laquelle nous aspirions. Aujourd’hui, il nous faut reconstruire dans un contexte incertain.
Le monde digère difficilement des changements gigantesques. Entre les certitudes d’hier et les équilibres de demain, nous vivons un temps de crise où la sécurité et la paix, le développement et la liberté se fraient un chemin difficile.
Dans ce monde tourmenté, l’Afrique reste une terre de désespérance. Les conflits sont nombreux, jetant sur les routes des cohortes de refugiés. En raison de notre pauvreté et du mal développement de nos villes, notre environnement se dégrade continuellement. Notre régime démographique ne s’accorde pas à la production des richesses. La terrible épidémie de SIDA gagne chaque jour du terrain.
Dans toutes ces dimensions essentielles pour l’avenir, le tableau est hélas sombre. Peu de sociétés résistent dans cette tour- mente.
Mes chers compatriotes, il nous faudra lutter davantage pour reconstruire et espérer nous développer. Je vous exhorte au travail et à la persévérance. Demain viendra, avec les richesses, le temps du partage. Mais aujourd’hui il nous faut travailler dur et être toujours plus solidaires.
Je voudrais dire à tous ceux qui s’estiment créanciers de l’Etat ou en droit d’attendre de lui, Paysans, Travailleurs, Chômeurs, Élèves, Commerçants, Civils et Militaires, à tous, je voudrais dire que la multitude des problèmes de la société malienne com- mande un traitement échelonné dans le temps des quêtes et sollicitations de la solidarité publique.
‘’Les difficultés du Mali ne s’éclipseront pas en un jour’’
Car aucun groupe ne doit être privilégié ou lésé, aucune famille ne doit avoir plus de droits qu’une autre. La contrainte financière impose la hiérarchisation, c’est-à-dire la définition d’un ordre de priorité. Bien gérer les priorités est le défi que le Gouvernement doit relever.
Mais vous devez savoir qu’aucun gouverne- ment ne peut réussir sa mission dans une tension permanente, en gérant chaque jour sous la menace de tous, chacun prenant d’assaut le trésor public. Les difficultés du Mali ne s’éclipseront pas en un jour. J’en appelle à votre patience et à votre tolérance.
L’indépendance, c’est-à-dire la libre détermination de soi, la gestion à notre bénéfice des interdépendances qui forment le monde actuel, l’indépendance est à ce prix. Et nous sommes sur la bonne voie.
Quand j’évalue la foi, l’audace, le sacrifice que le peuple malien a consenti pour arracher le Mali à 23 années d’arbitraire, lorsque je me souviens de la maturité avec laquelle les institutions de la Illè République ont été mises en place, ce dont le monde entier nous rend témoignage, je ne puis douter, un seul instant, de notre victoire prochaine.
Privilégier le dialogue et la concertation
En choisissant la démocratie, le peuple malien a choisi la Renaissance. En choisissant la promotion des initiatives privées, le peuple malien a choisi de voir récompensé le mérite. En choisissant la solidarité, le peuple malien a fait le choix d’un développement humain durable.
La IIIè République est le fruit de ces engagements. Pour l’heure, je puis vous l’assurer, elle n’a pas démérité. Elle s’est attelée à un patient travail de recomposition et de rénovation sociale. Que le Gouvernement, en toute circonstance, ait privilégié le dialogue et la concertation, sans esprit de dé- mission, témoigne de cette volonté nécessaire.
La paix sociale aujourd’hui retrouvée, au terme d’une année particulièrement difficile, ne nous fait pas regretter le prix payé pour y parvenir, car je tiens pour un credo que le Mali ne retrouvera son éclat d’antan que dans la tolérance et la réconciliation. La jeune démocratie malienne est aujourd’hui parmi les plus actives, dans la responsabilité et le respect mutuel.
Le pluralisme est une réalité ; c’est une chance. Nous sommes en train de la saisir.
Apprendre à vivre avec nos moyens
En outre, dans un avenir proche, la démocratie se nourrira de la décentralisation des pouvoirs publics. Des exécutifs locaux seront bientôt élus pour exercer des compétences étendues. J’y vois un chantier formidable pour tous les entrepreneurs de ce pays, jeunes moins jeunes, hommes et femmes, citadins et ruraux. Je les y convie. C’est encore une chance que nous saurons saisir. Mais il nous faut apprendre à vivre avec nos moyens.
Mes chers compatriotes, nous consommons aujourd’hui ce que nous devrions épargner et investir pour demain.
Et, loin de financer cette consommation sur des ressources internes, sur le revenu tiré de la production nationale, nous y avons affecté les ressources de l’aide extérieure. Nous consommons aujourd’hui l’aide que l’on nous a apportée pendant ces années d’ajustement en contrepartie de nos efforts de développement.
Assurément, cela ne pouvait durer qu’un temps. Aujourd’hui que les appuis extérieurs commencent à faire défaut, nos partenaires eux-mêmes n’en pouvant plus, le temps est venu de procéder à des ajustements internes. C’est tout l’enjeu des me- sures prises par le Gouvernement de Me Abdoulaye Sékou Sow.
Ces mesures, je les approuve car elles sont nécessaires. Elles se traduiront pour nombre d’entre nous par davantage d’austérité. Je sais qu’elles pourront être éprouvantes par certains aspects pour les cadres.
Je voudrais dire aux travailleurs des entre- prises pouvant être concernées par les mutations à venir, quelles sont indispensables et si elles n’étaient pas opérées aujourd’hui, elles le seront de toute façon demain et le coût à payer serait plus lourd.
Tout ceci m’est pénible. Mais je faillirais à mes engagements et aux devoirs de ma charge si je ne faisais la différence entre la voix de la raison et celle des sentiments. Il nous faut faire des économies, enrayer la baisse continue de nos recettes par une lutte farouche contre la fraude, pour une moralisation de l’Administration.
Je veillerai à ce que les emplois soient au mieux préservés, que toutes ces opérations se déroulent dans la concertation, la transparence.
Je veillerai à ce que soit lancé rapidement un plan de développement pluriannuel s’appuyant sur les capacités nationales et de nouvelles alternatives, et prenant en compte les préoccupations des populations.
Mes Chers Compatriotes,
Les dérapages que nous connaissons dans la gestion des finances publiques sont de nature à compromettre l’ensemble des objectifs en matière d’assainissement financier et de croissance économique.
Dans le contexte d’une croissance de l’économie mondiale faible (2 à 3%), d’une diminution actuelle et à venir des flux d’aide vers l’Afrique en raison de la conjoncture sociale dans les pays donateurs et de la concurrence des pays de l’ancien Bloc de l’Est, d’une croissance intérieure devenue négative en termes réels (-0,8% pour l’an- née 1993), le rétablissement rapide de nos équilibres financiers est la seule option raisonnable qui préserve l’avenir et permette d’envisager de renouer avec la croissance.
Ce faisant, permettez-moi de vous dire que j’ai apprécié le fait que malgré les divergences et les différences, la grande majorité des partis politiques, les syndicats et les associations, aient répondu à l’appel du Gouvernement pour examiner ensemble les moyens de sauver le pays en danger. C’est à cette marque là que l’on reconnaît les descendants d’une culture millénaire, toute pétrie de l’intérêt supérieur de la Patrie. Cette patrie au nom de laquelle encore les forces armées et de sécurité nationale reçoivent, en leur sein, les éléments des Mouvements et Fronts Unifiés de l’Azawad (MFUA) qui leur étaient hier opposés et qui, aujourd’hui, pour la défense du processus démocratique, se rangent à leurs côtés pour engager ensemble, dans l’unité re- trouvée, de nouveaux combats sur le champ de la bataille économique et de la construction nationale.
C’est là une espérance nouvelle que cette fraternité d’armes, dont les fils se tissent tous les jours, délicatement, patiemment, pour former la trame d’une Armée nou- velle, républicaine, égale pour toutes les populations, ouverte sur l’avenir, que nous devons cultiver, aduler et faire fleurir et germer.
Mes Chers Compatriotes,
Ce jour, 22 Septembre, date anniversaire de notre Indépendance, donne toute sa signification à la croisade qui vient de commencer, tant il est vrai que l’indépendance n’est jamais un acquis mais bien une œuvre en perpétuel devenir. Sans craindre l’effort, sans sacrifier à la facilité, sans céder au dés- espoir. Cette œuvre, ensemble, nous la réa- liserons.
Pour conduire une telle mission, je fais confiance au Premier Ministre, chef du Gouvernement, aux Hommes et aux Femmes désintéressés, d’une loyauté et d’une solidarité à toutes épreuves, surtout en ces moments difficiles, qu’il saura tou- jours réunir autour de lui.
Mes Chers Compatriotes,
Nous sommes une jeune Nation mais un vieux peuple, et dans les vieux peuples, l‘es- poir ne s’éteint jamais. En cela ma Foi et ma Conviction sont inébranlables.
Que Dieu nous assiste pour que vive le Mali !
Source : Recueil du Discours 1992-1997 de Son Excellence Alpha Oumar Konaré
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