Le candidat républicain n’a même pas conscience de l’énormité de ce qu’il raconte.
Je pensais que c’était impossible mais la «grande allocution sur la politique extérieure»de Donald Trump –un discours écrit, qu’il a lu sur un téléprompteur– était encore plus incohérente que ses déclarations spontanées des derniers mois. C’est même sans doute le discours de politique internationale le plus insensé jamais donné par un candidat majeur à l’élection présidentielle américaine de l’ère moderne.
Par exemple, il a assuré que la politique extérieure du président Obama a entraîné un sentiment d’abandon chez les alliés des États-Unis avant d’affirmer qu’une potentielle future administration Trump quitterait l’Otan et se désolidariserait de ses alliés asiatiques à moins que ceux-ci n’augmentent leurs budgets de la défense.
Il a déclaré que sa priorité de sécurité intérieure serait de vaincre Daech, quelques instants avant d’annoncer qu’il ne collaborerait avec les autres pays qu’à condition qu’ils«apprécient ce que l’on fait pour eux», car pour que nous, États-Unis, soyons bons avec eux, «il faut qu’ils soient bons avec nous». Il y a quelque chose de profondément enfantin, voire de narcissique dans cette requête qu’il récite sur le ton d’un parent qui tente désespérément de faire preuve d’autorité.
Il a, une fois de plus, déclamé que le déficit extérieur américain fragilise les États-Unis au profit de la Chine avant d’assurer que l’Amérique avait un considérable pouvoir de pression économique sur le géant asiatique et qu’elle devait s’en servir afin que les Chinois calment les ardeurs de la Corée du Nord.
Il a émis le souhait de cesser de coopérer avec des pays qui ne sont pas nos amis tout en suggérant de tenter d’apaiser les tensions diplomatiques avec la Russie. On peut faire l’un ou l’autre mais pas les deux!
Trump a ensuite affirmé qu’il renforcerait l’économie américaine afin de réduire les déficits puis a déclaré qu’il dépenserait l’argent excédentaire afin de booster le marché de l’emploi, avant de déclarer que cet argent renforcera le budget de la défense. Tout cela sans mentionner la possibilité d’un compromis ni admettre la nécessité de fixer des priorités.
Absurdités et mémoire courte
Sont arrivées ensuite les déclarations erronées –pour la plupart reprises de ses débats et discours de campagne. Il a ainsi affirmé que l’Iran aurait violé le traité international sur le nucléaire, alors qu’il l’a respecté. Il a ajouté que, grâce à cela, l’Iran est devenu «une très très grande puissance» –ce que les dirigeants du pays ont dû être ravis d’apprendre… En effet, malgré la levée des sanctions internationales, le pays peine à établir des échanges commerciaux pérennes avec l’Occident. Trump a ensuite déclaré qu’Obama aurait«snobé» Israël, et ce alors que de nombreux officiers israéliens ont affirmé qu’Obama leur a apporté plus de soutien militaire qu’aucun autre de ses prédécesseurs.
Trump a ajouté qu’Obama a laissé l’arsenal nucléaire américain dépérir, alors que le Pentagone dépense 20 milliards de dollars par an pour le garder en état et le moderniser. Il a déclaré que le budget de la défense proposé par Obama pour l’année 2017 (quiavoisine les 608 milliards de dollars) est inférieur de 25% par rapport à son budget de la défense de 2011 –alors qu’il est en fait supérieur. Il a déclaré que, depuis 1991, le nombre de soldats américains a chuté de 2 millions à 1,3 million d’hommes, que l’Armée de l’air a perdu un tiers de ses effectifs et que la flotte de la Marine est tombée de 500 navires à 272. Cela peut paraître alarmant si on ne prend pas en compte que la Guerre froide a pris fin en 1991 –ce que Trump s’est gardé de mentionner. Cela serait en fait bien étrange si les effectifs militaires étaient restés stables depuis 1991.
Donald Trump a donné du poids à la théorie selon laquelle il n’a jamais ouvert un livre d’histoire
Ont alors suivi les grandiloquentes déclarations basées sur du néant: «Le monde est plus dangereux que jamais.» Pensez à cette affirmation pendant une petite minute et vous verrez à quel point elle est absurde.
Au sujet de Daech, il a ensuite déclaré : «Si je suis élu président ils vont disparaître et très très rapidement.» Mais qu’est-ce que cela peut bien annoncer? Il va les gronder, les punir? Leur larguer une bombe nucléaire?
«Personne ne sait comment réduire la dette mais moi oui.» Dans le secteur privé, il a eu pour habitude de racheter des entreprises criblées de dettes puis d’abandonner les créanciers en leur offrant des miettes de pains, sinon rien. Penser qu’on peut résoudre la dette internationale en usant des mêmes artifices semble bien dérisoire.
Trump semble également avoir la mémoire courte sur ses propres prises de position… Puisqu’il a –une fois de plus– déclaré s’être prononcé contre la guerre en Irak de peur qu’elle ne déstabilise le Moyen-Orient alors qu’il l’avait soutenue ouvertement.
Enfin, il a donné du poids à la théorie selon laquelle il n’a jamais ouvert un livre d’histoire. Dans ce que certains appelleront un acte de sabotage d’un rédacteur de discours, il a fait sien le slogan «America First», l’annonçant même comme le leitmotiv de sa future politique extérieure. Aurait-il oublié que ce slogan était celui de Charles Lindbergh –pendant sa campagne de 1940 contre le président Franklin D. Roosevelt– lorsqu’il arguait de rester neutre et isolationniste durant la Seconde Guerre mondiale? On peut se demander si Lindbergh est vraiment le modèle politique de Trump.
Ce discours était, je le répète, préparé, à la différence de ses nombreuses déclarations informelles relayées et amplifiées par les médias. J’ignore qui a pu le rédiger mais cela semble confirmer les rumeurs selon lesquelles Donald Trump n’est entouré d’aucun spécialiste des questions de défense. Sans l’ombre d’un doute, c’est là le discours d’un homme peu sérieux qui n’a que peu lu sur ces questions et qui s’exprime en se basant uniquement sur ses intuitions. Le danger ne réside d’ailleurs pas dans le fait qu’il ne connaisse rien à la politique étrangère mais qu’il ne se rende pas compte à quel point il est ignorant là-dessus.