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Le Maroc maintient qu’il y a eu « chantage » de la part des journalistes français

 Et les 40 000 euros qu’ils ont chacun empochés ? Ils comptaient nous les renvoyer par La Poste ? »Cette réaction, recueillie mardi 1er septembre dans l’entourage de Mounir Madjidi, le secrétaire personnel du roi Mohamed VI du Maroc, donne le ton.

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Le sommet de l’Etat marocain a pris connaissance des dénégations d’Eric Laurent dans Le Monde et celles de Catherine Graciet dans Le Parisien, tous deux mis en examen pour « tentative d’extorsion et chantage » envers le roi, ainsi que leurs interventions sur plusieurs plateaux de télévision et de radio. Et la partie marocaine attaque de plus belle, en assénant que c’est bien Eric Laurent qui a proposé d’être payé pour ne pas publier son livre.

Une source proche du palais royal, très au fait du dossier et ayant accès aux procès-verbaux des gardes à vue et des premières comparutions, a livré au Monde Afrique la version défendue par la partie marocaine des rendez-vous entre Eric Laurent et l’avocat Hicham Naciri, l’émissaire de Mounir Majidi, le secrétaire particulier du roi. Ce dialogue entre l’avocat et le journaliste a pu être partiellement recoupé par des transcriptions de l’enregistrement, auxquelles Le Monde a eu accès.

Cependant, lors de ce premier rendez-vous du 11 août, le téléphone qui enregistre la conversation à l’insu d’Eric Laurent se trouve dans la poche de l’avocat. Si bien que ses déclarations sont plus audibles que celles du journaliste. L’enregistrement, aux mains de la justice française, est en cours de nettoyage et d’optimisation pour établir quels ont été les propos exacts d’Eric Laurent.

Tout démarre le 23 juillet, lorsque le secrétariat particulier du roi reçoit un coup de fil d’Eric Laurent. Au téléphone, une secrétaire prend un message aux accents inquiétants. « Merci à Monsieur Majidi de me rappeler. J’ai des éléments d’une extrême gravité à lui communiquer. » Par prudence, Mounir Majidi confie aussitôt l’affaire à l’avocat attitré du secrétariat particulier, Me Hicham Naciri qui a « hérité » ce client de son père, le bâtonnier Mohamed Naciri, qui fut aussi ministre de la justice de 2010 à 2012.

« Nos informations sont explosives »

Hicham Naciri, l’associé gérant du cabinet casablancais d’Allen & Overy, est avant tout un avocat d’affaires, jusque-là connu pour son expertise dans le domaine des investissements étrangers et les fusions-acquisitions. Sa mission est d’abord banale : recueillir, au téléphone, ces fameux éléments. Dans un premier temps, Eric Laurent hésite et refuse de parler à un intermédiaire. Il se renseigne, puis rappelle. Il préfère parler de vive voix avec l’avocat. Les deux hommes échangent des SMS et conviennent d’un rendez-vous, le 11 août, à Paris. Ce jour-là, le journaliste et l’avocat se retrouvent au bar du Royal Monceau.

Après quelques mondanités – on évoque le Japon, d’où revient l’avocat –, Eric Laurent, selon la version marocaine, passe à l’attaque. Sa phrase, dans l’enregistrement d’origine, est inaudible. La police scientifique française, qui traite la bande-son dans un laboratoire de Lyon, espère la faire ressortir. Telle que relatée par Hicham Naciri à l’entourage de son client, Mounir Madjidi, cela donne :« Avec ma collègue Catherine Graciet, nous avons signé pour la publication au Seuil d’un Roi prédateur n° 2. (…) Nos informations sont explosives. (…) La monarchie ne peut pas se permettre le scandale que causerait un tel livre. »

Le cadre est posé mais la discussion s’attarde et revient sur le trouble qu’occasionnerait la publication du livre, et sur ses éléments les plus croustillants. « Si c’est le compte en Suisse de Mohamed VI dont a parlé Le Monde… », rigole l’avocat. Eric Laurent en profite pour critiquer le quotidien du soir et le« manque de respect » de la lettre envoyée en janvier 2015 par les enquêteurs du Monde au secrétariat du roi pour le faire réagir à l’existence d’un compte chez HSBC Genève affichant un solde de 7,9 millions d’euros. Eric Laurent dénigre aussi l’avocat William Bourdon et ses liens avec l’Elysée.« C’est un visiteur du soir [de François Hollande] », assène-t-il, avant de pourfendre le biais « pro-algérien » de l’avocat et du pouvoir socialiste français. C’est pourtant à William Bourdon qu’Eric Laurent va demander de le défendre dans la présente affaire contre le Royaume.

« Je veux trois millions d’euros »

Sur le contenu du livre, le journaliste évoque des « scandales » au sein du géant du phosphate OCP [Office chérifien des phosphates], accrédités par un audit du cabinet américain Kroll, qu’il dit avoir en sa possession, ou des appels d’offres douteux impliquant Nareva, une filiale dédiée à l’énergie au sein du holding royal SNI [Société nationale d’investissement]. Les deux protagonistes n’ont pas la même appréciation de la qualité de ces « scoops ». L’entretien est tendu. L’avocat minimise la nouveauté des sujets évoqués par le journaliste – essentiellement de supposées malversations économiques, en les qualifiant de « sujets plus qu’épuisés, déjà couverts par la presse ».

Eric Laurent maintient que ses informations sont « dévastatrices ». Puis, toujours selon la relation de l’entretien par Hicham Naciri, il aurait laissé entrevoir une autre issue : « Je préfère éviter la sortie du livre ». « Alors ne le sortez pas ! », réplique Me Naciri. Soupirs du journaliste : « Ah ! vous comprenez… », avant de souligner encore une fois la sensibilité des informations en sa possession.« Que voulez-vous que je fasse ? », demande alors Me Naciri. Eric Laurent louvoie avant de suggérer un « accord » et d’évoquer une « contrepartie ». L’avocat : « Est-ce que vous avez une idée de l’arrangement ?  »

S’ensuit le dialogue surréaliste révélé par le Journal du dimanche, le 30 août :

« – J’ai un chiffre. Je veux trois.

– Trois quoi, Trois mille ? »

Eric Laurent est pris d’un rire nerveux. Me Naciri tente de dissiper la gêne. Il lâche en plaisantant :« C’est ce que valent vos prétendues révélations sur l’OCP, non ? »

Eric Laurent reprend :

– « Non, 3 millions.

– Trois millions de dirhams ?

– Non, 3 millions d’euros. »

L’avocat encaisse le choc mais reprend vite ses esprits : « On parle d’un montant conséquent. Mais on reste un peu sur notre faim. On s’attendait à des choses [des révélations] plus percutantes de votre part. » La discussion repart sur l’impact possible du livre au Maroc. Puis, selon les transcriptions auxquelles Le Monde a eu accès, l’avocat résume. « Donc pour vous, l’objectif, en cas d’accord (…)vous prenez l’engagement avec Catherine Graciet d’oublier, d’oublier de façon absolue de parler de tout ce qui peut toucher de près ou de loin [au Maroc] ». La réplique du journaliste est inaudible. Mais il répond : « Oui, tout à fait d’accord » quand l’avocat parle d’un engagement contractuel. « Vous seriez prêt à vous engager à payer des indemnités (…) si cet engagement était rompu ? », demande l’avocat. Le journaliste acquiesce à nouveau.

« Je vous pose les questions à bâtons rompus, poursuit l’avocat. Encore une fois, je n’avais aucune idée du contenu de la discussion et encore une fois, c’est sans préjuger de ma discussion avec Madjidi. » La fin de la discussion revient sur le projet de livre. Me Naciri : « Si on doit de se revoir, donnez-moi des documents. Avec ce que vous mettez sur la table, il est difficile de vous prendre au sérieux. (…) A propos, où en êtes-vous de la rédaction du livre ?

– On n’a pas encore entamé la rédaction. On doit rendre un manuscrit dans trois mois. »

L’entretien, d’une quarantaine de minutes, est tout au long étonnamment cordial. Les deux hommes plaisantent et se jaugent, comme des ennemis de longue date qui se respectent et prennent plaisir à bavarder. Eric Laurent, surtout, cherche sans cesse la connivence avec son interlocuteur, qui lui répond souvent avec malice. Aucun des deux ne met de revolver sur la tempe de l’autre ; les menaces sont voilées, ou tacites. Pour William Bourdon, l’avocat d’Eric Laurent, ce climat détendu, l’absence de pression ou de menace est la preuve qu’il n’y a pas eu « de chantage ». Et pourtant, c’est au cours de cet entretien qu’a été formulée la proposition de payer une forte somme d’argent pour qu’un livre ne paraisse pas. Qui le premier en a émis le principe ? La phrase-clé fait sans doute partie de celles que les transcriptions signalent comme « inaudibles », mais devrait refaire surface après le travail de la police scientifique sur les enregistrements.

Deux failles dans le récit du journaliste

Pour l’heure, les transcriptions examinées par Le Monde dévoilent deux failles dans le récit d’Eric Laurent. D’abord sur l’objectif même de la rencontre. A aucun moment le journaliste ne donne l’impression de vouloir « croiser » ses informations avec celles du palais, de « faire une interview », comme il l’a déclaré au Monde. Il se contente d’insister sur la gravité des informations qu’il a récoltées. Ensuite, la phrase qu’Eric Laurent dit avoir entendue de la bouche de son interlocuteur :« On pourrait peut-être envisager une rémunération, une transaction, en contrepartie d’un retrait écrit », n’apparaît pas dans les transcriptions, alors que celles-ci sont quasi exhaustives sur les propos tenus par Hicham Naciri.

En sortant du Royal Monceau, l’avocat du palais s’envole pour Casablanca et rend compte à son client, Mounir Madjidi. La bande sonore est transcrite. Me Naciri le répète au secrétaire particulier du roi et à son entourage : pour lui, « pas l’ombre d’un doute », il s’agit là de « chantage » et de« tentative d’extorsion ». A Rabat, l’histoire prend la dimension d’une affaire d’Etat. Comment Eric Laurent, vieille connaissance du pouvoir marocain, auteur de deux livres d’entretiens avec Hassan II, peut-il fourbir une telle opération ? Il est vrai qu’il n’a plus ses entrées au Palais depuis l’accession au trône de Mohammed VI. D’emblée, une enquête est diligentée sur son entourage. Le profil de son fils, Samuel Laurent, auteur d’ouvrages controversés sur le djihadisme, interpelle particulièrement.

Au plus haut niveau de l’Etat, la décision est prise de porter plainte. A Casablanca d’abord, le 17 août, par Me Naciri. Puis à Paris, trois jours plus tard par Me Ralph Boussier, un des avocats français du royaume. Pour « chantage », « extorsion » et « association de malfaiteurs ». A Paris, Me Naciri fait une déposition détaillée. Les autorités françaises sont désormais au courant du second rendez-vous prévu avec Eric Laurent, qui se déroulera le 21 août. Point de départ de l’affaire, l’entretien du 11 août risque bien de se trouver au centre de l’instruction, du procès et de la bataille de communication engagée entre les protagonistes de l’affaire, par avocats interposés.

Lundi 31 août, Eric Laurent a contesté, pour la première fois, sur iTélé, les enregistrements versés au dossier : « Je conteste une partie de l’authenticité des enregistrements. (…) La première interview audio peut avoir été modifiée avec des moyens techniques élaborés. » Réplique de la partie marocaine : « Nous souhaitons bien du courage aux conseils de la partie adverse pour prouver la falsification, puisque les bandes sonores ont été préalablement vérifiées par la police française. »

 

Source: Le Monde

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