Il est des sujets qui fâchent. Parler de l’islam aujourd’hui au Mali ou se permettre la moindre allusion critique n’est pas sans risque. L’islam, cette belle religion de tolérance et de paix défraie la chronique et pas souvent dans le sens souhaité. Aujourd’hui un peu partout dans le monde, nous assistons impuissants à une forme d’intégrisme et de radicalisation dans la pratique de l’islam. Il faut le dire, le problème n’est pas l’islam en tant que tel, mais cette forme d’extrémisme qui représente à la fois une véritable menace et un vrai défi à la communauté des hommes. Le phénomène inquiète. Le péril islamique est une réalité épousant çà et là diverses formes : violences, intimidations, menaces, terrorisme, guerres, etc.
Le Mali, pour sa part, a subi en 2012 une invasion djihadiste dans sa partie nord. Un épisode dramatique qui a ému toute la communauté internationale et restera certainement l’une des périodes les plus sombres de son existence. Certes, les envahisseurs ont été mis hors d’état de nuire, le pays n’est plus occupé, on ne coupe plus de mains, on ne fouette plus, on ne lapide plus et les populations ne sont plus embastillées, etc. Mais le Mali a-t-il pour autant fini avec l’islamisme ? Pas sûr avec ce qui se passe entre nous Maliens au Mali. Ne sommes-nous pas en train de glisser lentement mais sûrement vers un dictat de l’islam malgré la forme laïque et républicaine de l’Etat du Mali ? Un pays à forte majorité musulmane mais qui consacre dans sa loi fondamentale la laïcité, c’est-à-dire le principe de séparation entre l’Etat et la religion et donc l’impartialité ou la neutralité de l’Etat à l’égard des confessions religieuses. Ce principe est mis à mal aujourd’hui au Mali avec un islamisme rampant qui sape dangereusement les fondements de la République.
Un Etat entre compromissions et faiblesse
Les musulmans ne s’en cachent plus et le disent à qui veut l’entendre que l’actuel président leur doit en partie son pouvoir. Ce qui n’est pas totalement faux pour ceux qui ont suivi le processus électoral de 2013. La course effrénée aux voix était telle que, les différents candidats ne reculaient devant rien. Ils investissent les mosquées, ils courtisent les leaders religieux, les associations islamiques, ayant compris que ces lobbys constituent un véritable vivier électoral bon marché. Les musulmans étaient ouvertement dragués et ont pris une part active dans la campagne. C’est un secret de polichinelle, IBK était le candidat des musulmans et il fut élu haut les mains, comme pour dire que ces derniers ont du monde derrière et sont des faiseurs de roi. Conscients de leur force de frappe et auréolés de la victoire de leur candidat, les musulmans et surtout leurs leaders n’hésitent plus à occuper l’espace public, font entendre leur voix à tout bout de champ sans se départir de leur manteau de religieux au grand dam de la constitution. La porte qui était entrouverte un moment donné (le régime précédent flirtait également avec les religieux musulmans) se trouve à présent défoncée et on s’engouffre sans gêne aucune !
A présent doit-on en vouloir aux musulmans qui ont toujours servi aux politiques ? Leur compagnonnage égoïste et malsain est un coup sérieux à la République. Il est connu que la religion et la politique ne font pas bon ménage. L’Etat du Mali est faible aujourd’hui. Visiblement les autorités du pays sont incapables de résorber le phénomène qui est en train de saper dangereusement les fondements de notre République. Le Malien doit «se réinventer» pour plus d’intelligence et d’harmonie dans notre vivre-ensemble.
Le « yes we can » des leaders religieux
Nul doute, les musulmans ont compris qu’eux aussi sont capables. Ils sont convaincus qu’ils peuvent réussir là où ceux en qui ils ont cru à un moment donné ont lamentablement échoué ou échouent. Seulement, ce qui est inadmissible dans leur démarche, c’est faire de la politique sous le manteau religieux. A ce niveau, les choses sont très claires. L’exercice du pouvoir ne saurait s’accommoder de la religion, 1905 est passé par là, et notre organisation socio-politique en est digne héritière.
Aujourd’hui, la confusion est totale entre politique et religion. Le jeu est assez trouble et il appartient surtout aux leaders religieux de par leur autorité morale, leur sens élevé de la république de rester en marge de la politique, de se cantonner dans leur mission sacerdotale en accompagnant par leurs propositions, leurs conseils, leurs orientations avisées l’action publique. Dans une république démocratique et laïque, la religion n’a pas sa place dans l’espace politique. Au Mali, les religieux musulmans rivalisent d’ardeur et supplantent souvent les politiques dans leurs missions.
Le religieux doit rester dans la limite de son sacerdoce, et c’est en cela qu’il justifie tout le respect dû à son rang. La majorité des Maliens sont de confession musulmane et respectent les leaders religieux, mais il y a une ligne rouge à ne pas franchir. A ce que nous sachons, le Mali n’est pas encore une République islamique.
Les défis sont nombreux pour en rajouter davantage. Le péril islamique est là, et il faut le circonscrire pendant qu’il est encore temps au risque de voir toute cette construction humaine, sociale et solidaire que nous avons bâtie ensemble, s’écrouler lamentablement, la faute à quelques présomptueux qui n’ont pas su à un moment donné, faire taire leur ego au profit de la collectivité et du mieux vivre-ensemble.
Makan DIALLO
Docteur en Droit
Avocat inscrit aux Barreaux de Paris et du Mali.
source : Le Prétoire