Dans l’interview exclusive qu’il nous a accordée, le lieutenant Nouhoum Coulibaly de la Direction générale de la protection civile du Mali nous fait le point sur la situation des rapatriés au Mali.
Bamako hebdo: Bonjour Lieutenant, merci de vous présenter à nos lecteurs
– Je suis le lieutenant Nouhoum Coulibaly, responsable du centre d’acceuil des Maliens expulsés.
– Pouvez-vous- nous faire le point sur le nombre de rapatriés de l’année 2014?
Bien évidemment! pour l’année 2014, ils sont au nombre de 2749 Maliens à être rapatriés répartis en deux catégories: les Maliens venus de la Centrafrique qui sont des volontaires rentrés à cause de la crise de Bangui et une seconde catégorie venue de la Tunise, de la Libye, de l’Espagne et de l’Arabie Saoudite. Pour ce qui est de la Centrafrique, ils sont au nombre de 2 245, tous rentrés de leur propre gré et, en ce qui concerne les pays de la péninsule arabique et de l’Espagne, 504 expulsés ont été recensés.
– Quelle est la situation de ces rapatriés une fois rentrés au Mali?
– Pour le cas de ceux qui viennent de la Libye, ils sont pris en charge par L’OIM (l’Organisation Internationale pour la Migration) qui s’occupe de leur réinsertion sociale. En revanche, ceux qui arrivent de la Centrafrique, de l’Espagne, de l’Arabie Saoudite, de la Tunisie et de la Libye, sont directement pris en charge par le gouvernement.
– Les efforts déployés par le gouvernement pour la réinsertion des rapatriés sont-ils suffisants ?
– Ce n’est pas suffissant mais ils bénéficient du minimum pour leur installation
– C’est-à-dire?
– Le minimum de besoin qui couvre la nourriture, les soins et les frais de transports pour retourner chez eux.
– Avez-vous une idée du montant qui leur est attribué?
-Non! les montants ne leur sont pas donnés directement. A leur arrivée, ils sont accueillis à l’aéroport par le centre d’accueil de la protection civile, qui s’occupe de les loger pendant au moins 3 jours. Pour ceux qui sont malades, le centre leur offre un traitement. Ensuite, on leur donne à manger et à boire et, pour finir, d’un commun accord avec le transporteur ,nous leur trouvons un car pour qu’ils regagnent leur village ou quartier respectifs.
– Est-ce suffisant au regard des rapatriés?
-Ah! non c’est insufisant au regard des rapatriés mais par rapport aux moyens que le gouvernement déploie compte tenu de la situation économique qui prévaut réellement dans le pays, l’Etat fait ce qu’il peut.
– Quelles sont les doléances provenant des rapatriés pour une aide?
– Chaque jour, il y a des rapatriés qui viennent me voir par rapport à leur situation économique parce qu’ils pensent à leur arrivée que de l’argent liquide est disponible pour eux mais ce n’est pas le cas. Tout d’abord, on recense le besoin de tout un chacun puis, après étude de faisabilité, nous constituons un dossier qui sera transféré au niveau du ministère de l’Economie et des finances. Cependant, il y a des impatients et, dès que le dossier met du temps à sortir, il essayent de regagner à nouveau les côtes des soi-disant eldorados européens
– Y a-t-il eu des pertes en vie humaine au moment des rapatriements?
-Pour ceux qui viennent de la centrafrique, il y a deux personnes qui sont décedées à l’hôpital du Mali car elles sont arrivées au Mali étant malades. Malheureusement, au moment de leur traitement, elles ont rendu l’âme deux à trois jours après. Il y a aussi le cas d’un enfant qui est décedé deux mois après son arrivée des suites d’une maladie de la fièvre typhoïde. Par contre tous ceux qui sont arrivés de la Libye, de l’Espagne, de l’Arabie Saoudite et de la Tunisie sont sains et saufs.
-Selon des rumeurs, il y aurait des promesses non tenues par le gouvernement qui pour calmer les rapatriés, leur promet un financement?
-Par rapport à cela, c’est une idée fallacieuse que se font les rapatriés. Ils arrivent les mains vides, mais étant donné qu’ils ont des difficultés pour rentrer en famille suite à la pression sociale et à la honte, ils font miroiter à leur famille que l’Etat leur doit une somme importante. En réalité, il n’en est rien. L’Etat fait beaucoup d’efforts pour leur réinsertion mais dire qu’il y a une somme colossale à leur disposition n’est pas vrai. Cependant, compte tenu des efforts des Maliens de l’exterieur et à leur importance dans l’économie Malienne, quand un Malien est expulsé, l’Etat fait l’impossible pour lui venir en aide.
– D’après vous, qu’est-ce qui pousse les Maliens à tenter l’aventure?
– Je pense que le constat est assez affligeant, mais le départ des Maliens est dû à l’influence environnementale et familiale, c’est-à-dire que devant la réussite de leurs prédécesseurs qui ont quitté le Mali pour l »étranger et qui sont devenus des nantis, leur entourage est tenté par la même expérience. Par exemple, quand tu prends la région de Kita, les ressortissants de cette localité sont tentés d’aller vers l’Espagne et la Libye. Quant à ceux de Yélimani, ils sont tentés d’aller vers la France. C’est pour vous confirmer cette influence environnementale. La seconde chose est due à la situation économique difficile du pays. Donc les gens sont tentés par l’aventure.
– Pourquoi les gouvernements des pays considérés comme étant l’eldorado n’aident-ils pas les immigrés maliens mais, au contraire, décident de les rapatrier?
-Pour ce qui est du cas de l’Espagne, actuellement il n’y a plus de travail là-bas. Puisque dans le convoi des rapatriés du 18 décembre 2014, j’ai eu à échanger avec un jeune qui est resté 18 mois en Espagne et, pendant tout ce temps, il n’a eu à travaller que durant trois mois. Ce qui signifie qu’il est resté 15 mois à chercher du boulot en vain. C’est parcequ’il n’ y a plus rien en Espagne. Cependant, les autorités hispaniques, croient que c’est à cause des émigrés que le chômage est important chez eux. D’où l’expulsion de plusieurs Maliens de ce pays. Le deuxième point, c’est que les autorités espagnoles disent que les immigrés s’adonnent au trafic de drogues. Malheureusement, je maîtrise pas ce dossier. Mais, par rapport au cas des Saoudiens, ces derniers préfèrent embaucher des femmes plutôt que des hommes. Ils ont de la peine pour avoir un travail là bas.
– En quoi consiste votre tâche en direction des rapatriés?
– Moi je travaille au compte d’un service gouvernemental. Le rôle de la protection civile par rapport est cette question, c’est d’accueillir les rapatriés, de déceler ceux qui sont malades et de trouver des médicaments pour les soigner. Alors, pourquoi le séjour au centre d’accueil de la protection civile? Parce que parmi ces hommes, il y en a qui ont été emprisonnés deux ou trois mois ou même un an. dès qu’ils arrivent, nous procédons à leur cantonnement pour qu’ils se calment avant de les envoyer directement dans leur famille. il y a aussi certains qui veulent faire des achats avant de rentrer chez eux. Ceux-ci peuvent rester une à deux semaines de plus au centre de protection civile.
Pour le cas de ceux qui viennent de l’Espagne, au moment de leur embarquement pour le Mali, il y a des autorités espagnoles qui leur donnent 50 euros. Mais qu’est-ce-que 50 euros pour une personne qui voyage sur Gao?
– Avez-vous des réclamations à formuler auprès de l’Etat?
– L’Etat fait des efforts c’est vrai. Il est aussi vrai que l’Etat a des moyens bien limités, mais nous sommes tous humains. Par conséquent, rien n’est parfait .Cependant, qu’il essaye d’augmenter la subvention qu’il accorde aux rapatriés, ça serait une bonne chose. Nous avons besoin de plus d’argent, d’équipements de couvertures, de vivres et même de plus de communication parce que souvent, il nous envoie des rapatriés sans nous informer à l’avance alors que, normalement, dès leur départ du pays d’accueil, on doit nous informer pour que nous prenions des dispositions adéquates pour les recevoir. Il y a des cas où, à deux heures du matin, on me réveille du lit pour me dire qu’un avion de rapatriés est arrivé. Quelle précaution voulez-vous que je prenne à cette heure? Les conséquences c’est que nous sommes obligés de travailler avec les moyens du bord, étant entendu qu’il n y a pas un budget pour cela.
– Travaillez-vous avec des organisations internationales pour aider les rapatriés?
Oui! Je travaille avec le HCR (Haut Commisariat Pour les Réfugiés), l’OIM (l’Organisation Internationale pour la Migration) , mais aussi avec le ministère des Maliens de l’extérieure par l’intermédiaire de la Direction générale des Maliens de l’extérieur et diverses associations qui viennent me voir et, d’un commun accord, nous travaillons ensemble et chacun apporte sa pierre à l’édifice. je travaille aussi avec la Direction nationale pour l’enfance puisqu’il y a des enfants aussi qui sont rapatriés. Par exemple cette année, il y a une vingtaine d’enfants qui ont été rapatriés d’Arabie saoudite, des mineurs de moins de 18 ans qui sont nés làbas. C’est géneralement après le pélerinage puisqu’il ya des pélérins qui ne reviennent jamais. J’ai eu à faire à quatre mineurs avec qui j’ai eu des problèmes de communication parce que ce sont des enfants qui ne parlaient ni bambara, ni français seulement, l’arabe. J’étais donc obligé de solliciter un interprète pour prendre contact avec le père en Arabie Saoudite qui, à son tour m’a mis en contact avec des membres de sa famille au Mali afin que les enfants puissent retrouver un toit.
– Avez-vous eu une fois des problèmes avec des rapatriés mécontent?
oui! Surtout des gens en provenance d’Espagne. Ils ont d’ailleurs une fois saccagé notre véhicule et notre bureau parce qu’ils pensent que leur rapatriement est dû aux autorités maliennes car, selon eux, le gouvernement malien a signé un pacte avec les autorités espagnoles pour les expulser. Donc il faut du temps pour leur expliquer la situation. Moi-même je me pose la question: est-ce que le gouvernement malien à un interêt quelconque de dire au gouvernement espagnol d’expulser les Maliens en situation irrégulière étant donné qu’ils n’ont pas de travail içi. Pour quelqu’un qui connait l’apport de la diaspora dans l’économie malienne, les autorités maliennes ne demanderont jamais l’expulsion de leurs ressortissants. Donc ils sont mécontents et ils pensent que l’Espagne, c’est le paradis, c’est l’eldorado. Par exemple en 2011, j’ai connu un monsieur qui s’appelait Makan Sissoko qui a été expulsé trois fois d’Espagne et, à chaque fois qu’il arrive, je lui demande où est ce que tu vas? Il a sa famille à Baco-djicoroni, pourtant il me dit: je vais à kayes. Donc je fais mon travail et je le mets dans le car à destination de Kayes. Cependant une fois là-bas, il en profite pour aller à Dakar et prend la pirogue pour retourner en Espagne. La dernière fois que je l’ai vu, il m’a dit que ce qui est sûr, il va mourir en mer mais, ne travaillera jamais ici à Bamako. Depuis ce jour-là, je ne l’ai plus jamais revu
– Comment font-ils pour regagner les côtes européennes?
– Pour ce qui est de l’Espagne, il y a trois à quatre chemins possible. Ils passent via Nouakchott, Dakar ou le Maroc. pour ceux qui passent par le Maroc, ils escaladent les clôtures métalliques pourtant électrifiées pour rentrer à Ceuta ou Mélila mais ce qui vont par Nouakchott et Dakar c’est pour aller aux îles canaries et géneralement les Espagnols viennent chercher de la main-d’oeuvre sur les îles Canaries pour l’espagne? Autre chemin possible: les gens vont à kidal, gagnent la libye pour ensuite rallier l’Espagne.
Interview réalisé par Mohamed Haïdara et Paul Dao
source : Bamako Hebdo