De plus en plus, des voix s’élèvent en Afrique pour dénoncer le franc CFA. Selon eux, cette monnaie est trop forte pour des économies en développement, tout comme le dispositif des comptes d’opération, qui contraint les banques centrales des pays de la zone CFA à déposer 50% de leurs réserves de change auprès du Trésor public français, en contrepartie de la garantie de convertibilité illimitée de leur monnaie. Nous avons approché des économistes et des universitaires maliens afin d’avoir leur avis sur la question.
Modibo Mao Makalou, économiste et ancien conseiller économique du président Amadou Toumani Touré : “Le franc CFA a des avantages et des inconvénients, mais c’est une monnaie solide…”
Aujourd’hui, il est important que les gens sachent la différence entre le franc CFA (Colonie française en Afrique), créé en décembre 1945 lorsque la France adhère au Fonds monétaire international (FMI) et l’actuel franc CFA (Communauté financière africaine), créé en 1962, suite à un accord entre la France et les pays africains de la zone. “Le franc CFA a des avantages et des inconvénients, mais c’est une monnaie solide parce que ce compte d’opération qui est au niveau du Trésor français, nous garantit de manière illimitée. C’est un accord unique au monde parce que cela nous permet de soutenir notre balance de paiement.
La balance de paiement est l’enregistrement de toutes les transactions économiques d’un pays avec l’extérieur. Par contre, la France profite de ce compte des banques centrales de la zone qui est au niveau du Trésor public français. C’est là que les Africains devraient réfléchir. Comment on peut avoir ce compte d’opération sans pour autant que la France ait une voix prééminente au niveau décisionnel de la conférence des chefs d’Etats de la zone ?”, a-t-il précisé.
Abdoulaye Camara, enseignant vacataire à la Fseg : “Aujourd’hui, il est important que nos décideurs pensent à mettre en place une monnaie unique pour l’Afrique… “
a monnaie est une institution à part entière. A mon avis, pour envisager un développement durable d’une nation, il faut que cette nation ait sa propre monnaie, en plus d’être accompagnée par une bonne gouvernance. “La sortie du franc CFA peut être une opportunité pour les pays de la zone parce que cette monnaie est très faible sur le marché international. Par exemple, si un commerçant de la zone CFA veut faire des achats à l’extérieur, il est obligé d’acheter une autre monnaie pour faire ses achats sur le marché international, par contre, si nous avons une monnaie commune cela nous qui permet de faire des échanges sans faire la devise et je pense que cela est très avantageux pour nous. Aujourd’hui, il est important que nos décideurs pensent à mettre en place une monnaie unique pour l’Afrique, s’ils veulent réellement qu’on dise notre mot sur le marché international comme le cas de l’Union Européenne”, a-t-il laissé entendre, avant d’ajouter qu’avoir une indépendance monétaire peut aussi favoriser l’économie d’un pays. Chaque année, selon lui, les pays de la zone CFA payent plus 3 000 milliards de francs CFA au Trésor français afin de garantir leur monnaie. Et cette somme-là peut être un moyen de financement de pour nos industries.
Souleymane Ouonogo, enseignant-chercheur : “On ne peut pas avoir une économie solide sans être indépendant financièrement et monétairement”
A mon avis, cette question remonte depuis fort longtemps depuis les Monétaristes et les Keynésiens, il y a certains des classiques qui pensent que la monnaie n’a ni impact ni influence sur l’économie réelle, tandis que les Keynésiens pensent que la monnaie a un rôle à jouer dans l’économie. Donc, ce débat est ancien. Mais concernant le franc CFA, j’aimerais dire qu’on ne peut pas avoir une économie solide sans être indépendant financièrement et monétairement. Avant de sortir du franc CFA, j’aimerais qu’on pose d’abord les conditions. C’est vrai, il faut poser des conditions liées à cette sortie. Ces conditions sont, entre autres, prôner une bonne gouvernance, lutter contre la corruption et la stabilité du pays. Imaginons dans des pays où il n’y a pas de bonne gouvernance, comment pourront-ils gérer leur banque centrale ? Cela peut entrainer une inflation galopante et les pauvres vont payer très cher. Au-delà de cet aspect, j’aimerais évoquer également que nos économies soient capables de résister aux chocs.”
Pour lui, “lorsqu’on commence à parler du débat sur le franc CFA, l’argument pour ceux qui soutiennent le franc CFA, c’est de dire que le franc CFA soutient nos économies. Comment soutient-il nos économies ? C’est faire face aux chocs. En cas de dévaluation du prix du pétrole ou du riz, le franc CFA vient en compensation. Quand on regarde réellement un autre aspect du franc CFA, c’est la partie impôt que les pays de la zone franc CFA payent au Trésor public français. Auparavant, ces pays de la zone franc CFA déposaient 70% de leurs recettes d’exportation au niveau du Trésor public français. Il y a eu des combats, des luttes et des négociations et cela est revenu à 50% actuellement. Nous pouvons aussi utiliser ses 50% qui logent au Trésor public français pour développer notre économie et développer nos industries. Donc, en regardant cet aspect, nous pouvons dire que le franc CFA est un handicap pour nos économies”, dit-il.
Bakary Berthé, enseignant à la Fseg : “Depuis 1994 jusqu’à aujourd’hui, le franc CFA est devenu une monnaie stable et c’est la monnaie la plus stable de l’Afrique”
De nos jours, il y a beaucoup de personnes qui interviennent sur cette question du franc CFA sans creuser le fond et savoir ce qu’est le franc CFA. “En réalité, depuis 1994 où il y a eu la dévaluation du franc CFA jusqu’à aujourd’hui, cette monnaie est devenue une monnaie stable. D’ailleurs, c’est la monnaie la plus stable de l’Afrique. Par rapport à cette stabilité, je peux dire que cela est un avantage pour les économies des pays de la zone CFA. A ce que je sache, cette monnaie ne peut pas être un handicap au développement d’une quelconque économie. La preuve en est qu’il y a certains pays de la zone CFA qui s’en sortent très bien, comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Maintenant, s’il y a un problème, je peux dire que c’est par rapport à la clause du contrat qui lie les détenteurs du franc CFA et le Trésor public français. Imaginons qu’au départ, cette clause du contrat nous obligeait à verser 60% de nos commerces extérieurs au niveau du Trésor afin de soutenir le franc CFA. Mais cette clause a été revue par les deux parties et aujourd’hui nous ne sommes plus qu’à 50%. Maintenant, si cela ne nous arrange plus, pourquoi pas renégocier encore ce contrat en mettant le taux à la baisse au lieu de jeter cette monnaie en bloc ? Si cette monnaie a des inconvénients, il faut reconnaître aussi qu’il y a des avantages que nous en tirons, ne serait-ce que par la stabilité pour cette monnaie.” a-t-il expliqué.
Il précise ensuite : “Si aujourd’hui on nous dit qu’il faut sortir du franc CFA, alors qu’avons-nous prévu pour remplacer cette monnaie afin que nous puissions nous développer ? C’est cette question qu’il faut se poser. Si nous prenons le cas du Mali, nous n’avons pas commencé par le franc CFA, on était dans le franc malien et nous avons vu que cette monnaie ne nous arrangeait plus et voilà pourquoi nous sommes revenus pour réintégrer le franc CFA dans les années 1984”.
Dossier réalisé par Mahamadou TRAORE
Source: Aujourd’hui-Mali