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Le Franc CFA en question !

Dans une contribution, publiée sur yop.l-frii.com, Moulay Abdelmalek Alaoui, économiste, consultant, patron de presse, éditorialiste et auteur marocain spécialiste de l’intelligence économique, ainsi que président de  think tank Institut Marocain d’Intelligence, estime qu’au cours des prochains mois, la vitesse à laquelle la réforme du Franc CFA sera opérée fera donc figure de test ultime pour l’Hexagone, non pas sur le terrain économique, mais sur un terrain plus âpre : sa perception par les africains. Voici l’intégralité de la contribution !

Pour appréhender les enjeux stratégiques autour du Franc CFA, un rapide retour en arrière s’impose. Jusqu’en 1960 et la vague d’indépendances africaine, cette monnaie commune s’appelait le « Franc des Colonies Françaises d’Afrique » avant d’être rebaptisée « Franc de la Communauté financière africaine ». L’acronyme restant le même, et le mot « Franc » étant conservé, peut-être faut il y voir le péché originel qui explique en grande partie la contestation que suscite cette monnaie depuis près d’une décennie.

De fait, Si les arguments relatifs au caractère néocolonial du franc CFA sont ancrés dans le débat politique des pays de la zone Franc depuis l’indépendance de ces nations, les critiques adressées à ce système se multiplient depuis le début des années 2010, période marquée par un affaiblissement de la confiance dans l’Euro consécutif à la crise des dettes souveraines européennes.

Une monnaie qui regroupe des pays aux structures économiques très hétérogènes

Sur le plan économique, les critiques portent sur le déficit de compétitivité-prix engendré par le maintien d’une monnaie forte, jugée déphasée par rapport aux réalités économiques de certains pays membres de la zone Franc. Des études empiriques, portées notamment par l’économiste togolais Kako Nubukpo, ont ainsi démontré un niveau de surévaluation du F CFA de l’ordre de 10%.

Ce déficit de compétitivité serait renforcé par le comportement des banques centrales régionales- la BCEAO et de la BEAC- accusées de frilosité pour maintenir la valeur du FCFA, quitte à renoncer aux politiques visant à soutenir la croissance économique. La politique monétaire des états-membres de la BCEAO est ainsi dictée par un programme monétaire annuel, qui octroie pour l’année un volume de liquidités précis à accorder par les systèmes bancaires nationaux aux économies.

Ce système, jugé rigide et peu adapté aux réalités économiques, représenterait ainsi un frein au développement économique des Etats de la zone Franc. Pour tracer un parallèle avec l’Europe, le Franc CFA peut faire penser à l’Euro lorsque le vieux continent traverse une crise économique : il n’a pas la même valeur selon qu’il soit en Allemagne ou en Grèce, car les deux pays ont un tissu productif et une structure d’endettement radicalement différents. Malgré cela, ils ont une monnaie en partage et donc une communauté de risque.

C’est toutefois sur le plan politique que se cristallisent la plupart des critiques adressées à la France par les Etat africains. En effet, l’imposition par le Trésor français du dépôt d’au moins 50% des réserves des banques centrales de la zone Franc est en effet jugé excessif par beaucoup et la France est fréquemment accusée de s’approprier les réserves de la BCEAO et de la BEAC pour financer son propre endettement.

Et ce, malgré la rémunération des sommes déposées au Trésor au taux avantageux de 0,75%. Ainsi, entre 2018 et 2019, du fait de ces taux favorables et de la conservation sécurisée des devises, les dépôts auprès du Trésor ont augmenté de 3,1 milliards d’euros.

Ainsi, l’argument d’accuser la France de se financer par ces dépôts, s’il est infondé, est particulièrement efficace pour fédérer contre le franc CFA au sein des États membres de la zone Franc. Il sera même exploité de manière assez baroque – et visiblement peu informé- par la Présidente du conseil italien, Giorgia Meloni, qui affirmait à la télévision en 2022 que « Le franc CFA est la monnaie coloniale que la France imprime pour quatorze nations d’Afrique. »

Un changement générationnel de dirigeants en Afrique de l’Ouest

Pour ses défenseurs, le Franc CFA agirait comme un « super-stabilisateur » dans une zone marquée par l’instabilité et l’incertitude. La stabilité de la gestion monétaire et budgétaire permise par la zone Franc constituerait un facteur d’intégration régionale et d’amplification des échanges entre les pays de la zone. Par exemple, plusieurs Etats membres de l’UEMOA et de la CEMAC font partie des pays les plus intégrés d’Afrique.

C’est notamment le cas du Sénégal, du Togo, du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire, qui se classent parmi les 20 pays les plus intégrés d’Afrique. Toutefois, les situations d’intégration économique restent contrastées au sein de la zone Franc, ce qui indique que le franc CFA ne peut, à lui seul, expliquer des situations d’avance en termes de commerce international pour certains pays de la zone.

Enfin, les unions économiques et monétaires permises par la zone Franc constituent un levier de contrôle de la politique budgétaire des pays membres, qui permet une maîtrise relative de l’inflation lorsqu’on compare leur situation avec celle d’états africains voisins. Ces arguments, toutefois, se sont fracassés sur l’autel de la géopolitique et de la vague de changement de leadership dans la zone Franc, que ce soit à la faveur de coups de force – Mali, Burkina Faso, Gabon, Niger, Guinée- ou via une transition démocratique comme récemment au Sénégal.

En réalité, cette nouvelle génération de dirigeants africains a construit son discours politique et son repositionnement géostratégique en s’appuyant sur un sentiment anti-français nourri par une gestion approximative par Paris des nouvelles réalités de son ancien pré-carré africain. Pour reprendre une formule saisissante de l’africaniste Christian Gambotti, le temps est peut-être venu d’en finir avec la « la fin sans fin de la Françafrique ».

Régulièrement annoncée depuis François Mitterrand, cette architecture complexe faite de faveurs mutuelles et d’intermédiaires parfois interlopes conceptualisée par l’inamovible conseiller de l’Elysée Jacques Foccart, n’a jamais réussi à se réinventer ni à trouver un modèle mutuellement bénéfique pour Paris et le Continent.

Le changement générationnel de dirigeants en Afrique a ainsi accéléré la vague de défiance à l’encontre de Paris, conduisant à une diversification des alliances dans laquelle des nouveaux entrants, majoritairement chinois et russes, ont réussi à investir un espace laissé vacant par Paris.

Au cours des prochains mois, la vitesse à laquelle la réforme du Franc CFA sera opérée fera donc figure de test ultime pour l’Hexagone, non pas sur le terrain économique, mais sur un terrain plus âpre : sa perception par les africains.

Moulay Abdelmalek Alaoui

Source : Le Capital

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