En parcourant les berges du Djoliba (le tronçon bamakois) de ce cours d’eau magistral, on assiste à un spectacle de désolation. En plus de l’occupation anarchique et illicite de ses berges par les habitations, ce sont des tas d’immondices que l’on voit ça et là, issus des ménages environnants, des cadavres d’animaux, mais aussi des tanneries artisanales qui y sont installées.
Cette activité très polluante à cause des matières chimiques utilisées dans le tannage de la peau de bêtes, produits des déchets aussi bien solides que liquides très toxiques, qui sont déversés directement dans le fleuve.
Pour se rendre à l’évidence, notre équipe de reportage s’est rendue sur le terrain. Nous sommes à Djicoroni Para, l’un des quartiers populaires de la Commune IV du District de Bamako, qui longe le fleuve Djoliba, du marigot Woyowayanko, jusqu’à la Cité administrative.
C’est aussi dans ce quartier, sur la berge du fleuve, que se trouve le dispositif de traitement d’eau de la Société malienne de gestion de l’eau potable (Somagep). Toute l’eau qui est traitée à ce niveau puis distribuée dans le réseau d’adduction d’eau de la ville de Bamako, est puisée dans le fleuve. Ces mêmes berges sont squattées par l’activité de maraîchage qui côtoie les déchets et autres ordures.
C’est le cas de Farima Camara. Cette maraîchère et ses collègues cultivent patate, menthe, gombos, aubergine le long des berges du fleuve Niger. Bourama Coulibaly, un autre maraîcher, témoigne que les gens viennent déverser les déchets dans le fleuve pendant la nuit. «Ma porte fait face au fleuve. Je paie un éboueur à 2.000 Fcfa par mois pour évacuer nos déchets», explique le sexagénaire, comme pour dire que le fleuve n’est pas un déversoir.
L’air meurtris et impuissants, les pêcheurs sont témoins oculaires des menaces qui guettent le fleuve Niger et leurs activités. «Quand nous tendons nos filets, ces ordures les envahissent et les endommagent souvent», explique le pêcheur Sanoussi Touminta. Le quinquagénaire rapporte que l’eau est aujourd’hui imbuvable à cause de la souillure. Même les poissons se font rares, déplore-t-il.
Fousseyni Keïta, enseignant à Djicoroni Para, habite à moins de cinquante mètres du fleuve.
«Les jeunes des quartiers riverains doivent mener des actions de veille pour empêcher les gens de venir déverser des ordures dans le fleuve. La mairie et l’État doivent nous aider financièrement et matériellement à mettre fin à ce fléau», plaide l’instituteur. Le pédagogue demande aux autorités de prendre des mesures visant à désinfecter l’eau des collecteurs avant qu’elles ne se deversent dans le fleuve.
Chargé des questions eaux et assainissements à la mairie de la Commune IV du District de Bamako, Bakary Diallo confirme que les déchets qui envahissent le fleuve sont des dépôts anarchiques déposés par des riverains. «Nous menons souvent des campagnes de sensibilisation.
Des partenaires financiers ont aidé la mairie à les évacuer quelques fois. Des plaques avaient été installées à certains endroits pour signaler que c’est interdit de déposer des ordures au bord du fleuve», affirme l’élu local. Donc, explique Bakary Diallo, ce sont simplement des actes d’incivisme à condamner.
Au regard de toutes ces réalités, la pollution du fleuve devient une grave menace sur la santé publique et l’existence de la faune aquatique. Plusieurs mesures législatives et règlementaires existent au plan institutionnel, pour lutter contre cette situation.
Pour assurer la mise en œuvre de la Politique nationale de la protection du fleuve Niger et suivre l’application des textes sur la pollution du fleuve, l’État malien a créé en 2002, l’Agence du bassin du fleuve Niger (ABFN). Selon l’ordonnance n°02-049-P-RM 29 mars 2002 portant sur sa création, elle a pour missions la sauvegarde du fleuve Niger, de ses affluents et de leurs bassins versants, sur le territoire de la République du Mali et la gestion intégrée de ses ressources.
À ce titre, l’Agence est chargée de promouvoir et de veiller à la préservation du fleuve en tant qu’entité vitale du pays. Elle a en charge la protection des écosystèmes terrestres et aquatiques, les berges et les versants, contre l’érosion et l’ensablement.
Ses autres missions portent sur le renforcement des capacités de gestion des ressources du fleuve, de ses affluents et de leurs bassins versants, la promotion et l’amélioration de la gestion des ressources en eau pour les différents usages, la prévention des risques naturels (inondation, érosion, sècheresse), la lutte contre les pollutions et nuisances et le maintien de la navigation sur le fleuve.
Au plan institutionnel, l’Agence doit entretenir des relations de coopération avec les organismes techniques similaires des pays riverains concernés. Elle est également tenue de concevoir et gérer un mécanisme financier de perception de redevances auprès des organismes préleveur et pollueur d’eau et d’utilisation de ces redevances.
Malgré l’existence de ce dispositif institutionnel, le fleuve Niger se meurt aujourd’hui. Il est et continue d’être victime de toutes sortes d’agressions (occupation illicite et anarchique des berges, érosion et ensablement du lit, pollution, etc.). La faune aquatique constituée à 80% de poissons, perd peu à peu son habitat. La qualité de l’eau est devenue inqualifiable.
À ce rythme, si rien n’est fait, le réveil des populations maliennes sera, un jour, brutal. Car, avec les effets néfastes du changement climatique qui impactent négativement son existence, on ne verra qu’une longue vallée poussiéreuse, qui jadis, a été la mère nourricière de tout une nation. Aujourd’hui à sec, le lac Faguibine en est une parfaite illustration.
N’Famoro KÉITA
Source : L’ESSOR