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Le film sur Gauguin aurait-il dû montrer sa pédophilie?

Le film “Gauguin-Voyage de Tahiti” avec Vincent Cassel n’évoque jamais l’âge de la muse du peintre en Polynésie. Elle avait 13 ans, lui 43.

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CULTURE – Le 20 septembre dernier, le film de Edouard Deluc sur Paul Gauguin sortait en salle. Intitulé “Gauguin – Voyage de Tahiti”, il se concentre sur les séjours du peintre en Polynésie, des voyages qui lui ont inspiré certaines de ses œuvres les plus connues. Mais il passe aussi sous silence un des aspects pourtant centraux de l’histoire du peintre: sa relation artistique mais aussi charnelle avec une jeune fille de 13 ans.

Dans le film de Deluc, c’est Vincent Cassel qui joue le rôle d’un Paul Gauguin de 43 ans, tandis que Tehura est incarné l’actrice Tuheï Adams, 17 ans. Mais à l’écran, son âge n’est jamais clairement évoqué. C’est d’ailleurs tout l’objet de la critique publiée le 21 septembre sur le site Jeune Afrique, “Gauguin – Voyage de Tahiti: la pédophilie est moins grave sous les tropiques”.

“Le film, on le comprend, tait le caractère pédophile des relations sexuelles de l’artiste, peut-on lire dans cette tribune largement commentée et partagée depuis sa publication. C’est d’ailleurs une jeune fille de 17 ans, Tuheï Adams, qui a été choisie pour interpréter Teha’amana (l’autre nom de Tehura, ndlr) aux côtés de Vincent Cassel. Ce faisant, il nie la violence de ce qui s’est joué dans ce coin de colonie française. (…) Tout se passe comme si les faits étaient moins graves parce qu’ils s’étaient déroulés très loin, sous les tropiques. Qu’on tente une minute d’imaginer un film célébrant la romance d’un quadragénaire atteint d’une maladie sexuelle avec une petite fille de 13 ans en Bretagne.”

Cette relation a pourtant été l’une des sources d’inspiration du peintre, qui a représenté la femme polynésienne dans plusieurs de ses tableaux.

Une question de contexte?

Gommée dans le film, la relation entre un homme de 43 ans et une fillette de 30 ans sa cadette n’est cependant pas un secret. Au contraire, elle est revendiquée par le peintre, qui dans son carnet de voyage “Noa noa” parle de Tehura comme d’une “enfant”, qui le “charme et l’intimide, l’effraye presque”.

Les mœurs de l’époque étaient-elles à ce point différentes que le terme de pédophilie serait impropre? “Gauguin s’est retrouvé avec des jeunes filles sur sa couche de 12 ou 13 ans. Si la pédophilie c’est la relation sexuelle d’un adulte avec un enfant, il faut s’entendre sur ce qu’est l’enfant. Mais dans une civilisation où la sexualité est extrêmement simple depuis toujours, est-ce qu’on peut penser les choses de la même manière?”, s’interrogeait déjà Michel Onfray en 2012. “Vu de l’Occident contemporain, la relation sexuelle d’un adulte qui s’appelle Paul Gauguin avec une petite fille de 12 ans, fut-elle Mahori, ça s’apparente à de la pédophilie ça c’est sûr.”

Qu’en était-il en 1891, dans les territoires polynésien, en pleine phase de colonisation? “Vu de l’occident de l’époque, on considère que ce sont des sauvages, Gauguin est un civilisé c’est un blanc, les nègres sont des choses, des objets, pas des personnes, on peut les tuer, on peut s’en servir sexuellement aussi. (…) Le contexte historique de la pédophilie à l’époque, ça n’a pas de sens”, analyse Michel Onfray.

Pourtant, comme le souligne Jeune Afrique, qui cite le géographe français Jean-François Staszak dans Gauguin voyageur “même à l’époque ‘l’âge de ses partenaires aurait valu la prison à Gauguin s’il avait été en métropole.'”

Dans Noa Noa, Paul Gauguin ne fait d’ailleurs que peu de cas de l’âge de sa compagne. Comme l’explique Alain Vicordelet, biographe et auteur de “Amours fous, passions fatales, 30 vies d’artistes” contacté par Le HuffPost, le peintre évoque Tehura comme “un retour à l’innocence perdue, au primitif. Il la considère comme une magicienne, le contraire des femmes occidentales pervertie par la société. Lui ne se voit pas du tout en pervers”, mais à l’opposé, à la recherche d’une pureté perdue par l’Occident.

C’est d’ailleurs en ces termes qu’il décrit lui-même en 1895 sa relation avec Tehura: “L’Eve de mon choix est presque un animal. Voila pourquoi elle est chaste, quoique nue.” Pour Alain Vircondelet, cette vision naïve du peintre est justement ce qui “l’exonère de toute culpabilité pédophile”.

Voilà pour la justification de l’époque.

Et en 2017?

En tournage à Tahiti, Edouard Deluc a dû faire face à un début de polémique mené par le collectif “Au nom de la morale”: “La vie de Gauguin à Tahiti a-t-elle été un exemple?”, demandait notamment le collectif, en référence à la vie débridée du peintre pendant son séjour. “On sait qu’il y a une réalité historique qui pourrait donner raison aux gens du collectif”, a répondu le réalisateur, à Tahiti-Infos. Il se trouve que la période que l’on travaille est beaucoup plus noble, dans la quête de Gauguin. Nous ne sommes pas du tout dans les problématiques amorales et sexuellement dégradantes qui ont pu se produire aux Marquises.(…) J’ai bien expliqué que ce n’était pas du tout un film à la gloire de Gauguin, mais un prétexte pour parler des Tahitiens, de l’histoire tahitienne au sens large.”

Cela suffit-il pour autant à expliquer que le film, tourné en 2016, fasse l’impasse sur ce sujet?

Selon Alain Vircondelet, cela peut tenir à deux choses, la première étant bien sûr un choix du réalisateur. “Gauguin-Voyage à Tahiti” “n’est pas un biopic”, a très tôt affirmé Edouard Deluc, mais bien une oeuvre issue de Noa Noa, le carnet de voyage illustré et rédigé par Gauguin lors de son premier séjour à Tahiti, entre 1891 et 1893. Carnet dans lequel Gauguin ne se présente jamais comme un “pervers”et où il fait de Tehura “une personne qui sait plus de chose que lui”, une divinité qu’il idolâtre.

Ensuite, passer sous silence cet aspect serait également une façon de ne pas focaliser les discussions autour de ce sujet de la pédophile. Un sujet tabou, aujourd’hui pénalement réprimé, mais qui reste délicat à aborder dans des œuvres pour le grand public.

Ce à quoi s’ajoute un dernier paramètre, intimement lié à la renommée des artistes. “Aujourd’hui, on est dans une société qui évolue sur le plan moral et qui donc a tendance à censurer ce qui ne l’était pas avant. On fait une exposition sur Balthus, sans s’attarder sur l’aspect de la pédophilie. C’est la même chose pour Gauguin, on ne va pas détériorer son image”, avance Alain Vircondelet. La pédophilie a ainsi été écartée des récentes expositions sur le peintre, notamment celle du Grand Palais en 2003 qui s’intéressait à ses voyages en Polynésie sans insister sur l’âge de la muse du peintre.

Quant à l’exposition “Gauguin l’alchimiste” qui doit ouvrir ses portes le 11 octobre prochain, elle s’intéresse cette fois aux méthodes de travail et aux expérimentations de l’artiste, dans la peinture mais aussi la sculpture, la gravure etc. Elle sera difficilement le lieu d’un débat sur la pédophilie.

Passer la relation pédophile de Gauguin sous silence serait donc politiquement correct, mais a aussi pour conséquence de dissimuler des aspects pas toujours flatteurs de certains grands artistes. Balthus, dont l’attirance sexuelle pour les jeunes filles est aujourd’hui établie, en a fait les frais. En ira-t-il de même pour de futurs biopics sur des personnalités aussi connues que Roman Polanski, aujourd’hui accusé d’agression sexuelle sur une mineure? Ou dans le cas du photographe David Hamilton, accusé d’avoir violé les jeunes filles qu’il prenait comme modèles?

Source: huffingtonpost

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