C’est une histoire qui aura fait couler beaucoup d’encre, comme d’ailleurs tous les litiges d’ordre domaniaux et fonciers au Mali. Après avoir traversé une forêt touffue de procédures judiciaires, il ne reste plus que le recours à la fiction et aux mises en scène dramatiques. Il va de soi que dans ce domaine le talent du cinéaste l’emporte sur l’aptitude des autres protagonistes de l’affaire.
L’histoire de la saga judiciaire entre le cinéaste Souleymane Cissé et une famille Diakité du vieux quartier de Bozola remonte à près d’une vingtaine d’années. Il s’agit, pour être plus précis de 18 années de procès à rebondissements au bout desquels Souleymane Cissé a définitivement perdu la guerre, suite à l’ultime décision de justice. Celle-ci émane de la Cour suprême où le célèbre cinéaste n’a pu obtenir que le Permis d’Occuper authentique de la famille de feu Bassa Diakité soit annulé au profit de celui non authentifié de feu Bayoussou Cissé.
Et pour cause, en plus du fait que le double de son titre de propriété est inexistant dans les archives du cadastre, les dépositaires de l’histoire des familles sont quasi unanimes sur un autre fait : c’est bien les aïeux de là famille Diakité qui ont accueilli ceux des Cissé dans la concession litigieuse. Ce qui a d’ailleurs inspiré aux plus facétieux des observateurs la schématisation suivante : « L’invité qui veut emporter le plat auquel il a été convié ». Sur la même affaire – et las de batailles judiciaires malchanceuses, Souleymane Cissé a récemment produit un film qu’il aurait pu intituler « L’invité ».
Mais il a choisi d’appeler ´O KA’ le court métrage pour lequel il a bénéficié de gracieuses contributions financières. Au détour notamment d’une mise en écran d’une problématique qui les tient tant à cœur, le célèbre scénariste de ‘Yelen’, de bonne source, a en effet sollicité et obtenu l’onction des plus hautes autorités dont le ministre des Domaines et le président de la République, qui ne se doutaient guère de ses intentions revanchardes. Car le film ‘O KA’ ne retrace en définitive que l’histoire du litige de Bozola vue par un protagoniste logiquement dépourvu de toute approche objective.
Et le réalisateur ne s’est point donné la peine de chercher ses personnages en dehors de son propre cercle familial. Les acteurs de circonstance seraient en clair des membres de la famille Cissé ayant appris à pleurer, chialer et attendrir le public floué sur le sort d’une famille injustement dépossédée de son patrimoine foncier. «Un véritable vaudeville que cette œuvre manipulatrice de M. Cissé», a commenté un connaisseur du cinéma sous le couvert de l’anonymat, après une première projection fortement contestée du film sur Africable. Mais le «vaudeville» n’a pu passer sur l’Ortm et pour cause : publier la version d’une seule partie du litige serait une intrusion injuste de la part d’une chaîne publique nationale.
Il n’en fallait pas autant, néanmoins, pour que Souleymane Cissé s’acharne de n’avoir obtenu la diffusion de son œuvre. Dont il a par ailleurs exigé la programmation aux heures de grande écoute sans convaincre de l’utilité publique de de son film. Seulement voilà : à l’Ortm les travailleurs n’ont pas oublié les menaces de poursuite judiciaire jadis proférées par le même réalisateur suite au passage de l’un d’une de ses œuvres sans son aval. Il nous revient qu’il avait à l’époque requis et obtenu le versement de la somme de 500 000 francs CFA contre le renoncement à une action judiciaire. Une raison pour moins solide de douter de la bienveillance du cinéaste, qui n’est pas homme à accepter aussi généreusement l’exploitation publique de ses œuvres.
En définitive, Souleymane Cissé de Yelen, de Fignè, entre autres est le talentueux et très enviable réalisateur qui a suscité tant d’admiration chez ses contemporains, celui du “Dernier vaudeville” est le manipulateur à qui on n’a nullement envie de ressembler. À moins de se racheter par un autre chef-d’œuvre plus impressionnant et respectable.
Abdrahmane Keita
Le Témoin