Les affirmations contenues dans le rapport annuel 2015 du Vérificateur Général (Végal) sur le patrimoine immobilier de l’Etat sont scandaleuses. Selon le document dont une copie a été remise au Président de la République le 10 octobre dernier, « il n’existe pas de données exhaustives et fiables sur ce patrimoine ».
Dans son rapport annuel 2015 rendu public il y a quelques jours, le Bureau du Vérificateur Général du Mali a vérifié, à la suite de la saisine du Premier Ministre à travers la lettre confidentielle n°0510/PM-CAB du 21 juillet 2014, les opérations de cession des bâtiments publics de l’Etat. Il s’agissait de s’assurer de la régularité et de la sincérité des ces opérations. Le rapport établit le rôle du ministre du Logement, des Affaires Foncières et de l’Urbanisme (MLAFU), de la Direction Générale de l’Administration des Biens de l’Etat (DGABE) et de l’Agence de Cessions Immobilières (ACI) dans la conduite de ces opérations.
L’ACI, selon le rapport, a reçu par mandat n°2013-001/MLAFU-SG du 25 juillet 2013, l’autorisation de procéder à la vente de certains bâtiments publics de l’Etat. Le rapport nous informe que le patrimoine immobilier bâti de l’Etat est constitué, d’une part, par les bâtiments légués par l’administration coloniale et, d’autre part, par les bâtiments réalisés par les gouvernements successifs de la République du Mali. « A cette date, il n’existe pas de données exhaustives et fiables sur ce patrimoine notamment sur le nombre exact de bâtiments publics de l’Etat à l’intérieur et à l’extérieur du pays », nous éclaircit le rapport annuel du Vegal. Cette gestion inadaptée et inefficace est rendue possible grâce à la mauvaise tenue de la comptabilité matière et la non-mise à jour du sommier de consistance du patrimoine bâti de l’Etat. On apprend qu’au cours de ces 10 dernières années, plusieurs bâtiments de l’Etat dans le district de Bamako ont fait l’objet de cession suite au changement de leur vocation ou en raison de leur situation au centre commercial dans le district. « Ces cessions n’ont néanmoins fait l’objet d’aucune évaluation tant sur le plan technique que financier par les services compétents », ajoute le rapport annuel du Végal.
2,96 milliards de FCFA pour le loyer des bâtiments en 2014
Les enquêteurs d’Amadou Ousmane Touré notent un paradoxe sur les plans budgétaire et financier dans la gestion du patrimoine bâti de l’Etat. « En effet, de 2012 à 2014, l’Etat, pour la gestion de son patrimoine bâti, a procédé à une inscription budgétaire annuelle moyenne de 500 millions de FCFA destinée aux travaux d’entretien et de réhabilitation des bâtiments. Parallèlement, l’Etat a développé une politique de bail de bâtiments des particuliers pour abriter ses services et loger les hautes personnalités. A la date du 31 décembre 2014, six cent quarante (640) contrats de bail sont en vigueur dans le district de Bamako, pour un loyer annuel cumulé de 2,96 milliards de FCFA, toutes taxes comprises. A cela s’ajoute la situation des baux pour abriter les bureaux et loger le personnel des missions diplomatiques et consulaires. Aussi, entre 2012 et 2013, les coûts engendrés par les travaux d’entretien desdits bâtiments sont en moyenne d’environ 450 millions de FCFA », détaille le rapport annuel du Végal.
La mission de vérification des opérations de cession des bâtiments publics de l’Etat a relevé de nombreux dysfonctionnements et irrégularités financières.
Le Ministre du Logement, des Affaires Foncières et de l’Urbanisme est épinglé à cause d’une série de manquements. Le rapport détaille que le Ministre en charge des Affaires Foncières a ordonné la cession ou la location des bâtiments publics sans décret pris en Conseil des ministres. « En violation des dispositions du Décret n°01-040/P-RM du 2 février 2001 déterminant les formes et conditions d’attribution des terrains du domaine privé immobilier de l’État, le MLAFU s’est uniquement référé aux lettres n°0653/PM-CAB du 21 mai 2008 et n°0236/PMCAB du 14 mars 2013 du Premier Ministre pour donner mandat à l’ACI en vue de la vente ou de la location des bâtiments administratifs au Centre commercial de Bamako. Or, lesdites lettres ne dispensent pas le ministère du respect de la procédure prévue en la matière », explique le rapport.
Sous-évaluation de la superficie d’immeubles : perte de 768,25 millions de FCFA
Le Ministre a donné mandat à l’ACI de vendre des immeubles non immatriculés. « La cession de cinq immeubles non immatriculés au Livre foncier, donc sans numéro de titre foncier, a été inscrite dans le mandat donné à l’Agence, en violation de la réglementation en vigueur. Cette situation affecte la sécurité des transactions y afférentes et le droit de propriété de l’Etat », précise le document qui reproche au chef du département d’avoir irrégulièrement inclus dans le mandat de l’ACI un immeuble faisant l’objet d’une hypothèque. « Il a fait figurer sur la liste des immeubles dont la gestion a été confiée à l’ACI un bâtiment ayant fait l’objet d’une hypothèque dans le cadre de l’accord de prêt entre une banque étrangère et l’État malien, relativement au financement des travaux de construction de la Cité Administrative de Bamako. Pourtant, l’ACI a cédé le bâtiment pour un montant de 1,45 milliard de FCFA en l’absence de la radiation de l’hypothèque consentie en faveur de ladite banque », constate-t-on. Le rapport du Vérificateur général dénonce aussi le recrutement irrégulier d’un expert privé par le ministre en charge des affaires foncières pour procéder au recensement et à l’expertise immobilière des bâtiments appartenant à l’Etat, alors que cette compétence relève de la Section Promotion Immobilière de la Direction Nationale de l’Urbanisme et de l’Habitat. Non seulement il y a le non respect de la transparence et le libre accès à la commande publique mais aussi le ministre a engagé l’État sans s’assurer de l’existence de crédit budgétaire nécessaire pouvant supporter les dépenses de l’opération d’expertise qui s’élèvent à 132,37 millions de FCFA. Cet expert immobilier, selon le rapport, a sous-évalué la superficie de certains immeubles. Cette sous-évaluation a entrainé une diminution des montants de mise à prix à hauteur de 768, 25 millions de FCFA.
Le Rapport a fait état de quelques manquements dans les opérations effectuées par l’ACI. « L’ACI n’a pas réalisé les études préalables à la construction de nouveaux bâtiments. Elle n’a pas élaboré des études ‘’d’avant-projets sommaires et détaillés’’ de bâtiments devant abriter les services publics affectés par les opérations de cession, conformément au mandat qui lui a été assigné. La non-élaboration de ces études ne favorise pas une exécution régulière du mandat. L’ACI n’a pas recouru à la vente aux enchères publiques lors de la cession des bâtiments publics. Elle n’a fourni aucune preuve de publicité donc de mise en concurrence des acquéreurs potentiels des bâtiments concernés. Cette non mise en concurrence a entaché la transparence des opérations de cession et a procuré des situations de privilégiés à certaines personnes physiques ou morales. L’ACI a cédé des bâtiments publics suivant un mode d’attribution illégal. Lors de certaines cessions, le mode ‘’location-accession’’ qui ne figure ni au nombre des modes d’attribution prévus par le Code domanial et foncier, ni dans le mandat donné par le MLAFU à l’ACI a été utilisé comme mode d’attribution », peut-on lire dans ce document disponible sur le site internet du Bureau du Vérificateur général.
Pas de dénonciations mais des recommandations
D’autres affirmations des enquêteurs du Végal font froid dans le dos. Selon le rapport, la Direction générale de l’administration des biens de l’Etat ne maîtrise pas le patrimoine immobilier de l’Etat. « La DGABE ne maîtrise pas le patrimoine immobilier bâti de l’Etat. Le sommier de consistance du patrimoine bâti de l’État, qui représente la base de données dans laquelle doit se trouver toutes les informations sur le patrimoine bâti de l’État, n’est pas tenu. L’absence de données exhaustives et fiables concernant ledit patrimoine peut être source de déperdition, d’occupation et d’exploitation illégales des biens de l’Etat », nous apprend le rapport. En plus, il est dit que la DGABE ne dispose pas de manuel de procédures, comme l’exige l’Instruction n°00003-PRIM-CAB du 21 novembre 2002 du Premier Ministre relative à la méthodologie de conception et de mise en place de système de contrôle interne dans les services publics.
Les recettes des ventes de bâtiments publics non reversés dans les comptes de l’Etat qui s’élevait à 3 441 176 336 de nos francs sont entièrement reversées au Trésor Public avant la fin de la mission. Le rapport établit des irrégularités financières de 4 209 426 336 sur les ventes effectuées par l’ACI pendant la période sous revue sur un total de 16 027 504 594 F CFA.
Le Bureau du Vérificateur général ne fait pas de dénonciations à la justice mais formule de nombreuses recommandations au ministre du Logement, des Affaires Foncières et de l’Urbanisme (MLAFU), à la Direction Générale de l’Administration des Biens de l’Etat (DGABE) et à l’Agence de Cessions Immobilières (ACI.
Chiaka Doumbia
Source: Le Challenger