Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

L’avenir politique au Mali : S’ADAPTER SANS SE DÉDIRE

 

Abubakar Shekau chef boko haram bandits armee terroriste islamiste

Tel est le difficile exercice que doit réussir l’État. Cela face à des événements et des interlocuteurs qui font bouger les lignes

A réalités nouvelles, contraintes nouvelles. Et surtout, comportements nouveaux. Ce constat relève quasiment de la tautologie, mais son évidence ne s’impose pas d’elle-même de manière uniforme à tous. Particulièrement lorsque les changements à accepter comportent leur part de lourdeurs, de restrictions et de renoncements. Particulièrement aussi lorsque l’observation des précautions demandées s’inscrit dans la durée. Particulièrement enfin lorsqu’un retour au statu quo ante n’est en aucune manière envisageable. En ces premiers jours de l’année 2016, un coup d’œil sur la planète montre que le temps reste toujours aux interrogations. Et qu’il faut agir résolument pour éviter que ces dernières se muent en inquiétudes, ou en incertitudes.
Un peu partout se produisent de nouvelles sautes d’humeur populaires, se fortifient des groupes de pression qui surfent sur les insatisfactions du moment, se font entendre des revendications naguère à la marge. Les conjonctures s’avèrent extrêmement changeantes et les tendances dominantes ont à peine le temps de s’installer qu’un événement plus ou moins inattendu oblige déjà à les reconsidérer. La nécessité pour l’État de s’adapter sans se dédire est donc là. Elle ne concerne pas le seul Mali, elle se partage dans de nombreux pays de la planète dont les autorités, elles également, sont à la recherche du ton juste et de la réponse adéquate.
Car dans une conjoncture qui voit les périls non seulement persister, mais aussi muter, le citoyen ordinaire ne se satisfait ni d’annonces, ni d’apaisements. Il exige de se sentir compris et protégé. Le temps politique qui était, il y a encore peu, raccourci par l’encerclement médiatique se trouve davantage rétréci par les pressions souvent contradictoires de l’opinion publique. Les exemples de ce phénomène ne manquent pas.
En Allemagne, Angela Merkel s’est brusquement trouvée singulièrement affaiblie par les violences impliquant des demandeurs d’asile et qui, dans la nuit de la Saint Sylvestre, ont spectaculairement secoué Cologne et d’autres villes allemandes. La chancelière a rapidement réagi par une ferme condamnation des actes perpétrés et par l’annonce de durcissement du régime d’expulsion. Mais elle n’a d’autres choix désormais que d’infléchir notablement la ligne courageuse qu’elle avait jusqu’ici observée en faveur de l’accueil des réfugiés syriens.

ENCORE COMPLEXE ET DIFFICILE. En France, c’est la gauche qui, contre toute attente, s’est opposée au chef de l’État issu de ses rangs sur le projet de déchéance de nationalité pour les binationaux nés français alors que le président de la République lui-même ne peut ignorer les sondages qui font émerger dans l’opinion une nette majorité de personnes favorables à l’application de mesures extrêmes contre les terroristes et leurs complices. Au Nigéria, le président Buhari affronte l’incompréhension d’une bonne partie de ses compatriotes devant la récente recrudescence des actions de Boko Haram alors que le chef de l’État avait annoncé, voilà quelques semaines, l’État islamique en Afrique de l’ouest « techniquement mis hors d’état de nuire ». Au Tchad qui a enregistré une diminution des ressources nationales liée la baisse du prix du pétrole et une montée des revendications sociales, les autorités voient des citoyens à la peine remettre en cause les interventions faites au Mali et au Nigéria, victimes des agressions djihadistes.
L’instabilité, qu’elle soit rampante ou traumatisante, restera donc au cours de la présente année, une préoccupation majeure pour les États qui l’auront affrontée en 2015. Il faut accepter le fait que le combat demeurera encore complexe et difficile, plutôt que miser sur une nette accalmie. Mais cette éventualité là, notre opinion ne se résigne pas à l’accepter totalement. Cela a été ressenti avec évidence à l’annonce de l’instauration de l’état d’urgence pour trois mois. L’accueil a été d’autant plus frais que la mesure tombait à la veille de la célébration du Maouloud et les fêtes de fin d’année. Et que contrairement aux fois précédentes, elle ne survenait pas dans une période exceptionnelle (comme 2013), ni ne faisait suite à un événement particulièrement meurtrier (comme les attentats de La Terrasse et du Radisson).
Il s’est donc ouvert une séquence de forte incompréhension notamment avec les responsables religieux musulmans qui avaient proclamé leur intention de maintenir les commémorations prévues de longue date. Les autorités, prenant en compte la méprise survenue, ont entamé une longue série d’explications pour faire comprendre que l’état d’urgence ne s’assimilait pas une interdiction des manifestations publiques, mais à une gestion plus attentive des rassemblements susceptibles de se voir violemment perturbés. La mise au point la plus nette à cet égard est certainement venue du ministre chargé de la Sécurité qui a insisté sur les pouvoirs accrus que la mesure accordait à ceux qui avaient pour mission de détecter et de neutraliser les éventuels porteurs de violence. Mais l’effort de communication gouvernementale n’a pas entièrement dissipé dans l’opinion la certitude que le politique avait cédé à la pression des leaders religieux. Cette analyse avait d’autant plus prospéré que les prises de positions de divers leaders musulmans survenait à la suite de la relève au du Procureur général auprès de la Cour d’appel, Daniel Tessougué.

LA TACTIQUE DU BRAS DE FER. Le magistrat, l’on s’en souvient, s’était fait remarquer en assimilant à une « apologie du terrorisme » certains propos tenus sur la radio Nyéta par le président du Haut conseil islamique. Tout en tempérant un peu plus tard la sévérité de ses propos, il avait cependant stigmatisé à la clôture de la dernière session des Assises de Bamako « la permissivité trop grande » accordée aux « discours religieux » et aux « comportements extrémistes ». Il avait aussi indexé les positions abandonnées par la laïcité dans notre pays ces dernières années, s’en prenant même à certaines dispositions du récent Code des personnes et de la famille. Les indices n’ont donc pas manqué pour que le départ du magistrat soit interprété comme une concession faite aux organisations musulmanes et consacrent un recul de l’État. La réalité, à notre avis, est plus complexe.
L’ancien Procureur avait un fonctionnement atypique pour le magistrat du Parquet qu’il était. En effet, de par son statut, il était placé sous l’autorité directe du ministre de la Justice et se voyait par conséquent implicitement imposé un espace de prise de positions bien moindre que celui dont bénéficie un magistrat du siège, indépendant par définition du pouvoir politique. Mais dans ses fonctions, Daniel Tessougué a laissé parler son tempérament de bretteur. Chaque circonstance solennelle offerte de prendre la parole représentait pour lui une occasion de développer ses thèmes favoris : le dépérissement des valeurs républicaines, la perte des repères sociétaux ou encore l’avilissement des gardiens de la morale. Tous ces discours qui bénéficiaient d’une forte résonnance médiatique, étaient très éloignés des thématiques plus attendues de lui, comme par exemple la dénonciation des cabales montées contre les décisions de justice, phénomène qu’il critiquait dans son dernier réquisitoire.
Le magistrat avait-il l’ambition en ces temps troublés d’être une des grandes voix du pays ? Certainement. En avait-il la possibilité ? Peut-être, mais en sachant jusqu’où aller trop loin et en recourant moins fréquemment à la tactique du bras de fer. Mais l’observation du principe de précaution constituait à l’évidence la dernière préoccupation du Procureur. Cela bien qu’il restait à la merci d’une perte de patience de sa tutelle. Et d’un soutien moindre de ses pairs. Il nous était revenu ces derniers temps et à plusieurs reprises les avis critiques de magistrats qui regrettaient de voir Daniel Tessougué réserver le meilleur de ses interventions à des sujets « libres » et n’accorder qu’une attention minimale aux thèmes relevant de sa fonction.

EN POSITION D’INITIATIVE. Les organisations religieuses musulmanes n’ont donc pas, à notre avis, joué un rôle déterminant dans le départ du Procureur, même si certains de leurs membres n’ont pas hésité à lui manifester une très violente antipathie. Il ne faut pas pour autant nier sinon la montée, du moins l’activité des différentes associations et regroupements religieux. Ces dernières avaient eu, après les présidentielles de 2013, l’ambition de jouer un rôle majeur dans la vie politique. Les résultats globalement modestes obtenus par les candidats aux législatives qui s’étaient prévalus de leur parrainage ont tempéré cette aspiration sans toutefois la faire disparaître. En attendant mieux, le religieux a rejoint les troupes de la société civile et accepté d’agir en force d’influence, et non en inspirateur direct de décisions.
L’équilibre ainsi instauré reste fragile, reconnaissons-le. D’un côté, notre pays a la chance de voir ses leaders religieux les plus influents cultiver la modération de ton et (malgré tout) une distance raisonnable avec les affaires publiques. De l’autre côté, ces mêmes dirigeants se montrent extrêmement regardants sur la considération qui doit leur être portée en retour de leur accompagnement. C’est pourquoi – et à cet égard, les cérémonies ont servi de révélateurs de leur humeur générale – les réactions, en réponse à tout ce qui peut ressembler à une discourtoisie de l’État, s’expriment en des termes vifs, parfois tout proches de la rupture. Ainsi que l’ont fait les différentes associations en maintenant catégoriquement les cérémonies du Maouloud avant même que ne soit levée l’équivoque sur l’interprétation de l’état d’urgence. Ainsi l’a fait Ousmane Chérif Madani Haïdara lors d’une conférence de presse en invoquant d’éventuelles représailles si l’État continuait à lui manquer de reconnaissance par rapport aux efforts qu’il déploie pour l’intérêt du pays. Ainsi l’a fait Cheick Soufi Bilal Diallo en dénonçant ce qu’il considérait comme une contribution gouvernementale dérisoire en faveur de sa communauté lors de la commémoration du Maouloud.
Faut-il déjà évoquer un affaiblissement de l’État devant des partenaires trop exigeants ? Il conviendrait plutôt de revenir à l’idée exprimée en début de la présente chronique. Les temps présents commandent à l’État de s’adapter sans se dédire. S’adapter à l’influence nouvelle conquise par certains de ses interlocuteurs incontournables à défaut d’être décisifs et aux réalités dont ceux-ci sont porteurs. Mais ne pas se dédire, c’est-à-dire de ne pas se transformer en sa propre caricature et de ne pas oublier qu’il demeure le premier ainsi que l’irremplaçable garant de la protection des démunis, de la sécurité des citoyens, de la défense de la moralité publique, du respect de l’équité sociale et de la préservation des équilibres sociétaux. Autant de missions dont ne peut s’approprier, ni devrait même songer à s’approprier aucun des acteurs émergents. Le véritable défi pour l’État est donc de rester en position d’initiative sur toutes ces questions. Et ce n’est pas le challenge le moins complexe à relever.

G. DRABO

source : Essor

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance