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L’avenir politique au Mali : LES CONVICTIONS CITOYENNES

Sur trois grandes questions, l’opinion se fait entendre et écouter. Une nouvelle société civile est peut-être en train de naître

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Si le phénomène se confirmait, il constituerait une sorte d’originalité historique. Il signifierait en effet qu’il aura fallu près d’un quart de siècle après l’avènement de la démocratie multipartite dans notre pays pour qu’émerge une société civile désireuse de s’organiser suffisamment pour avoir un avis qui porte et pour éventuellement peser sur la prise de décision des politiques. Faut-il y voir un effet indirect des événements au Burkina Faso ? Seulement en partie. Concernant l’insurrection du 30 octobre dernier, les analystes ont concentré leur attention sur le coup de fouet que l’événement a donné à diverses oppositions africaines et sur l’inquiétude qu’il a créée au sein des cercles prônant des réaménagements constitutionnels d’opportunité. Ils n’ont sans doute pas prêté l’attention qu’il mérite à l’effet que l’exemple burkinabè pourrait produire sur les sociétés civiles africaines ne nourrissant aucun projet de contestation radicale, mais désireuses de donner une vraie résonnance aux attentes des sans voix. Ceci dit, la montée en puissance de la société civile malienne date surtout des premières grandes marches réussies en faveur de la préservation de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale. Le signal en avait été donné par un collectif d’une quarantaine d’associations qui avait réuni le 24 septembre dernier des dizaines de milliers de Bamakois sous le slogan « Maliba té tila (le Grand Mali est indivisible) »

L’initiative qui a largement fait tache d’huile n’a aucun équivalent comparable dans l’histoire de la démocratie malienne. En effet, notre pays n’a pas échappé à la spécificité qui a marqué, à l’orée des années 1990, l’ouverture démocratique dans les Etats africains et qui a vu l’accaparement de l’avant-scène publique par les forces politiques au détriment de la société civile. Cette dernière porte une grande part de responsabilité dans son propre effacement. En effet, les associations qui dans la plupart des pays concernés avaient mobilisé les citoyens contre les autorités en place ont par la suite presque toutes cherché à participer activement à l’exercice du nouveau pouvoir. Chez nous, la manière même dont la Transition malienne a organisé son déroulement a fortement encouragé cette tendance. Le Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP), qui était tout à la fois l’organe législatif et surtout l’organe suprême de la période transitoire, a intégré en son sein militaires putschistes et représentants du Mouvement démocratique. Ce faisant, il s’est automatiquement transformé en laboratoire de gestion des affaires publiques pour des forces qui auraient dû plutôt se positionner en sentinelles et en contre-pouvoirs.

 

     DANS UNE RÉPONSE SOLIDAIRE. Presque toutes les composantes civiles du CTSP cherchèrent donc à se donner un avenir politique dans la IIIème République. Les associations démocratiques – Adema et CNID – créèrent par scissiparité des partis quasi homonymes, une personnalité des plus connues du Mouvement démocratique – Me Demba Diallo – se libéra de la direction de la Transition pour descendre dans l’arène de la présidentielle alors que l’Association des élèves et étudiants du Mali multipliait les initiatives et les annonces indiquant qu’elle ne se priverait ni de peser sur les décisions intéressant l’école, ni d’être au besoin le censeur des orientations que prendrait le futur pouvoir politique. Cette extrême politisation des positionnements, qui a secrété l’atmosphère tumultueuse des premières années de la IIIème République, résulte pour beaucoup de l’incapacité de la société civile à dégager un contingent d’acteurs publics à la fois influents et neutres.

Dans les premières années de la IIIème République, il n’y eut que deux situations dans lesquelles la société civile, ou plus précisément une partie de celle-ci, a réussi à s’affirmer dans un rôle déterminant et dans une fonction pondératrice. Le premier événement se situa en janvier 1994 après que soit survenue le 12 de ce mois là la dévaluation de 50% du franc CFA. Le gouvernement, pour éviter une flambée générale et incontrôlée des prix (qui se produisit effectivement chez certains de nos voisins de la sous-région), décida le 13 janvier d’un gel des prix des produits de première nécessité et des hydrocarbures. Mais la mesure, même si elle était sur le coup opportune, ne pouvait être tenable sur la durée puisque les opérateurs économiques auraient inévitablement riposté en créant la pénurie. Dans le dialogue qui s’engagea avec les autorités, les partenaires sociaux acceptèrent de s’impliquer dans une réponse solidaire à la situation d’exception. Darhamane Hamidou Touré, alors président de la Chambre de commerce et d’industrie du Mali, s’investit dans une longue négociation avec les acteurs du marché pour que les incontournables augmentations sur divers produits stratégiques puissent rester dans des proportions supportables. L’Union nationale des travailleurs du Mali accepta de son côté de réduire ses exigences rendues publiques le 24 janvier et qui concernaient le paiement immédiat et intégral des arriérés d’avancement accumulés de 1987 à 1993, l’augmentation générale des salaires de 50% et le rabattement de l’impôt général sur le revenu de 50%.

Le consensus laborieusement obtenu permit à l’Exécutif d’énoncer le 30 janvier les mesures d’accompagnement qui devaient atténuer les effets de la dévaluation : une augmentation du prix au producteur du coton, l’augmentation des salaires de 10%, ainsi qu’une hausse « négociée » du prix des hydrocarbures et des produits de première nécessité. Dans un contexte d’extrême tension – les escarmouches meurtrières se poursuivaient au Nord du pays et le front scolaire se mettait sporadiquement en ébullition – l’esprit de raison démontré par les acteurs sociaux aura certainement évité que le drame ne s’ajoute à l’épreuve.

La deuxième situation dans laquelle les efforts de certains acteurs de la société civile ont été largement déterminants a été suffisamment évoquée dans cette chronique pour qu’il ne soit plus besoin d’y revenir en détails. Il reste cependant indispensable d’insister sur le rôle parfois décisif joué entre 1994 et 1995 par les leaders d’opinion et par les autorités traditionnelles du Septentrion pour éteindre les braises qui couvaient sous la cendre, pour accélérer la réconciliation entre les communautés meurtries et pour rapprocher les groupes armés antagonistes. A vingt ans de distance, le rappel de cette influence des « non étatiques » sur les événements fait ressortir encore plus nettement la difficulté qu’éprouve aujourd’hui la société civile du Nord du Mali à faire passer ses analyses, ses mises en garde et ses doléances. Les acteurs qui sous l’occupation s’étaient organisés en comités de crise pour tenter de maintenir un minimum de normalité au bénéfice de leurs communautés, ont été trop souvent supplantés par des légitimités autoproclamées et jouant de leur proximité avec les centres de décision.

 

       LA SURABONDANCE D’INFORMATIONS. En outre, le souvenir des excès enregistrés entre 2012 et 2013 rend plus compliqué le rétablissement du vivre ensemble. Sans oublier – et la phase II du processus d’Alger l’a bien démontré – que les groupes armés ont tenté de renforcer leur supposée représentativité en s’assurant de la présence à leurs côtés d’un nombre significatif de chefs traditionnels. Dans le traitement du problème du Nord du Mali, on retrouve donc dans une certaine mesure l’imbrication politique – société civile telle que cette dernière avait marqué une certaine période de la Transition de 1991-1992. Mais cette imbrication avait auparavant ressurgi comme tendance après que les associations islamiques eurent mené en 2009 une campagne spectaculaire et victorieuse contre le Code du mariage et de la famille, code dont certaines dispositions allaient, à leur analyse, à l’encontre des valeurs traditionnelles de notre société. Le blitzkrieg social et surtout l’impressionnante foule de simples citoyens que ce combat mobilisa allaient inciter quatre ans plus tard les organisations religieuses musulmanes à s’impliquer dans la campagne pour la présidentielle à travers un maillage serré de l’électorat populaire, notamment urbain. Mais l’objectivité oblige de reconnaitre que contrairement à des inquiétudes largement exprimées, cette particularité de la campagne électorale 2013 n’a eu par la suite aucune conséquence ni dans la conduite des affaires de l’Etat, ni dans les grandes options faites par le président de la République.

Aujourd’hui, on sent une volonté de larges pans de la société civile de devenir sur d’autres sujets un acteur majeur de la vie publique. Cette volonté est sous-tendue par le désir d’influer sur les réponses qui seront données à un certain nombre de questions estimées prioritaires par l’opinion publique. Dans notre rubrique de la semaine passée, nous avions évoqué deux de ces grands questionnements, l’irruption de la fièvre Ebola dans notre quotidien et la reprise des pourparlers sur le Nord du Mali à Alger. S’y ajoute une troisième, la suite à donner au dossier des éventuelles irrégularités commises dans l’acquisition de l’avion de commandement et des équipements militaires. Le paradoxe vient de ce que concernant deux de ces trois dossiers – ceux du Nord et des éventuelles irrégularités – le trouble du grand public provient non pas de l’opacité, mais de la surabondance d’informations.

Mais ces informations n’ont pas été suffisamment contextualisée et elles ont très souvent produit des commentaires dominés par l’émotionnel. La force acquise par ces commentaires rend inaudibles les explications données ensuite et qui, sans nier la gravité des interrogations soulevées, permettraient de ramener les faits à une plus juste proportion. C’est pourquoi, par exemple, dans le dossier des acquisitions, ni le bémol formulé par des acteurs de la justice, ni les explications fournies par certains protagonistes ne sont parvenus à atténuer l’impression première créée par le rapport provisoire du Vérificateur général. Or les mesures rectificatives prises après les anomalies relevées par le FMI sont déjà considérées comme conséquentes par les plus importants de nos partenaires.

 

     LA CRAINTE DE LA DISLOCATION. De même, la religion de la quasi totalité des animateurs de la nouvelle société civile – tout comme celle d’une majorité de l’Assemblée nationale du Mali – paraît être faite sur le document dénommé «  Eléments pour un accord pour la paix et la réconciliation au Mali  ». En effet, l’attention et le rejet se sont focalisés sur les plus discutables (dans tous les sens du terme) des propositions contenues dans la synthèse proposée par la Médiation. Le document a été en fait perçu à travers le prisme de deux convictions devenues quasiment indéracinables au niveau de nombreux Maliens et qu’ont relayées les différentes associations de la société civile. Primo, le traitement préférentiel accordé aux Régions du Nord du Mali au cours de la double décennie écoulée n’a pas empêché une résurgence de la rébellion. Donc renouveler en l’accentuant cet effort particulier serait parfaitement inutile et ne ferait qu’aggraver la frustration éprouvée par les citoyens du reste du territoire national. Secundo, les rebelles bénéficieraient de protections occultes qui seraient principalement intéressées à s’accaparer les richesses minières du Septentrion. Il serait donc indispensable de s’opposer résolument à la machination en marche qui miserait sur le retour des djihadistes pour contraindre le Mali à un accord de paix désavantageux.

La société civile, principalement issue du mouvement « Maliba té tila », est venue la semaine dernière expliquer ses objectifs au chef de l’Etat tout comme celle représentée dans la Coordination des quinze associations qui s’exprime par communiqués péremptoires et celle qui s’est alliée aux jeunes des partis de la majorité et de l’opposition pour former la plate-forme « An té son » font entendre les mêmes alarmes : la crainte de voir l’impunité s’installer et celle de payer la paix au prix de la dislocation du pays et de la fragmentation du vivre ensemble. L’inquiétude et l’indignation constituent donc le moteur de ces groupes qui étendent l’impératif de justice à l’identification des responsabilités qui sont à l’origine de l’accroissement du péril de l’épidémie Ebola dans notre pays.

Le président de la République, qui a reconduit auprès des partis de la majorité et de ceux de l’opposition les thèmes d’échange avec la société civile, a donc pu mesurer l’intensité de l’attente et aussi de la détermination de ses interlocuteurs venant d’une large palette de corps sociaux. L’appréciation des décisions à prendre reste l’apanage absolu du chef de l’Etat qui demeure l’arbitre ultime dans une situation des plus complexes. Un arbitre qui se déterminera certainement en fonction d’une réalité dont il a pu vérifier la vigueur : en ces temps incertains, rien de ce qui leur apparaît comme impératif national n’est aujourd’hui indifférent aux simples citoyens.

G. DRABO

 

SOURCE / ESSOR

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