Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

L’avenir politique au Mali : LE POUVOIR ET L’INFLUENCE

C’est surtout la vision qu’ils ont sur la place à tenir et le rôle à jouer qui a divisé les protagonistes du dernier congrès du HCIM

Pour reprendre une formule célèbre, cette grille de lecture porte en elle la polémique comme la nuée porte l’orage. Elle est privilégiée par les journalistes et les politologues du Nord qui y trouvent un incontestable confort d’analyse. Elle exaspère, par contre, les intellectuels et les opinions publiques de nombreux pays du Sud qui la dénoncent comme une stigmatisation insidieuse aux effets de plus en plus ravageurs. Depuis la tragédie du 11 septembre 2001 et le nouvel ordre idéologique qui en a implicitement découlé, la théorie d’une prégnance grandissante de l’Islam sur les comportements, sur le mode de pensée et sur la conduite des affaires publiques est fréquemment invoquée lorsqu’il s’agit d’interpréter l’émergence de phénomènes inédits en Afrique, en Asie, en Europe et au Proche-Orient. Les analystes occidentaux se hâtent chaque fois de préciser qu’il s’agit d’un « islam radical, contraire aux us et aux traditions des populations » et sur la montée en puissance duquel il y aurait toutes les raisons de s’inquiéter.

MAHAMOUD DICKO HAUT CONSEIL ISLAMIQUE HCI

 

Mais cette précaution de langage n’apaise pas les débats, bien au contraire. Elle avait, par exemple, littéralement révulsé les participants à un atelier organisé en début d’année à Bamako sur la meilleure manière de contrer la propagation de « l’idéologie islamiste » en Afrique de l’ouest. Les experts maliens, nigériens et togolais avaient unanimement rejeté la formulation faite par les organisateurs européens. Quelques-uns parmi les plus érudits se chargèrent d’expliquer aux partenaires que rien dans la lettre, ni dans l’esprit du Coran ne prédispose à la radicalité. Et que les excès naissent de pratiques déviantes. Mais il faut bien se résigner à admettre que les efforts faits des deux côtés pour lever les malentendus et corriger les perceptions parlent moins fort que les actes de violence qui meublent l’actualité dans certaines parties du monde et qui, malheureusement, accentuent l’incompréhension réciproque.

L’attitude la plus saine à adopter vis-à-vis de ce problème n’est donc pas de s’épuiser à vouloir démanteler totalement la citadelle des préjugés, mais de s’intéresser à la complexe évolution du monde musulman pour mieux comprendre ce que cette évolution comporte d’implications du point de vue aussi bien de la gouvernance que des répercussions sociétales. Contrairement à ce que beaucoup pourraient penser, la réflexion sur ce sujet est très avancée au niveau des chercheurs maliens et africains dont les travaux gagneraient certainement à être mieux connus. L’ouvrage « L’Afrique des laïcités », présenté il y a quelques semaines dans notre capitale, constitue une excellente porte d’entrée pour ceux que la problématique intéresse, tant par la qualité des contributions qui y sont proposées que par l’étendue du champ géographique couvert par les auteurs (presque tout l’Ouest africain francophone, le Gabon et le Maroc).

UN ÉVÉNEMENT TRÈS ATTENDU. Le pluriel utilisé dans le titre est édifiant. Correctement décrypté, il signifie que chacun  des pays africains de l’espace francophone étudié s’est approprié à sa manière de la lettre, mais jamais entièrement de l’esprit, d’un principe (celui de la laïcité) forgé hors des réalités de notre continent africain et qui par une certaine automaticité institutionnelle s’est trouvé inscrit dans de nombreuses Constitutions. La laïcité à la française qui s’est fortifiée dans une longue confrontation entre l’Eglise et l’Etat n’a jamais été appliquée dans sa signification hexagonale par les pays africains où les relations entre le pouvoir politique et les cercles religieux revêtent des formes plus subtiles. Et plus changeantes. De fait, pendant des années dans presque tous  les pays francophones ouest-africains, le nôtre y compris, le débat sur la mise en œuvre de la laïcité s’est déroulé dans une atmosphère volontairement feutrée. Au Mali, la nature du régime politique est pour beaucoup dans l’évolution des rapports entre le pouvoir et la religion. La Ière République, en raison de l’orientation socialiste prise, n’avait montré aucune prédisposition à ouvrir au religieux une sphère d’influence dépassant le domaine de la vie privée.

La IIème République adopta une attitude ambivalente. D’un côté, elle se montra sensible aux sollicitations de certains responsables musulmans en instaurant la fermeture des bars et des boîtes de nuit pendant la période du Ramadan. De l’autre, le régime du parti unique s’opposa au pluralisme officiel des associations religieuses musulmanes. Il confia à l’Association malienne pour le progrès et l’unité de l’Islam (AMUPI) l’exclusivité de représentation de la communauté musulmane et la veille sur l’exercice du culte (réglementation des prêches, établissement du calendrier des fêtes religieuses). En retour, l’Association se tenait soigneusement à l’écart du fait politique. Ce fut ainsi que la fonction de « voix des sans voix » fut assumée par l’archevêque de Bamako, Mgr Luc Sangaré, dont les adresses délivrées lors de la cérémonie de présentation des vœux au chef de l’Etat constituaient un évènement très attendu. En effet, le prélat dans un style jusqu’ici inimité restituait les grandes alarmes socioéconomiques du pays et administrait ses admonestations courtoises aux autorités en place.

Le paysage et les pratiques ont complètement changé avec l’avènement de la démocratie multipartite, avènement auquel avaient pris part les associations de jeunes musulmans qui contestaient l’hégémonie de l’AMUPI. Aujourd’hui, et d’après le dernier recensement officiel opéré, on compte sur le territoire malien 106 associations religieuses d’importance inégale régulièrement enregistrées. C’est sans doute cette impressionnante éclosion qui a nécessité la création du Haut conseil islamique du Mali (HCIM) à qui revient un rôle de coordination. Rôle que l’institution joue avec de plus en plus de difficultés ces dernières années, avec la lutte d’influence de moins en moins feutrée que se livrent les différentes confréries et associations. Dans un contexte démocratique qui offre aux acteurs du champ religieux une très large liberté d’expression et qui leur a considérablement élargi le domaine des initiatives possibles, deux questions majeures se sont logiquement posées aux associations musulmanes, celle du renforcement de leur influence dans la vie publique et celle de leur capacité à peser sur la décision politique.

 

À HUIT ANNÉES D’INTERVALLE. La réponse au premier questionnement ne présente aucune espèce de difficulté. Comme nous le précisions plus haut, la laïcité africaine s’est toujours nettement démarquée de la laïcité française. Au Mali, le religieux n’a jamais strictement cantonné son action à la sphère de la vie privée. Il intervient de manière substantielle dans le conseil et dans la médiation pour des problèmes qui dépassent largement le cadre de la famille pour concerner la communauté, voire la nation toute entière. Ainsi, il n’est pas de crise sociale majeure survenue dans notre pays depuis 1991 dans laquelle les autorités religieuses (toutes confessions confondues) n’ont pas apporté leurs bons offices dans la recherche d’une solution d’apaisement.

En outre, les associations les mieux organisées ont notablement investi le domaine de l’appui aux couches les plus démunies. Ce qui les rend incontournables dans l’examen des dossiers concernant ces communautés précaires. En ce qui concerne la seconde question, elle a enregistré deux faits très significatifs à huit années d’intervalle et sur le même sujet. En 2001, s’est produit ce qui pourrait être considéré comme un événement fondateur, le meeting organisé par les femmes musulmanes au palais de la Culture pour rejeter le projet de Code de la famille et de la personne qui devait être incessamment transmis à l’Assemblée nationale. 2009 a enregistré, pour sa part, ce qui pourrait être dénommé un événement d’ancrage, l’organisation par le HCIM du meeting monstre au stade du 26 Mars contre l’adoption du même texte par le Parlement.

A chaque fois, les autorités ont été obligées de reculer. Dans le premier épisode en suspendant sine die la transmission du texte qui avait pourtant passé l’épreuve des concertations locales et régionales ainsi que de la synthèse nationale selon le schéma de la démarche inclusive instaurée par le président Konaré. Dans le second, en faisant procéder par l’Assemblée nationale à un second examen de la loi contestée. Une caractéristique importante est à relever. Dans les deux situations, le pouvoir politique avait sous-estimé aussi bien l’importance des amendements proposés par les associations musulmanes que la détermination de celles-ci à voir leurs remarques prises en compte ainsi que leur capacité à mobiliser au-delà du cercle de leurs membres.

C’est d’ailleurs cette capacité de mobilisation démontrée en deux épisodes emblématiques qui a incité certaines associations à se tester depuis 2002 dans les élections présidentielles et législatives. Avec au final des résultats variables. Avec surtout un constat indiscutable. La consigne de vote donnée par les associations religieuses n’a de chances d’être massivement prise en compte que si elle se fait en faveur de personnalités jouissant déjà d’une adhésion populaire avérée. Cela s’est tout particulièrement vérifié avec le candidat Ibrahim B. Keïta qui, entamant la compétition avec une côte d’adhésion très haute, a vu celle-ci se renforcer davantage grâce à l’accompagnement de certaines associations et grâce notamment à l’abattage des femmes musulmanes dont de nombreuses adhérentes proviennent des catégories socio-professionnelles modestes.

 

LA CONVICTION PERSONNELLE PRIME. Deuxième constat qui complète le premier : la politique classique a repris ses droits lors des législatives qui ont suivi, le front des associations religieuses et alliés s’est fissuré sur la tactique à adopter et s’est divisé sur les candidats à appuyer. Ces deux remarques, appuyées par les performances relativement modestes réalisées en 2002 et en 2007, permettent de conclure que les associations religieuses ne disposent pas (encore) d’un électorat captif d’une importance déterminante et qu’en matière de vote la conviction personnelle prime toujours chez nos concitoyens sur le respect d’une éventuelle consigne.

Ceci constaté, il convient de prendre en compte à sa juste mesure la montée en influence des associations religieuses. Ces dernières disposent d’une indiscutable capacité de persuasion et de mobilisation lorsqu’elles prennent en charge une thématique sociale forte comme ce fut le cas pour le Code de la famille et dans une moindre mesure pour l’abolition de la peine de mort en 2007. Il convient aussi de ne pas oublier certaines initiatives courageuses prises lors de la crise de 2012-2013. Les autorités religieuses de Tombouctou et de Gao ont fait front contre les thèses obscurantistes qu’avaient tenté de faire accepter les occupants djihadistes. Ces autorités ont symbolisé à un moment très difficile l’attachement de notre pays à une pratique pondérée de l’Islam, pratique grâce à laquelle le Mali a su jusqu’aujourd’hui raison et personnalité garder.

Toutes ces réalités doivent être rappelées au moment où les confréries et les associations religieuses n’ont pas encore nettement tranché dans les réponses à donner quant au rôle qu’elles veulent jouer. Certaines, fortes de leur audience et du poids de leurs adhérents, préfèrent rester dans l’influence, se sachant incontournables pour le pouvoir politique et estimant que leur principale force reste la distance critique qu’elles gardent vis-à-vis de toute autorité. D’autres jugent le moment venu de se rapprocher des centres d’élaboration de décision et d’intégrer la machinerie politique sans abandonner leur idéal de base. Au-delà des subtilités doctrinales, ce sont donc deux visions sur l’évolution du religieux qui s’affrontent. Les divergences de vue et d’approche des deux courants ont singulièrement compliqué la préparation et le déroulement du 2ème congrès du HCIM.

La laborieuse préservation de la cohabitation qui a clôturé les travaux représente sans doute la solution de raison. Mais elle établit surtout une trêve et n’éteint pas les fortes contradictions qui continuent d’opposer les divers camps. Un rôle majeur échoit désormais au président Mahmoud Dicko. Fin tacticien, il se sait dans la position du « primus inter pares » (premier parmi les égaux) et basera l’exercice de sa fonction sur l’équidistance qu’il observera entre les différentes sensibilités. L’exercice sera contraignant à l’extrême. Mais s’il réussit, il ferait exister le HCIM pour ce que ce dernier doit être : un réducteur de conflictualités.

G. DRABO

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance