Emergence, neutralité carbone, financement, dette, inflation… Si le Sud global a prévalu pendant les assemblées du Fonds monétaire internationale (FMI) et de la Banque mondiale, l’Afrique – hôte de ces réunions pour la deuxième fois de l’histoire – était au cœur des échanges. A quelles fins ?
En septembre 1973, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale tenaient leurs assemblées annuelles à Nairobi, au Kenya. C’était une première pour le continent africain. Le monde était en proie à ce que le président Jomo Kenyatta qualifiait de « mal de l’inflation et de l’instabilité ». Il alertait d’ailleurs sur « la nécessité [d’y] trouver un remède ». Aujourd’hui, 50 ans plus tard, le continent a de nouveau accueilli ces réunions d’envergure à Marrakech, au Maroc, du 9 au 15 octobre. L’inflation et l’instabilité sont d’actualité, au gré des chocs géopolitiques qui ancre la multipolarisation du monde –« une dangereuse divergence » après la mondialisation selon la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva. Résultat : la croissance mondiale en 2023 (3%) et 2024 (2,9%) devrait ralentir, comparé à l’an dernier (3,5%).
« Le Maroc a porté la voix de l’Afrique »
Si certaines problématiques sont réapparues avec une relative acuité pour certaines régions du globe, l’Afrique qui a reçu le monde à Marrakech n’est certainement pas celle d’il y a cinquante ans. Un paramètre que le pays hôte a clairement mis en exergue. Le royaume chérifien qui sort d’un séisme dévastateur, il y a un mois, a pu tenir les promesses de l’organisation de cette grand-messe du développement qui a accueilli 14.000 participants, confirmant une fois de plus le caractère résilient des économies africaines, dont la croissance régionale devrait se situer au-dessus de la moyenne mondiale, selon les prévisions du FMI. « Le Maroc – qui était là pour porter la voix de l’Afrique – a été très professionnel dans l’organisation et la qualité des débats », s’est félicitée samedi face à la presse Nadia Fettah Alaoui, ministre marocaine de l’Economie et des Finances.
Certains des plus gros industriels africains évoluant dans le domaine pharmaceutique, des énergies, de la finance ou de la technologique – ayant parfois même conquis des marchés en Europe, en Amérique, en Asie ou au Moyen-Orient – se sont joints aux acteurs du développement pour évoquer notamment les multiples réalisations sur le continent, mais aussi les ambitions locales qui, selon eux, ne bénéficient pas toujours de l’écho mérité.
« L’avenir du monde »
D’ailleurs Ajay Banga, président de la Banque mondiale, n’a cessé de reconnaitre ce bond en avant, réitérant ce qui émerge récemment comme une certitude pour de nombreux experts. « L’Afrique est l’avenir du monde », a-t-il déclaré lors d’une conversation avec le milliardaire soudanais Mo Ibrahim. « Si nous ne le construisons pas de la bonne manière, ce ne sera pas un bon avenir pour les générations futures », a-t-il ajouté, soulignant le potentiel du continent en termes de démographie et de jeunesse.
L’équation Energies – Développement économique
Une fois que cela est dit, la question se pose quant à la problématique de l’énergie dans un continent au cœur de la bataille du développement, dont 600 millions d’habitants sont encore privés d’électricité, facteur indispensable pour atteindre les objectifs de développement et éradiquer la pauvreté. Un contexte qui persiste, au moment où le défi des changements climatiques pousse les ONG à réclamer la fin du financement des énergies fossiles qui représentent pourtant un pilier pour de nombreuses économies africaines et qui ont permis à l’Occident d’atteindre son niveau de développement actuel. Ces organisations ont d’ailleurs mené des sit-in sur le campus des assemblées à Marrakech, interpellant les institutions de Bretton Woods.
De leur côté, les Africains insistent sur un fait : n’ayant pas contribué à l’état actuel de la planète avec seulement 4% des émissions de carbone et un besoin criard d’industrialisation, tout en tenant compte de ce que – « 22 pays africains ont pour principale source d’énergie le renouvelable », comme pouvait le rappeler Mo Ibrahim – le continent s’est tout de même engagé pour la neutralité carbone d’ici 2050. Un engagement pour lequel les 100 milliards de financement annuel promis par les pays développés – responsables de l’état de la planète – tardent à être disponibles.
Or, les acteurs économiques privés – qui restent mobilisés en dépit des contraintes – ont le souci de créer de la valeur. Pour Aliko Dangote – première fortune du continent, il est important d’exploiter d’une manière efficiente les matières premières qui abondent en Afrique, soulignant que le secteur privé essaie de dealer avec le manque d’infrastructures ou les problèmes macroéconomiques et les réalités climatiques. « Ce que nous faisons c’est de nous assurer qu’en Afrique, nous produisons ce que nous consommons », explique le fondateur de l’une des plus grandes raffineries de pétrole au monde, assurant que ce dispositif fonctionne à la fois grâce au gaz et à l’énergie renouvelable. D’après lui, l’accompagnement des Etats et des institutions internationales dans la construction d’écosystèmes favorables au déploiement du secteur privé est important.
Quand la prospérité de la planète dépend de celle de l’Afrique
« Un XXIe siècle prospère nécessite une Afrique prospère », a pour sa part déclaré Kristalina Georgieva, soulignant qu’il est indispensable de « construire des ponts entre le capital, concentré principalement dans le nord, et les jeunes gens qui sont concentrés principalement […] en Afrique ». A ce titre, Ajay Banga se veut rassurant : « j’entends de bonnes choses de la part des pays riches quant à leur disposition à libérer plus de capital en faveur des pays en développement », a-t-il déclaré, attirant toutefois l’attention des gouvernements sur la nécessité de créer un cadre réglementaire propice. « Sans des politiques claires, l’argent ne viendra pas », a-t-il tranché.
La dette en question
Or, attirer les financements, c’est aussi mettre sur la table le sujet de la dette qui était encore une préoccupation majeure lors des réunions de Marrakech, au moment où le ratio dette/PIB de l’Afrique est passé à 60% contre 30% en 2013 – même s’il reste loin des 137% du G7- dans un contexte où le coût du capital reste élevé. Bien que les rapports économiques du FMI notent des améliorations dans la gestion de la dette en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne cette année, les ministres des Finances du continent, par la voix de l’Ivoirien Adama Coulibaly, ont appelé à « l’annulation de la dette des pays fragiles » et à une certaine autonomie dans l’usage des financements selon les urgences des pays. « Il faut augmenter les financements maintenant et vite, parce que les besoins sont importants », a estimé Nadia Fettah, soulignant que les institutions de Bretton Woods devraient « laisser [les pays] décider librement s’ils doivent miser sur le développement, financer le climat ou payer la dette ».
Face à Ajay Banga qui tentait de justifier le manque de financement parce qu’il qualifie de « gaspillage » des ressources dans certains pays africains, Mo Ibrahim a taclé le président de la Banque mondiale en l’interpellant sur le coût des deux réunions hebdomadaires du conseil des gouverneurs de la Banque, qui s’élèveraient à plus de 100 millions de dollars par an. Une somme qui, selon le milliardaire soudanais, pourrait être d’une grande utilité pour le continent court-circuité dans son élan de développement par les crises récentes.
Quid des promesses des 50 prochaines années ?
Alors que l’Afrique se veut ambitieuse et que son potentiel pour l’avenir de l’humanité fait l’unanimité, la FMI a créé un troisième siège pour l’Afrique subsaharienne sur 25 au sein de son conseil d’administration. Mais le report d’une éventuelle modification de la répartition des votes, laisse un goût mi-figue mi-raisin à certains observateurs, tout comme le « deux poids deux mesures » des institutions de Bretton Woods dans la gestion des crises en Ukraine et dans les pays africains, pointé tout au long des échanges la semaine dernière.
En se préparant pour les réunions de Marrakech, Kristalina Georgieva s’est amusée à interroger une intelligence artificielle (IA) quant au visage du monde dans 50 ans. Celle-ci prévoit une éventuelle prospérité mondiale en 2073 « propulsée par les énergies renouvelables et les industries axées sur l’IA ». A cela, la patronne du FMI ajoute, par prudence, « des surprises » éventuelles à l’instar de ce que le monde a connu ces dernières 50 années. Normalement, à cette échéance, le continent africain devrait avoir atteint ses objectifs de développement tels que prévu pour 2063 par l’Union africaine (UA). Suivre les possibilités d’un tel exploit pour une Afrique dans laquelle la planète se projette devient alors plus qu’intéressant.
latribune.fr